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Spécialisé dans les questions énergétiques du Proche et du Moyen-Orient, David Amsellem est l’auteur de La guerre de l’énergie, la face cachée du conflit israélo-palestinien publié aux éditions Vendémiaire. Il revient pour Les Clés du Moyen-Orient sur les enjeux énergétiques du conflit syrien.
Le potentiel énergétique de la Syrie n’est pas négligeable. Ses réserves de pétrole sont estimées à 2,5 milliards de barils, c’est-à-dire plus qu’aucun autre de ses voisins à l’exception de l’Irak. Quant à ses réserves de gaz naturel, elles sont estimées à plus de 240 milliards de mètres cubes ; l’équivalant du gisement Léviathan découvert au large des côtes israéliennes. Néanmoins, la Syrie fait figure de nain énergétique à l’échelle du monde puisque sa production journalière de pétrole ne représente que 0,002 % de la production mondiale.
Entre 2008 et 2010, la Syrie produisait en moyenne 400 000 barils de pétrole par jour. La grande majorité de cette production était réservée à la consommation locale, le reste (environ 140 000 barils/jour) était destiné à l’exportation. Plus de 90% des exportations pétrolières syriennes étaient à destination des pays de l’Union européenne, notamment l’Allemagne (32%), l’Italie (31%) et la France (11%). Ces exportations représentaient environ 30% du PIB de la Syrie.
La situation géographique du pays, frontalier à l’Irak, à la Turquie et disposant d’une large façade maritime, lui permettait d’être un couloir énergétique idéal pour le transit de gaz du Moyen-Orient vers l’Europe. En 2009, l’émir du Qatar proposait ainsi à Bachar El-Assad la construction d’un gazoduc reliant leurs deux pays en passant par l’Arabie saoudite et la Jordanie afin d’acheminer le gaz du gisement North Dome, situé dans le Golfe persique, vers l’Europe. Or, le Qatar partage une partie de ce gisement avec l’Iran, un allié privilégié de la Syrie. Pour cette raison, Damas a refusé le projet qatari et a signé en 2011 avec Téhéran un accord pour la construction d’un gazoduc reliant l’Iran à la Syrie en passant par l’Irak (Islamic gaz pipeline). Ces projets ont été gelés avec le début de la guerre civile.
Les enjeux énergétiques de ce conflit se situent essentiellement à un niveau régional. Ils permettent d’expliquer, en partie, le comportement des États alliés ou opposés à l’actuel gouvernement syrien. En effet, le projet de gazoduc qatari pourrait être relancé si les rebelles faisaient chuter le régime en place, ce qui explique que le Qatar aie pu apporter un tel soutien à la rébellion syrienne. En outre, ce gazoduc serait aussi une aubaine énergétique pour l’Union européenne qui souhaite le raccorder au gazoduc Nabucco (en projet), et ainsi réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz russe. Là encore, on pourrait y voir une des raisons pour lesquelles les pays de l’UE souhaitent la fin du régime de Bachar El-Assad. À l’inverse, l’Iran, qui a signé un accord pour la construction de l’Islamic gas pipeline, souhaite que le régime se maintienne au pouvoir, tout comme la Russie, qui envisage de relier l’Islamic gas pipeline au futur gazoduc, South Stream, construit par Gazprom. D’un point de vue énergétique, au-delà de l’Iran et du Qatar, ce sont finalement l’UE et la Russie qui s’opposent et l’on retrouve cet affrontement sur la scène politique.
Depuis plusieurs mois déjà, les groupes rebelles et le PYD - le principal parti kurde - contrôlent le nord-est du pays, une région dans laquelle se trouvent de nombreux gisements pétroliers. Au début de l’année 2013, l’Union européenne a décidé de lever partiellement l’embargo pétrolier adopté à l’automne 2011 contre la Syrie, permettant ainsi à des entreprises européennes d’acheter du brut syrien issu des puits contrôlés par les rebelles. Il y a donc un enjeu, pour les groupes rebelles, à s’approprier des puits de pétrole pour les exploiter économiquement. Pour le régime syrien, l’instrumentalisation du pétrole à des fins politiques est impossible. Au contraire, l’UE l’utilise contre lui pour l’affaiblir par le biais de sanctions.
Les revenus pétroliers des régions conquises sont certes considérables pour les groupes rebelles qui les contrôlent, mais les possibilités de les exploiter restent minces pour ces acteurs non étatiques. L’exportation par voie maritime passe par l’ouest du pays où se trouve l’ensemble du réseau de gazoduc. Or, toute cette région est contrôlée par le régime de Bachar El-Assad. La seule alternative consiste à exporter en quantité restreinte le pétrole par camions, via l’Irak et la Turquie. La consommation locale de ce pétrole s’avère elle aussi compliquée dans la mesure où le raffinage du pétrole brut n’est pas possible car les raffineries se situent dans les territoires contrôlés par le régime. Dans ces conditions, les ressources énergétiques de la Syrie ne peuvent pas constituer une base solide pour permettre l’émergence d’entités politiques nouvelles. Mais il ne faut pas surestimer le rôle des hydrocarbures dans la volonté politique des acteurs non étatiques locaux. En novembre 2013, les partis kurdes syriens ont déclaré de facto l’existence d’un gouvernement autonome dans la région nord-est qu’ils contrôlent, malgré les difficultés qu’ils ont à exploiter le pétrole de cette région.
Allan Kaval
Journaliste, Allan Kaval travaille sur les politiques intérieures et extérieures de la Turquie et de l’Iran ainsi que sur l’histoire du nationalisme et des identités minoritaires au Moyen-Orient.
David Amsellem
Docteur en géopolitique, spécialiste des enjeux énergétiques, David Amsellem est l’auteur de "La guerre de l’énergie - la face cachée du conflit israélo-palestinien" (éd. Vendémiaire, 2011). Il est également consultant pour le cabinet de conseil, Cassini.
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