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Cartographie des groupes armés non-étatiques au Moyen-Orient

Par Corentin Denis
Publié le 11/12/2014 • modifié le 26/02/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Il s’agit d’acteurs engagés dans un conflit armé qui ne sont pas sous l’autorité d’un État [1]. Or comme le souligne Philippe Boulanger [2], la montée en puissance des acteurs non-étatiques donne une nouvelle dimension aux conflits armés. La guerre classique, dans laquelle la force armée sert à soumettre l’adversaire régresse depuis la fin de la guerre froide tandis que les conflits armés de moindre intensité [3] impliquant des acteurs non-étatiques progressent. L’augmentation des zones de crise où règnent les « guerres de chaos » estompe les différences entre les combattants et les populations, brouille la délimitation entre temps de guerre et temps de paix. Nous tenterons de saisir l’organisation des groupes armés au Moyen-Orient par leurs objectifs (I), les moyens dont ils disposent et les actions qu’ils entreprennent (II) et en fonction des relations qu’ils entretiennent avec les États de la région (III).

I. Des objectifs divers

Le type classique de groupe armé non-étatique est la guérilla ou la rébellion contre le pouvoir étatique en place dans l’objectif de le renverser et de prendre le contrôle du territoire. En Syrie, l’Armée syrienne libre, formée en juillet 2011, cherche par exemple à renverser le régime de Bachar al-Assad afin de mettre en place un gouvernement alternatif. La prise de contrôle de certaines parties du territoire national grâce à la force déployée et aux soutiens sur le terrain sert à atteindre des objectifs politiques. Au Yémen, les houthistes ont par exemple réussi à s’emparer par les armes du nord du pays puis de la capitale, provoquant la chute du gouvernement et leur permettant d’obtenir la formation d’un nouveau gouvernement au sein duquel leurs intérêts sont davantage représentés.

Les mouvements islamistes ont une autre dimension : leur ambition est régionale, voire universelle. L’État islamique (EI) pour sa part veut rétablir le califat sur l’ensemble des territoires peuplés de musulmans, ce qui justifie une action transfrontalière et le ralliement de groupes djihadistes géographiquement éloignés mais partageant une même idéologie comme Ansar Bait al-Maqdis au Sinaï. Al-Qaïda et ses branches, au Maghreb islamique, en Afrique subsaharienne ou dans la Péninsule arabique, a un rayon d’action mondial, contrairement à l’EI, centré sur la lutte contre l’Occident. Les principaux foyers actifs d’Al-Qaïda au Moyen-Orient sont localisés au Yémen et en Syrie, parmi l’opposition au régime.

Résistance islamique, la branche armée du Hezbollah au Liban a un statut ambigu. Il s’agit du bras armé d’un parti politique officiel, représentant une fraction de la communauté chiite libanaise. L’armement du parti présente un risque de déstabilisation pour le pays et le met hors-la-loi, les attentats perpétrés à l’étrange en son nom justifient l’inscription de la branche militaire sur la liste des organisations terroristes par l’Union européenne depuis 2013. Cependant, le groupe n’est engagé dans aucun conflit sur le territoire libanais. Il présente ses armes comme un moyen de défendre les Libanais, en particulier contre Israël, comme il l’a fait au cours de la guerre au sud du Liban en 2006.

Les mouvements palestiniens mènent une lutte contre Israël pour la reconnaissance de la Palestine dont les moyens d’actions sont divers et avec une intensité variable selon les périodes. Le Hamas et le Djihad palestinien sont des organisations considérées comme terroristes en raison de leur refus de reconnaître Israël et du recours régulier à des tirs de roquettes et à des attentats. L’Organisation de libération de la Palestine de Mahmoud Abbas, au contraire, est désormais reconnue comme un interlocuteur dans les négociations internationales pour régler le conflit israélo-palestinien. Elle est l’armée de l’Autorité palestinienne, dont le statut se rapproche de plus en plus de celui d’un État pleinement reconnu par la communauté internationale.


Carte 1 : Les groupes armés non-étatiques actifs au Moyen-Orient

II. Les moyens d’actions des groupes armés

Les groupes armés non-étatiques ont profité de la prolifération des armes au Moyen-Orient, accrue par les conflits du « printemps arabes » et la déstabilisation de certains États. La Libye apparaît aujourd’hui comme le principal arsenal pour les conflits non-étatiques de la région [4]. Les armes circulent via des réseaux illicites difficiles à repérer et permettent à des organisations comme l’État islamique de se procurer des munitions et du matériel d’origines nord-américaine, russe, chinoise ou européenne. La défection de militaires et des attaques ciblées sur des sites assurant d’importantes prises de matériel militaire permet à l’EI de renforcer son arsenal. En octobre 2014, l’EI s’est notamment emparé de 3 avions de combat MIG d’origine soviétique en capturant une base aérienne de l’armée syrienne.

D’après un récent rapport [5], 25% des armes saisies ou achetées sur le marché noir par l’EI sont des armes d’origine chinoise, vendues à l’Irak et à la Syrie dans les années 1980, 20% sont des armes initialement vendues à la Syrie par l’URSS ou la Russie et 20% ont été fournies par les États-Unis aux forces de sécurité irakiennes dans les années 2000 puis abandonnées au cours des combats. Des munitions venues de Serbie ont également été retrouvées, ainsi que des munitions iraniennes de fabrication récente, acheminées clandestinement en dépit de l’embargo sur les ventes d’armes imposé à l’Iran.

