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Le Conseil de Coopération du Golfe (CCG), créé en 1981, est composé de six pays – l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït, le Bahreïn, les Emirats arabes unis (EAU) et le Qatar (cf. carte). Pensé au départ comme un organisme de coopération multilatérale pour assurer la sécurité de la région du Golfe puis élargi aux questions d’unification du système économique et financier (1), il regroupe des pays ayant pour point commun une économie de rente pétrolière et un régime monarchique sunnite. Cependant, au-delà de ces points communs, la coopération aussi bien militaire qu’économique n’est pas aboutie et les divergences de point de vue sont visibles dans les politiques étrangères et diplomatiques. En résultent des tensions qui ont culminé en juin 2017 lorsque l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les EAU ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Ces tensions interviennent dans un contexte international nouveau depuis 2011, marqué par les contestations de nombreux régimes lors des Printemps arabes.
Des organismes politiques assurent la coordination entre les six monarchies : un conseil suprême rassemble les chefs d’Etat deux fois par un ; le conseil des ministres des Affaires étrangères se rassemble tous les deux mois ; un secrétariat général assure la mise en place des projets. Le CCG est d’abord pensé comme un organisme de coopération militaire, permettant d’assurer la sécurité de la région. Les facteurs de création du CCG sont à la fois externes à ces pays – révolution iranienne chiite en 1979, ingérence des Etats-Unis et de la Russie dans cette région, guerre Iran-Irak – et internes – notamment hausse des migrants qui sont des potentiels facteurs de contestation et des dangers pour l’identité arabe, selon ces régimes (Martz, 2016).
Le CCG s’est donc doté d’une force militaire, le Bouclier de la Péninsule, qui regroupe des contingents des armées de ces six pays et doit intervenir lorsqu’un Etat membre est menacé. Or, le Bouclier de la Péninsule n’a pas su prévenir l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 et les Etats du CCG ont préféré signer, de manière bilatérale, des accords de sécurité avec les Etats-Unis. De même, des accords de sécurité ont été signés individuellement entre le Koweït, le Qatar, les EAU et le Bahreïn avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Pour Fatiha Dazi-Heni (2011), le CCG se caractérise par une « structure de sécurité collective défaillante et lâche » (p. 3) : les armées manifestent des compétences inégales, il n’y a pas de culture interarmée et les rivalités entre les armées sont nombreuses. Toujours selon cette même chercheure, le CCG « n’est ni une alliance ni une réelle intégration régionale mais une simple structure de coopération basée sur un accord politique tacite consistant à réactiver une solidarité et une cohésion en réaction à des menaces extérieures imminentes » (p. 3).
L’une des menaces principales définies par le CCG est l’Iran. Cependant, là encore, des divergences apparaissent entre les pays du CCG (cf. carte). La perception des risques n’est pas homogène : l’Arabie saoudite souhaite le maintien de l’isolement diplomatique et économique de l’Iran pour éviter notamment l’émergence d’un concurrent sur le marché pétrolier (Oraizi, 2017) ; les EAU sont partisans d’une politique stricte contre l’Iran (il existe notamment un conflit territorial à propos de trois îles situées près du Détroit d’Ormuz) ; le Bahreïn voit l’Iran comme une menace, d’autant plus que si le régime est sunnite, une majorité de la population est chiite (Chaker, 2017) ; le Koweït et Oman disposent de meilleures relations avec leur voisin iranien et sont généralement partisans du dialogue. La politique diplomatique du Qatar est jugée plus ambigüe par les autres pays du CCG : ce pays refuse une politique dure vis-à-vis de l’Iran car ils partagent, tous deux, un champ gazier offshore, le North Dome (cf. carte).
L’intégration économique est également inachevée entre ces pays. Il faut attendre 2008 pour qu’un marché commun soit mis en place et l’idée d’une union monétaire proposée, mais celle-ci n’a toujours pas été mise en place. Si la liberté de circulation des capitaux a été instaurée, de nombreuses restrictions demeurent sur certaines activités économiques et sur la liberté de circulation des personnes.
Lors des Printemps arabes, les monarchies du CCG ont montré, en général, une résilience politique forte et la contestation n’est pas allée au-delà de manifestations conduisant parfois à quelques assouplissements politiques (Dazi-Heni, 2015). Néanmoins, le Bahreïn a connu d’importants mouvements de contestation, en particulier dans sa capitale, Manama. Le Bouclier de la Péninsule y est intervenu le 14 mars 2011 (cf. carte), pour assurer la stabilité du régime sunnite, au prétexte que les manifestants auraient été majoritairement chiites et manipulés par l’Iran (Levallois, 2017). Pour Fatiha Dazi-Heni (2011), les menaces liées au Printemps arabes auraient « dopé » (p. 4) la coopération sécuritaire entre les pays du CCG. Les EAU et l’Arabie saoudite ont notamment mis de côté leur différend frontalier qui existe depuis les années 1970 (2), pour assurer le maintien des monarchies dans cette région. Un autre signe de renforcement du multilatéralisme est visible dans la proposition faite en 2011 d’intégrer la Jordanie et le Maroc au CCG. La proximité politique semble expliquer ce projet car il s’agit également de deux monarchies, ce qui atteste de l’hypothèse d’un renforcement d’un front monarchique et conservateur face aux républiques et démocraties comme la Syrie, l’Egypte ou la Tunisie qui connaissent un renversement de régime ou une guerre civile à partir de 2011 (cf. carte).
