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Géopolitique du vaccin au Moyen-Orient : point de situation sur le choix et la distribution des vaccins contre le COVID-19 (2/3). L’exception des pays en guerre ou en forte instabilité sécuritaire

Par Emile Bouvier
Publié le 13/05/2021 • modifié le 13/05/2021 • Durée de lecture : 5 minutes

1. Le cas irakien

En effet, l’Irak, malgré la défaite territoriale de Daech dans le pays le 9 décembre 2017 [3], continue de faire face à une forte résilience de l’organisation terroriste, qui commet régulièrement des attentats contre des cibles civiles [4] et réalise des attaques sophistiquées contre les forces locales [5], qu’elles soient kurdes, irakiennes, ou constituées de milices chiites.

La menace incarnée par Daech, couplée aux enjeux sécuritaires traditionnels (conflit politique, parfois armé, entre le gouvernement central de Bagdad et celui de la Région autonome du Kurdistan irakien [6], affrontements entre le PKK et les forces turques dans le nord de l’Irak, émeutes meurtrières en février dernier à travers le pays [7] …), continuent de grever fortement l’économie et l’administration irakiennes et, par là même, la capacité de Bagdad à acquérir des vaccins et à les distribuer convenablement à sa population.

Ainsi, l’Irak ne commencera officiellement sa campagne vaccinale que le 2 mars 2021, grâce à la livraison gracieuse, par la Chine, de 50 000 doses de vaccins Sinopharm ; un don savamment orchestré par Pékin qui sécurisera ainsi l’acquisition, cette-fois ci payante, de deux millions de nouvelles doses de Sinopharm par le Ministère irakien de la Santé [8]. Du reste, en-dehors du partenariat ainsi établi avec le laboratoire chinois, l’Irak se montre, aujourd’hui encore, essentiellement dépendant de l’aide internationale pour mener à bien sa campagne vaccinale : le 25 mars, ce sont 336 000 doses du vaccin AstraZeneca que le pays a par exemple reçu [9] dans le cadre du programme COVAX, un plan établi par l’Organisation mondiale de la Santé visant, grâce aux financements de ses membres les plus riches, à approvisionner les pays les plus pauvres en vaccins contre le COVID-19 afin que ceux-ci puissent vacciner 20% de leur population [10].

Le cas des pays en guerre se montre bien plus problématique pour la bonne conduite des campagnes vaccinales en raison des conditions sécuritaires fortement dégradées, de l’absence notable de services étatiques viables et de l’endommagement des infrastructures sanitaires dû aux combats et bombardements.

2. Le cas syrien

En Syrie par exemple, la campagne vaccinale repose, essentiellement, sur le programme COVAX ; ce dernier a par exemple livré un total de 256 800 doses d’AstraZeneca le 21 avril [11]. Damas aurait, pour autant, commencé à vacciner dès le début du mois de mars : en effet, selon Al-Jazeera, le gouvernement de Bachar el-Assad aurait obtenu 5 000 doses d’un pays décrit comme « ami » [12] ; en l’occurrence, le vaccin russe Spoutnik V, acheté et livré à la Syrie par… Israël, son ennemi historique. Les médias israéliens [13], ainsi que le quotidien américain The New York Times [14], révélaient de fait, dès le mois de février, que l’Etat hébreu aurait dépensé plusieurs millions de dollars afin d’approvisionner la Syrie en vaccin russe, moyennant la libération d’une Israélienne capturé par les forces syriennes après avoir franchi, par mégarde, la frontière entre les deux pays près du Mont Hermon [15]. La médiation russe dans cette affaire a également permis à Moscou, par la même occasion, de sécuriser l’achat de milliers de doses du vaccin russe par Tel-Aviv.

La fragmentation territoriale de la Syrie, scindée en trois (l’Administration autonome du nord-est syrien (AANES) à l’est de l’Euphrate, le gouvernement de Damas à l’ouest et, au nord-ouest, l’irréductible poche insurgée d’Idlib), présente également son lot d’enjeux vis-à-vis d’une distribution cohérente et organisée des vaccins dans le pays. Ainsi, sur les 256 800 vaccins livrés par l’OMS le 21 avril, 203 000 l’ont été à Damas [16] et 53 800 à la poche d’Idlib [17], les deux entités territoriales étant en guerre l’une avec l’autre et ne pouvant envisager de se partager, elles-mêmes, les doses de vaccins reçues dans le cadre du programme COVAX. La poche d’Idlib, où cohabitent bon gré mal gré plus de quatre millions de personnes, compterait plus de 21 000 cas avérés d’infection au COVID-19 ; 614 en seraient morts à la suite de complications médicales [18].

