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En août dernier, au cours d’un séjour de deux semaines au Kurdistan irakien, je me suis rendue à Mossoul durant deux jours, pour couvrir la situation de la ville au lendemain de la guerre de libération. Dans sa partie Ouest, la seconde ville d’Irak a souffert de dégâts considérables. Libérée de l’Organisation Etat islamique, mais fortement marquée par la guerre, Mossoul doit aujourd’hui se reconstruire, malgré les obstacles.
Le 9 juillet 2017 sonne la fin de neuf mois de bataille entre les autorités irakiennes, soutenues par leurs alliés, et l’Etat islamique (EI), pour récupérer Mossoul des mains du groupe terroriste. En proclamant la reprise de la seconde ville d’Irak, le Premier ministre irakien Haider Al-Abadi a salué une « victoire majeure » sur l’EI. Même si, pour l’organisation terroriste, la perte de Mossoul représente un tournant, l’après 9 juillet ne marque pas la fin des troubles dans la ville.
Lire également sur Les clés du Moyen-Orient : Reportage photo d’Ines Gil – Dans Mossoul libérée
Au lendemain de la reprise, les autorités irakiennes peinent à sécuriser la seconde ville d’Irak. Elles craignent l’existence de cellules dormantes liées à Daesh, ou encore la formation de milices qui pourraient profiter de l’instabilité de Mossoul. Courant août dernier, des informations circulaient chez les journalistes et certaines organisations non gouvernementales sur l’existence de milices non apparentées à Daesh, dans les villages chrétiens entourant Mossoul. Elles pourraient représenter un risque d’enlèvement pour les internationaux. La guerre irrégulière entre Daesh et les autorités irakiennes a aussi rendu difficile la distinction entre combattants de l’EI et population civile, même plusieurs semaines après la fin du conflit. Ces combattants cachés ont fait de nombreuses victimes, tant du côté des civils que des représentants de l’autorité irakienne, et cette confusion a entraîné certains abus de la part des forces régulières irakiennes envers les civils. A ce climat d’insécurité qui plane sur la ville, s’ajoute la méfiance qu’inspirent les autorités irakiennes chez une partie des habitants. La police fédérale nous a affirmé qu’une de ses missions était de regagner leur confiance. Durant notre séjour dans les locaux qu’elle occupe à l’Ouest, plusieurs Mossouliotes se sont présentés pour rechercher l’assistance des policiers. Certains leur demandaient de jouer le rôle de médiateurs dans un différend, d’autres de les soutenir dans la reconstruction de leur maison. Parfois, ils sollicitaient une aide financière ou simplement de la nourriture.
Après la reprise de Mossoul, les soldats, qui représentaient des acteurs majeurs pour le processus de sécurisation, ont progressivement quitté la ville pour se rendre sur d’autres fronts – comme celui de Tal Afar, fin août – ou rentrer chez eux. La ville de Mossoul est aujourd’hui principalement contrôlée par la police fédérale, mais aussi par le regroupement de milices chiites nommé Hachd El Chaabi, dans certaines zones. Avec le départ de l’armée irakienne, Mossoul fait face à un risque de partition entre ces différents acteurs. D’autant plus que les milices composant Hachd El Chaabi sont elles-mêmes divisées. Déjà, durant la bataille de Mossoul, les autorités irakiennes ont cherché à écarter les milices de la ville. Les Mossouliotes, à majorité sunnite, craignent ces groupes paramilitaires chiites.
En plus de faire face à ces difficultés internes de gestion, la ville de Mossoul est située dans un environnement régional incertain. L’évolution du Kurdistan irakien, qui a organisé un référendum pour son indépendance le 25 septembre 2017, et des territoires situés à l’Ouest de Mossoul, où les autorités irakiennes gagnent du terrain par rapport à Daesh, rendent d’autant plus incertain l’avenir de la ville.
Des milices chrétiennes ont aussi participé, de manière bien plus limitée, aux combats pour libérer Mossoul. Dans la vieille ville, nous avons rencontré des miliciens chrétiens dont la mission est de sécuriser la zone.
Durant la bataille de Mossoul, la population civile était prise entre deux feux, victime collatérale des balles perdues, des mines ou des bombardements, mais aussi des exactions. Selon les Nations unies, rien qu’au mois de mai 2017, l’Etat islamique aurait tué près de 231 civils qui tentaient de fuir Mossoul.