Cependant, le renforcement du multilatéralisme dans le contexte des Printemps arabes doit être nuancé. L’intervention du Bouclier de la Péninsule au Bahreïn semble avoir été menée principalement sous le commandement saoudien (Levallois, 2017) et n’a pas donné de suite puisqu’en mars 2015, une coalition de forces armées sous la houlette de l’Arabie saoudite et non du Bouclier de la Péninsule est menée au Yémen. De plus, l’intégration du Maroc et de la Jordanie ne fait pas l’unanimité parmi les pays du CCG. La proposition émane de l’Arabie saoudite et des EAU qui cherchent à s’imposer comme étant les deux leaders au sein du CCG. Oman et le Qatar sont favorables à ces intégrations tandis que le Bahreïn émet des réserves sur l’intégration du Maroc et que le Koweït s’y oppose (Dazi-Heni, 2011). Finalement, la proposition d’intégration a été transformée en la mise en place en décembre 2011 d’un partenariat stratégique entre ces pays et d’une aide financière pour le Maroc. Le Yémen, qui devait également être intégré au CCG, a été jugé trop instable politiquement et trop faible économiquement pour y entrer, du fait de la guerre civile qui s’y déroule depuis 2011.
Après une période de renforcement de la coopération entre 2011 et 2014, les Printemps arabes ont également multiplié les théâtres de tensions entre les pays du CCG qui ont abouti le 6 juin 2017 à la rupture des relations diplomatiques entre, d’une part, l’Arabie saoudite, les EAU et le Bahreïn et, d’autre part, le Qatar. Les trois premiers ont fermé leurs frontières terrestres et maritimes et interdit leur espace aérien à ce dernier. Cette rupture des relations diplomatiques n’est pas la première puisque ces pays avaient déjà retiré leur ambassadeur du Qatar en 2014. Le Qatar est accusé d’être trop laxiste vis-à-vis de l’Iran et de soutenir les Frères musulmans alors qu’ils sont considérés comme des groupes terroristes par l’Arabie saoudite et les EAU puisqu’ils souhaitent renverser les monarchies afin d’instaurer une république islamique (Chaker, 2017). Le gouvernement du Qatar a notamment financé Mohammed Morsi en Egypte, accueilli des leaders des Frères musulmans exilés et soutenu le parti Ennahda, proche des Frères musulmans, en Tunisie. De même, le Qatar soutient le Hamas dans le conflit israélo-palestinien et le gouvernement de Tripoli dominé par une composante religieuse en Libye, alors que l’Arabie saoudite et les EAU soutiennent le Fatah et le gouvernement militaire à tendance laïque de Tobrouk en Libye. En Syrie, ces pays ne soutiennent pas les mêmes groupes rebelles. De manière générale, les EAU et l’Arabie saoudite refusent l’islam politique tandis que le Qatar est proche des groupes qui le défendent.
L’Arabie saoudite a démontré à plusieurs reprises qu’elle souhaiterait que les pays du CCG alignent leurs positions sur les siennes (Chaker, 2017). Or, par sa politique diplomatique indépendante et proactive, le Qatar semble remettre en cause les volontés de domination de l’Arabie saoudite. En effet, le Qatar est intervenu en Libye contre le régime de Kadhafi, tout comme les EAU. Mais contrairement à ce dernier qui a fait profil bas lors de cette intervention, le Qatar a diffusé un discours triomphaliste via notamment la chaîne qatarie Al-Jazeera (Hazi-Deni, 2011). Cette chaîne de télévision qui a également fourni une couverture considérable en faveur des Frères musulmans lors des Printemps arabes est un des moyens du soft power du Qatar que l’Arabie saoudite a tenté de diminuer par le lancement de sa propre chaîne de télévision Al-Arabiya (Chaker, 2017 ; Levallois, 2017). L’une des premières mesures lors de la crise de juin 2017 a été la fermeture des bureaux de Al-Jazeera à Riyad, capitale de l’Arabie saoudite.
Les sanctions prises à l’encontre du Qatar ont pour but l’arrêt de son soutien aux groupes considérés comme terroristes et l’éloignement du Qatar vis-à-vis de l’Iran. Cependant, la rupture des liens diplomatiques a eu un effet inverse et le Qatar a rétabli la totalité des relations diplomatiques avec l’Iran, avec notamment le retour de son ambassadeur à Téhéran en août 2017 (3).