3. Les cas yéménite et libyen

Au Yémen, la situation s’avère relativement similaire qu’en Syrie : privée d’infrastructures sanitaires viables en raison des combats et, surtout, des bombardements (l’ONG Yemeni Archive recensait, en novembre 2019, plus de 130 frappes délibérées sur des hôpitaux et cliniques depuis le début de la guerre au Yémen [19]), morcelée en plusieurs entités territoriales rivales, l’ancienne « Arabie heureuse » ne se montre pas, aujourd’hui, en état de mener de façon autonome une campagne vaccinale efficace et cohérente : 80% de sa population est dépendante de l’aide internationale [20]. L’essentiel des vaccins actuellement présents au Yémen sont, de fait, livrés là aussi par l’OMS dans le cadre du programme COVAX : 360 000 doses d’AstraZeneca ont ainsi été livrées le 31 mars 2021 à l’aéroport international d’Aden [21]. Ce n’est toutefois que le 20 avril que le Yémen commencera officiellement sa campagne vaccinale, avec comme objectif la vaccination de 317 363 travailleurs sanitaires, personnes âgées et individus présentant des facteurs importants de comorbidité [22].

La campagne vaccinale n’avance toutefois pas aussi vite qu’espéré : en raison de la guerre et de la réticence d’un grand nombre de Yéménites à se faire vacciner, la population ne se presse pas dans les centres de soin et de vaccination. « Nous avons reçu 70 000 doses à Taiz et nous avons commencé à vacciner dès le 21 avril […]. Nous n’avons utilisé que 500 doses pour le moment » indiquait ainsi à Al-Jazeera le directeur régional de la santé Rajeh al-Maliki le 3 mai [23]. La réticence de la population tiendrait notamment à la croyance, au sein de la population yéménite mais aussi de son personnel médical, que le fait de recevoir une dose de vaccin équivaudrait à rompre le jeûne sacré du mois de Ramadan [24]. Les multiples lignes de front, couplées aux checkpoints omniprésents à travers le territoire yéménite, empêchent dans tous les cas les habitants de se rendre aisément et sûrement dans les hôpitaux pour se faire vacciner [25].

En Libye enfin, la situation sécuritaire s’est globalement apaisée et un relatif statu quo semble s’être installé entre les deux rivaux de Tripoli (le Gouvernement d’accord national - GNA) à l’ouest, et de Tobrouk (les forces du Maréchal Haftar), à l’est. Comme la Syrie et le Yémen, la campagne vaccinale n’a commencé que très tardivement comparé au reste du Moyen-Orient, le 10 avril 2021 [26]. Si la Libye est une bénéficiaire du programme COVAX, son actuelle bicéphalie politique - et géographique - lui permet de bénéficier de livraisons de vaccins en provenance des pays soutenant l’un ou l’autre des deux camps. Ainsi, le 15 avril 2021, la Turquie, principale alliée du GNA, livrait 150 000 doses de vaccins Sinopharm à Tripoli [27] ; l’avant-veille, l’Egypte et les Emirats arabes unis, soutiens du Maréchal Haftar, avaient quant à eux livré des vaccins à Sebha et Tobrouk [28].

