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Le Bund est l’un des principaux mouvements politiques juifs de la Pologne des années 1930. Après avoir été détruit pendant la Seconde Guerre mondiale, le Bund voit ses membres se disperser, une partie d’entre eux partant pour Israël.
Depuis Tel-Aviv, ils n’ont jamais cessé d’appartenir à la famille du Bund et d’œuvrer pour leur combat socialiste et yiddishiste. Que reste-t-il du Bund aujourd’hui dans le monde ? Que signifie être bundiste en Israël [1] ?
1897 est une année charnière. C’est la naissance de deux partis politiques juifs que tout oppose : le sionisme politique lors du Congrès de Bâle animé par Theodor Herzl ; l’Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie, plus généralement connu sous le nom du Bund qui signifie « alliance » ou « union ». C’est le premier parti politique juif socialiste et laïc destiné à représenter la minorité juive de l’Empire Russe [2] et à l’unifier dans un parti socialiste unique. Internationalistes, ses membres le considèrent comme un détachement du mouvement socialiste russe et non comme un parti exclusivement juif. En cela, le Bund rompt avec la tradition juive, les rabbins ne manquant pas de condamner leurs actions contre le tsarisme. Idéologiquement, le Bund se rapproche du parti social-démocrate russe et s’oppose vigoureusement au sionisme et au communisme dont il critique les visées centralisatrices. Suivant l’idéal de la « doikayt », « ici-té » en français, qui signifie « être ici », lutter ici et maintenant, les bundistes militent pour une Russie démocratique et socialiste. Plus qu’un parti politique, le Bund est aussi un mouvement culturel très attaché à la culture et à la langue yiddish. C’est aussi un syndicat qui défend les intérêts des travailleurs juifs, et plus largement de tous les ouvriers, promouvant l’égalité homme/femme et des hommes en général.
Après sa création dans un grenier de Vilnius le 7 octobre 1897 par une dizaine d’actifs, le Bund connait en Europe un développement rapide. En 1905, à l’heure de la première révolution russe, ils sont à la pointe de la revendication, comptant déjà 30.000 adhérents, soit à cette date le même nombre de membres qu’à la SFIO [3] en France.
L’arrivée du communisme en Europe de l’Est en 1917 et l’augmentation des pogroms en Russie entament le repli du Bund sur la Pologne indépendante de 1918 à 1939. Il connait alors ses jours de gloire. Militant pour une république démocratique accordant une forme d’autonomie culturelle et linguistique pour les juifs, il devient le plus important parti juif de Pologne lors des élections municipales de 1939. Il bénéfice alors d’un ancrage social solide fondé sur un réseau d’entraide et diverses organisations comme le SKIF (Sotsyalistisher Kinder Farband), l’union des enfants socialistes juifs.
Mais, l’invasion de la Pologne en 1939 par l’Allemagne et l’Union soviétique et le début de la Seconde Guerre mondiale viennent anéantir le mouvement et sa base militante. Près de six millions de juifs meurent dans les camps de concentration, dont trois millions en Pologne [4]. Victor Alter et Henryk Erlich, deux chefs emblématiques du Bund, arrivent à fuir en Russie mais ils sont victimes des purges staliniennes.
En 1949, une conférence internationale du Bund qui se tient à Bruxelles tente de le faire renaitre. C’est une nouvelle page qui s’ouvre pour le parti. Plusieurs sections se forment alors aux Etats-Unis, en Australie, en France ou encore en Israël. La vague d’antisémitisme qui touche l’Europe de l’Est dans les années 1950 pousse en effet la majorité des juifs à s’exiler, les activistes bundistes se sentant trahis dans leur idéal socialiste par le Parti Communisme au pouvoir.
Grâce aux émigrés d’Europe de l’Est disséminés aux quatre coins du monde après la Seconde Guerre mondiale, le Bund réussit à renaitre de ses cendres. Plusieurs centaines d’activistes bundistes, tout comme de nombreux juifs émigrés de Pologne, choisissent Israël essentiellement pour y retrouver leur famille.
Une fois sur place, ils tentent de récréer une communauté socialiste. Dans le reportage d’Eran Torbiner, un homme du nom de Joseph se rappelle : à son arrivée, il commence à travailler dans une industrie textile où il retrouve ses amis du Bund. Les employés s’organisent en groupe de travail, communiquent en yiddish et promeuvent l’égalité de salaire et de statut. Mais cette tentative de vie communautaire prend fin rapidement.