Oman et le Koweït n’ont pas rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Selon Franck Tétart qui est intervenu dans le cadre d’un colloque à Sciences Po Grenoble en décembre 2017 (4), Oman, généralement partisan de la conciliation entre les Etats-Unis et l’Iran, ne semble néanmoins pas avoir les moyens d’être médiateur dans cette crise du fait de l’incertitude quant à la descendance du sultan et de l’épuisement de ses ressources en hydrocarbures qui fragilisent les bases de puissance politique et économique. Le Koweït apparaît plus comme un médiateur. Le Qatar et Oman ont, tout de même, renforcé leur lien diplomatique : le sultanat d’Oman a notamment ouvert ses ports pour contourner le blocus maritime et ces deux pays ont signé des mémorandums d’accords pour le développement du commerce, notamment dans le secteur agricole, et le renforcement de la coopération dans le domaine de la logistique et des infrastructures (5).
– Entretien avec Jean Marcou – Les relations Turquie / Qatar dans le contexte de la crise Qatar / CCG
– Entretien avec Jean-Paul Burdy – La crise Qatar-CCG de juin 2017 (1/2)
– Entretien avec Jean-Paul Burdy – La crise Qatar-CCG de juin 2017 (2/2)
– Aux origines de la crise du Qatar : entre rivalité pour l’hégémonie régionale et enjeux de politique intérieure, par Camille Lons
– Entretien avec Nabil Ennasri - Le Qatar à l’épreuve de la crise du Golfe
– Compte rendu de la conférence « Crise dans le Golfe : quelle issue pour le Qatar et ses voisins ? » organisée le 28 juin 2017 à l’Institut du monde arabe
– 5 mars 2014. Le Qatar mis en accusation : une crise politique sans précédent au sein du Conseil de coopération du Golfe, par Jean-Paul Burdy
– Entretien avec Nidal Shoukeir - La politique étrangère du Qatar
Notes :
(1) Pour une histoire du CCG, voir l’article d’Olivia Blachez dans Les Clés du Moyen-Orient : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Conseil-de-cooperation-du-Golfe.html
(2) Pour une histoire des relations diplomatiques bilatérales de l’Arabie Saoudite avec les autres pays du CCG, voir l’article de Simon Fauret sur Les Clés du Moyen-Orient : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-relations-entre-l-Arabie-saoudite-et-les-autres-membres-du-Conseil-de.html
(3) France 24, 24 août 2017, http://www.france24.com/fr/20170824-crise-golfe-arabie-saoudite-qatar-renoue-diplomatie-iran.
(4) Pour un compte rendu de ces journées d’étude qui se sont déroulées le 30 novembre et le 1er décembre à Sciences Po Grenoble sur le thème « Tempête dans le Golfe : les monarchies de la péninsule Arabique entre querelles intestines et pressions internationales », voir l’article de Théo Blanc sur Les Clés du Moyen-Orient : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Compte-rendu-du-colloque-Tempete-dans-le-Golfe-les-monarchies-de-la-peninsule.html
(5) L’observatoire du Qatar, 30 janvier 2018, https://www.observatoire-qatar.com/actualites-du-qatar/item/926-le-qatar-renforce-ses-relations-avec-oman.
Bibliographie :
CHAKER R., 2017, « Retour sur la crise du Golfe de 2017 », Politique étrangère, n°3, p. 73-83.
DAZI-HENI F., 2011, « Le Conseil de Coopération du Golfe : une coopération de sécurité et de défense renforcée ? », CERI CNRS, http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/le-conseil-de-cooperation-du-golfe-une-cooperation-de-securite-et-de-defense-renforcee (consulté le 20 février 2018).
DAZI-HENI F., 2015, « La résilience des monarchies du Golfe dans un monde arabe en plein tumulte », Pouvoirs, Vol. 1, n°152, p. 25-42.
LEVALLOIS A., « Pays arabes du Golfe : deux décennies de basculements », Confluences Méditerranée, Vol. 1, n°100, p. 135-146.
MARTZ O., 2016, « Les origines du Conseil de Coopération du Golfe, 1979-1981 », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, Vol. 1, n°43, p. 1 13-122.
ORAIZI M.A., 2017, « La géopolitique du pétrole iranien », Orients stratégiques, n°6, p. 87-116.
TETART F., 2017, « Un vilain petit canard au sein du CCG : le sultanat d’Oman, entre Arabie, Iran et Etats-Unis », Communication au Colloque à Sciences Po Grenoble « Tempête dans le Golfe : les monarchies de la péninsule Arabique entre querelles intestines et pressions internationales », les 30 novembre et 1er décembre 2017.
Laura Monfleur
Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.
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