Bibliographie :
 Iraq declares final victory over Islamic State, Reuters, 09/12/2017
https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-iraq-islamicstate/iraq-declares-final-victory-over-islamic-state-idUSKBN1E30B9
 Israel’s clever coronavirus vaccination strategy, DW, 16/02/2021
https://www.dw.com/en/israels-clever-coronavirus-vaccination-strategy/a-56586888
 Deadly attacks in Iraq rekindle fears of resurgent ISIS, The Arab Weekly, 05/05/2021
https://thearabweekly.com/deadly-attacks-iraq-rekindle-fears-resurgent-isis
 18 Iraqis killed in spree of night attacks blamed on ISIS, The National news, 02/05/2021
https://www.thenationalnews.com/mena/iraq/18-iraqis-killed-in-spree-of-night-attacks-blamed-on-isis-1.1215059
 Baghdad-Erbil disputes set to continue amid divisions in Kurdistan, The Arab Weekly, 03/08/2019
https://thearabweekly.com/baghdad-erbil-disputes-set-continue-amid-divisions-kurdistan
 Iraqi protests turn deadly after security forces open fire, DW, 27/02/2021
https://www.dw.com/en/iraqi-protests-turn-deadly-after-security-forces-open-fire/a-56721399
 Iraq starts vaccinations with jabs gifted from China, Arab news, 03/03/2021
https://www.arabnews.com/node/1818796/middle-east
 Iraq receives first delivery of COVID-19 vaccines through the COVAX Facility, WHO, 25/03/2021
http://www.emro.who.int/irq/iraq-news/iraq-receives-first-delivery-of-covid-19-vaccines-through-the-covax-facility.html
 COVAX explained, Gavi, 03/09/2020
https://www.gavi.org/vaccineswork/covax-explained
 Syria receives its first delivery of COVID-19 vaccines through the COVAX Facility [EN/AR], ReliefWeb, 22/04/2021
https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/syria-receives-its-first-delivery-covid-19-vaccines-through-covax
 Syria launches COVID vaccine drive as Israel questions swirl, Al Jazeera, 17/03/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/3/17/syria-launches-covid-vaccination-drive-amid-economic-challenges
 Israel paying millions to supply COVID-19 doses to Syria, Al Jazeera, 20/02/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/2/20/israel-paying-millions-to-supply-covid-19-doses-to-syria
 Woman brought back from Syria undergoing Shin Bet debriefing, The Times of Israël, 19/02/2021
https://www.timesofisrael.com/woman-brought-back-from-syria-undergoing-shin-bet-debriefing/
 Israel Secretly Agrees to Fund Vaccines for Syria as Part of Prisoner Swap, The New York Times, 24/02/2021
https://www.nytimes.com/2021/02/20/world/middleeast/israel-syria-prisoner-swap-vaccines.html
 Syria Receives Its First Batch Of COVID-19 Vaccines Through COVAX, ReliefWeb, 22/04/2021
https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/syria-receives-its-first-batch-covid-19-vaccines-through-covax
 Syria’s Idlib region to receive first batch of COVID-19 vaccines, Al Jazeera, 21/04/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/4/21/syrias-idlib-region-to-receive-first-batch-of-covid-19-vaccines
 Vaccination campaign begins in Syria’s Idlib amid COVID-19 surge, Daimy Sabah, 01/05/2021
https://www.dailysabah.com/world/syrian-crisis/vaccination-campaign-begins-in-syrias-idlib-amid-covid-19-surge
 Report : Over 130 attacks on medical facilities in Yemen war, AP News, 14/11/2019
https://apnews.com/article/8cae880768a849158756a03deefc1ce2
 Yemen Factsheet, ECHO, 02/03/2021
https://ec.europa.eu/echo/where/middle-east/yemen_en
 Yemen receives 360,000 COVID-19 vaccine doses through the COVAX Facility, UNICEF, 31/03/2021
https://www.unicef.org/press-releases/yemen-receives-360000-covid-19-vaccine-doses-through-covax-facility
 Yemen begins COVID-19 vaccination campaign, Anadolu Ajansi, 20/04/2021
https://www.aa.com.tr/en/health/yemen-begins-covid-19-vaccination-campaign/2214876
 War and doubts slow COVID vaccination in disputed Yemen city, Al Jazeera, 03/05/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/5/3/war-and-doubts-slow-covid19-vaccination-in-disputed-yemen-city
 War and Doubts in Yemen Slow COVID Vaccination in Disputed City, Haaretz, 03/05/2021
https://www.haaretz.com/middle-east-news/war-and-doubts-in-yemen-slow-covid-vaccination-in-disputed-city-1.9769056
 Libya launches COVID-19 vaccination drive after delays, Arab News, 10/04/2021
https://www.arabnews.com/node/1840836/middle-east
 Turkey provides Libya with 150,000 doses of Sinovac COVID-19 vaccine, China Daily, 15/04/2021
https://www.chinadaily.com.cn/a/202104/15/WS60779026a31024ad0bab59a5.html
 Egyptian medical aid arriving in Sebha causes some disquiet, Libya Herald, 14/04/2021
https://www.libyaherald.com/2021/04/14/egyptian-medical-aid-arriving-in-sebha-causes-some-disquiet/

Publié le 13/05/2021


Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.


 


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