Une partie des bundistes décide d’intégrer les partis de la gauche sioniste. D’autres, cependant, se revendiquent clairement non-sionistes et restent fidèles à l’idéal du « doikayt » en s’investissant dans la vie politique et sociale de leur nouveau pays d’adoption. En 1951, Isachar Artuski, ancien communiste polonais qui a rejoint le Bund en 1935, crée ainsi à Tel Aviv le parti Arbeter-ring in Yisroel-Brith Haavoda, section israélienne du Bund dans le but de poursuivre son combat en restant fidèle au socialisme et à la culture yiddish. Ses membres se font entendre en écrivant régulièrement dans la presse israélienne en yiddish comme Die Woche, hebdomadaire du Mapaï, ou dans Lebns Fragn, bimensuel créé par Artuski. Ils fondent également un fonds d’entraide, ainsi que plusieurs écoles où les enfants reçoivent un enseignement en yiddish, et organisent de nombreuses réunions consacrées à la critique du sionisme.
Car le sionisme et le bund s’opposent sur de nombreux aspects. Pour Henri Minczeles, le Bund est internationaliste, puis nationaliste. C’est l’inverse pour le sionisme, d’abord nationaliste puis internationaliste. Le premier considère qu’Israël est un pays comme un autre alors que le second combat pour que la terre de Canaan devienne le foyer de référence du peuple juif. C’est pourquoi, après la Seconde Guerre mondiale, la propagande sioniste encourageait les juifs d’Europe persécutés à choisir Israël alors que le Bund les invitait à choisir la destination de leur choix. Dans le reportage d’Eran Torbiner, Pola Belek, bundiste convaincu, proclame encore que les juifs peuvent vivre partout, qu’Israël n’est pas le centre du monde et que la dispersion n’est pas un mal. Cet attachement fondamental des bundistes à la notion de peuple juif en diaspora provoqua même une critique acerbe du théoricien marxiste russe Guorgui Plekhanov en 1905 qui les définit comme « des sionistes qui ont le mal de mer », révélant par là le peu de considération que les marxistes orthodoxes leur accordaient. En revanche, nonsionistes, les bundistes israéliens ne sont pas pour autant antisionistes. Ils se perçoivent eux même comme des Israéliens à part entière et ils soutiennent, lors des élections, le parti travailliste israélien, nommé Mapaï entre 1930 et 1968, aussi membre de l’Internationale socialiste [5].
En 1959, le Bund participe même aux élections législatives sous le nom de l’Union Socialiste afin d’offrir aux Israéliens une alternative politique au sionisme. Le parti compte alors près de 3000 membres. Leur programme politique résume bien leur pensée sur le sionisme politique, idéologie dominante en Israël. En tant que socialistes, ils dénoncent l’idéal capitaliste des partis sionistes dans un pays où les inégalités sociales sont parmi les plus élevées des pays dits développés. En tant que parti laïc et internationaliste, ils dénoncent la domination de la religion en politique et ils refusent la prétention d’Israël à représenter l’ensemble du peuple juif. Ils ont une vision diasporique du peuple juif, multipolaire. En tant que mouvement yiddish, il dénonce l’utilisation exclusive de l’hébreu à l’école et dans la vie publique [6]. Le Bund promeut en effet l’utilisation du yiddish et non de l’hébreu que les sionistes ont voulu faire revivre. Ils se veulent enfin le parti de la paix contre le parti de la guerre que représentent pour eux les sionistes. Leur slogan de campagne est éloquent : « pour une politique de paix, votez pour le Bund ». Ils promeuvent la paix avec les Arabes, la fin de la colonisation dans les Territoires palestiniens et l’autonomie politique de la Palestine.
Ils tentent. Mais ils échouent. Les résultats du scrutin sont sans appel. Ils remportent seulement 0.1% des voix, soit moins de 1500 votes. Dans un espace politique et culturel dominé et conçu par les sionistes, le parti du Bund n’arrive pas à s’implanter durablement. C’est bien l’échec de son parti que constate Artuski dans un numéro de 1966 du Lebns Fragn : il déplore des moyens financiers insuffisants, le manque de forces intellectuelles et militantes et le constat inéluctable du succès du sionisme dont l’influence se propage dans la population juive d’Israël.