Du côté des autorités irakiennes, des ONG de défense des droits de l’Homme et des journalistes présents sur place soupçonnent certains policiers et militaires d’être à l’origine d’abus vis-à-vis de la population civile et de combattants de l’EI. Dans la vieille ville de Mossoul, au bord du Tigre, nous sommes nous-mêmes tombés sur plusieurs hommes morts, probablement appartenant à l’organisation Etat islamique. Trois d’entre eux avaient les mains attachées dans le dos, signe qu’ils ont sans doute été exécutés après leur arrestation. A la mi-juillet, des responsables militaires irakiens ont annoncé que Bagdad avait lancé une enquête sur les exactions commises par les soldats irakiens pendant la bataille de Mossoul.
Les Mossouliotes qui n’ont pas perdu la vie dans la bataille ou pris la route de l’exil sont encore présents dans les camps aux alentours de Mossoul ou séjournent chez des proches, à Mossoul Est. A l’Ouest, à cause des fortes destructions et de l’insécurité, seule une poignée de Mossouliotes est retournée dans la ville. Ils viennent pour constater les dégâts, reconstruire eux-mêmes leurs maisons, et parfois, quand les conditions le permettent, se réinstaller.
A Mossoul Ouest, les autorités irakiennes et les organisations non gouvernementales investies dans la reconstruction font face à un chantier colossal.
Alors que les habitants reviennent au compte-goutte, la question de la coexistence entre les civils est aussi au cœur des préoccupations. Certains Mossouliotes, parfois voisins, ont été tantôt victimes, témoins, ou encore acteurs directs ou indirects d’exactions de l’Etat islamiques. Au lendemain de la guerre, les tensions résonnent déjà dans les rues de Mossoul, comme le montre la scène dont nous avons été témoins lors de notre passage dans la ville.
Alors que nous marchons dans Mossoul Ouest, au coin d’une rue, des cris éclatent. Un policier irakien demande à deux femmes de laisser leurs affaires, et de partir. Il les accuse d’être respectivement la mère et la fille d’un ancien combattant de l’Etat islamique. La mère proteste : « ce n’était pas lui, le combattant de l’EI était un Russe qui tirait depuis le toit, mais mon fils était caché dans la maison ». Le policier s’en va, lui sommant une dernière fois de quitter la ville d’un air déterminé. Les deux femmes nous montrent leur maison. La mère affirme qu’elle n’a aujourd’hui aucune nouvelle de son fils, mais qu’il n’était pas un combattant de Daesh. De retour dans la rue, quelques minutes plus tard, une dizaine de voisins entoure les deux femmes, accusant leur proche d’avoir travaillé pour les services secrets de l’Etat islamique en installant des climatisations dans les quartiers environnants. Les femmes rétorquent : « Il a installé des climatisations parce qu’il avait besoin d’argent, il n’avait pas le choix. Mais il n’a jamais travaillé pour les renseignements de Daesh ! ».
Nous n’avons jamais su si cet homme était un combattant de Daesh, un espion, ou s’il travaillait pour l’EI uniquement pour des raisons financières. Cette scène est a priori anodine, mais elle est le miroir d’une Mossoul aujourd’hui déchirée. Les années passées sous le joug de l’Etat islamique, la violence qui s’est déchainée pendant la bataille et l’instabilité actuelle de la ville ont contribué à diviser les Mossouliotes. Au-delà de la simple méfiance entre voisins, elles ont créé un terreau favorable aux règlements de comptes, aux délations et à de nouvelles violences dans la ville de Mossoul.
Samedi 12 août 2017, Le soleil se couche sur Mossoul. Un calme superficiel la recouvre, masquant les dynamiques à l’œuvre dans la ville. Le lendemain, une nouvelle journée de reconstruction attendra les ONG, les autorités irakiennes et les Mossouliotes. Malgré les conditions spartiates et le danger, certains habitants reviendront, jour après jour, redonner vie au cœur battant de la province de Ninive. Et à chaque aube blanchissant la convoitée Mossoul, des forces adverses se heurteront pour le contrôle de ses allées.
Dans cette rue, un peu plus loin, un bâtiment brisé par la guerre laisse passer les derniers rayons de soleil de la journée. Dans la Mossoul de demain, des murs de ciment remplaceront les anciennes façades pour ne laisser passer le soleil que par des vitres neuves. Les murs peuvent oublier, reprendre vie, et faire disparaitre les années sous Daesh et les mois de guerre derrière de nouvelles cloisons. Mais les habitants, eux, se souviendront.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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