À Gaza, le Hamas et son rival, le Djihad islamique, ont réussi à constituer des stocks de roquette capables d’atteindre Israël en profondeur. Des armes de contrebandes transitent depuis la Libye et la Syrie grâce à un réseau de tunnels ou par des routes terrestres dans le désert du Sinaï. L’Iran est régulièrement accusé de fournir des armes aux combattants en passant par le Soudan puis par des routes de contrebandes permettant de contourner le blocus israélien.

Certains groupes non-étatiques ayant une forte capacité à recruter des combattants séduits par leur idéologie recourent au terrorisme pour atteindre leurs objectifs politiques. Le terrorisme est utilisé dans une confrontation de type asymétrique car il nécessite peu de matériel militaire. Le groupe terroriste cherche à provoquer le maximum de victime, parmi des populations combattantes comme non combattantes sans autre objectif stratégique que l’instauration d’un climat de terreur. La médiatisation est à cette fin le principal but recherché. Le Moyen-Orient concentre un grand nombre d’activités terroristes, notamment en raison des conflits en cours et de la faiblesse des autorités en Syrie, en Irak et au Yémen.
Pour l’année 2013, Global Terrorist Database recense 2 000 attaques terroristes ayant provoqué au moins 1 mort dont 130 d’entre elles ont causé au moins 11 morts dans les pays de la région. Parmi ces attaques, 260 sont qualifiées d’attaques suicides. L’Irak est le pays qui concentre le plus d’attentats dans le monde avec un total de plus de 6 000 morts en 2013. Al-Qaïda en Irak et l’État islamique sont responsables d’au moins 1 700 morts. Al-Qaïda pour la Péninsule arabique est responsable de 80 attentats et environ 180 morts.


Carte 2 : Les attaques terroristes meurtrières au Moyen-Orient (2013)

III. Entre soutien et combat : le rapport des États de la région aux groupes armés

L’instrumentalisation de groupes armés est un outil utilisé par certains États pour rééquilibrer les rapports de forces conventionnelles à leur avantage. L’Iran est notamment le centre d’un réseau de transferts d’armes vers différents acteurs non-étatiques de la région malgré l’interdiction des ventes d’armes imposée par l’ONU depuis 2007, comme le pointe le rapport du Groupe de recherche et d’infirmation sur la paix et la sécurité [6]. Le Hezbollah libanais ou des combattants proches de Bachar al-Assad ainsi que les rebelles houthistes au Yémen reçoivent des armes iraniennes leur permettant de consolider l’influence chiite dans la région. Les livraisons d’armes de l’Iran permettent par ailleurs au Hamas d’agir contre l’ennemi commun israélien et détourner une partie de ses ressources militaires. Des stratégies asymétriques servent ici à contrebalancer la domination militaire israélienne sur la région. Le rapport du GRIP mentionne plusieurs saisies d’armes iraniennes étayant l’existence de routes de trafics au départ de l’Iran : un cargo transportant plusieurs dizaines de tonnes d’armement à destination du Hezbollah par la marine israélienne en novembre 2009, des fusils et des obus saisis par les douanes turques avant d’arriver en Syrie en 2012 ou un cargo contenant des explosifs, des armes et de l’argent arrêté au large du Yémen.


Carte 3 : Flux de trafic illicite d’armes en provenance de l’Iran

Les pays du Golfe ont armé les rebelles en Syrie et en Libye bien avant que les États-Unis et l’Union européenne ne commencent à le faire. Une culture du secret dans le domaine des ventes d’armes permet aux dirigeants de réaliser des exportations vers des groupes non-étatiques que les États-Unis et l’UE interdisent. L’Arabie saoudite est le premier acheteur d’armes états-uniennes et européennes et elle utilise ses surplus comme un outil de politique étrangère bien qu’elle ne produise pas elle-même. Le Qatar exporte également des armes européennes vers des utilisateurs finaux non-autorisés. Le droit des populations à se défendre est mobilisé pour justifier ces pratiques, qui accroissent l’influence du Qatar et de l’Arabie saoudite dans les autres pays arabes, non sans provoquer des rivalités entre eux.

Les États au détriment desquels se développent les groupes armés cherchent par ailleurs des moyens de faire respecter leur autorité, mais le matériel dont disposent leurs armées et les doctrines militaires traditionnelles ne sont pas adaptées à la lutte contre un ennemi difficile à saisir. Depuis le milieu des années 2000 des réponses politiques sont élaborées, via des initiatives d’amnistie et de rééducation. L’Arabie saoudite a par exemple mis en place une politique de prévention, de réhabilitation et de réinsertion afin de « déradicaliser » les jeunes tentés par le jihad, dont s’inspirent désormais les pays occidentaux.

A LIRE SUR LES CLES DU MOYEN-ORIENT :

 Géographie des forces militaires au Moyen-Orient

 L’État islamique en cartes

 Rébellion chiite au Yémen

 Yémen : des fractures toujours ouvertes

Bibliographie :

 BOULANGER Philippe, Géographie militaire et géostratégie, Paris, Armand Colin, 2011.

 Conflict Armament Research, Islamic state weapons in Iraq and Syrie, Londres, septembre 2014.

 Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, Sur les traces des armes dans le dédale proche-oriental, Bruxelles, 2013.

 Global Terrorism Database, http://www.start.umd.edu/gtd/

Publié le 11/12/2014


Élève à l’École normale supérieure, Corentin Denis s’intéresse à l’histoire et à la géopolitique du Moyen-Orient. Il met en œuvre pour les Clés du Moyen-Orient les méthodes d’analyse et de cartographie employées dans le cadre d’un mémoire de master de géopolitique portant sur l’Océan Indien.


 


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