Jusqu’à ce jour, le Bund israélien est resté fidèle à ses principes laïc, social-démocrate, révolutionnaire et yiddishiste. C’est ainsi que les activistes s’insurgent contre la politique israélienne après la guerre des six jours en 1967 parlant d’une « victoire sans paix ». Ils dénoncent l’occupation du Golan et des Territoires palestiniens : « (…) et nous cessions d’être une démocratie ». En 2006, un numéro du Lebns Fragn critique le comportement « barbare et inhumain » dont le gouvernement a fait preuve pendant le « bourbier libanais », compromettant l’existence du peuple juif. Encore dans numéro d’août 2010, les derniers bundistes se demandent « qui nous apportera la paix ? ».
Après une phase aigüe de militantisme idéologique et culturel dans les années 1950 et 1960, le mouvement décroit lentement, surtout après la mort en 1971 d’Artuski qui donne lieu à une procession depuis sa maison jusqu’au cimetière où les participants entonnent l’Internationale socialiste. Ils se réunissent encore le mercredi, deux fois par mois, dans un vieux bâtiment gris ouvert de 10h à 14h et situé au sud de Tel-Aviv. On y trouve une bibliothèque riche d’une vaste littérature en Yiddish. Leurs deux principaux rassemblements sont le 19 avril, jour de la révolte du ghetto de Varsovie où ont participé les militants bundistes, et le 1er mai, jour de la fête du travail. Les images capturées par Eran Torbiner nous montrent les derniers représentants d’un mouvement politique et culturel qui connait en Israël ses derniers moments, soit une dizaine de personnes âgées qui chantent et évoquent les heures de gloire du Bund avec nostalgie.
Bibliographie :
– Soirée-débat organisée par le Centre Communautaire Juif à Bruxelles le jeudi 12 septembre 2013.
– Daniel Blatman, For our freedom and yours : the Jewish Labour Bund in Poland 1939-1949, Vallentine Mitchell, 2003.
– Henri Minczeles, Histoire générale du Bund, un mouvement révolutionnaire juif, Austral, 1995.
– David Slucki, The International Jewish Labor Bund after 1945 : Toward a Global History, Rutgers University Press, 2012.
Mélodie Le Hay
Mélodie Le Hay est diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où elle a obtenu un Master recherche en Histoire et en Relations Internationales. Elle a suivi plusieurs cours sur le monde arabe, notamment ceux dispensés par Stéphane Lacroix et Joseph Bahout. Passionnée par la culture orientale, elle s’est rendue à plusieurs reprises au Moyen-Orient, notamment à l’occasion de séjours d’études en Israël, puis en Cisjordanie.
Notes
[1] C’est à ces questions que le documentaire « Bunda’im » réalisé par Eran Torbiner en 2011 (Eran Torbiner est un réalisateur indépendant israélien. Il a obtenu un diplôme en sciences politiques à l’université de Tel Aviv. Il a réalisé plusieurs films sur le Moyen-Orient : Madrid before Hanita. A documentary on volunteers from Palestine in the International Brigades during the Spanish Civil War (2006) ; Matzpen. Anti Zionists in Israel (2003).) et l’ouvrage du journaliste et historien Henri Minczeles (Histoire générale du Bund, un mouvement révolutionnaire juif, Austral, 1995) tentent de répondre.
[2] L’Empire tsariste comprend alors la Lettonie, la Biélorussie, l’Ukraine, la Lituanie et une partie de la Pologne.
[3] Section Française de l’Internationale Ouvrière, créée en France en 1905.
[4] Ce sont les estimations les plus courantes, bien que ces chiffres soient encore débattus.
[5] D’ailleurs, lors de son troisième Congrès à Montréal en 1955, l’International Jewish Labor Bund (Bund travailliste juif) affirme que la création de l’Etat d’Israël est un fait important dans l’histoire juive pouvant s’avérer positif si quelques changements étaient opérés.
[6] L’hébreu est la langue de la Bible hébraïque, parlée depuis l’Antiquité. Le yiddish est né au XIIe siècle dans les communautés juives de la diaspora, c’est une langue métissée parlée par les 2/3 des juifs avant la Seconde Guerre mondiale. Elle est aujourd’hui en voie de disparition, concurrencée par l’hébreu.
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