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Ziad Majed est politologue libanais, professeur des études du Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris et coordinateur du Réseau arabe pour la démocratie.
Il est l’auteur de plusieurs études sur les réformes et transitions politiques au Liban et dans le monde arabe. Il vient de publier "Syrie, la révolution orpheline" chez Actes Sud, en avril 2014.
Sans rappeler les détails de l’historique de la révolution syrienne qui a connu plusieurs phases : manifestations pacifiques (mars – août 2011), manifestations parallèlement à une résistance armée (septembre 2011 – juin 2012) et lutte armée depuis juillet 2012, il faut dire aujourd’hui que le régime Assad contrôle moins de 50% du territoire syrien, et que dans les régions libérées, néanmoins bombardées régulièrement par l’aviation du régime, plusieurs groupes de l’opposition armée s’installent. Auprès d’eux, des comités civils et des structures qui gèrent plusieurs aspects de la vie quotidienne (services, soins médicaux, enseignement, etc…) sont également présents.
Pour revenir aux groupes armés qui combattent le régime, il existe aujourd’hui quatre catégories :
– L’armée syrienne libre (ASL) : très affaiblies et mal équipées, les brigades de cette armée maintiennent une présence militaire dans les gouvernorats d’Idlib (nord), de Deir Ezzor (est), de Hama (centre), de Deraa et Qoneitra (sud).
– Les brigades indépendantes : à l’origine faisant partie de l’ASL, ces brigades sont maintenant autonomes et parfois isolées (chacune se bat dans la localité à laquelle appartient ses combattants). Elles sont surtout présentes dans la Ghouta de Damas, dans le sud, à Homs (centre) et ses alentours, à Idlib (où ils forment deux alliances « le front des révolutionnaires de la Syrie » et « Hazm ») et à Alep.
– Le front islamique : composé de sept formations islamistes syriennes, ce front est le plus puissant et le mieux armé. Il est sur les fronts autour de Damas, à Idlib et Alep (nord), à Deir Ezzor, et dans d’autres localités.
– Le front Annosra : engagés sur la plupart des fronts contre les forces du régime, les combattants d’Annosra sont moins nombreux que les membres des autres groupes. Ils sont par contre plus disciplinés et mieux entrainés, d’où leur impact militaire et médiatique important. Ils sont également les plus radicaux d’un point de vue idéologique.
A ces groupes opposés au régime, s’ajoute un autre qui occupe le gouvernorat de Raqqa (au nord-est) et qui maintient une présence à l’est d’Alep, et dans la région de Deir Ezzor. Il s’agit de « l’Etat Islamique en Iraq et au Levant » (l’EIIL). Ce groupe ne fait pas partie de l’opposition ou de la révolution syrienne. D’ailleurs, il est en conflit armé avec la plupart des groupes mentionnés plus haut. Constitué à majorité de jihadistes étrangers, ce groupe profite de la situation actuelle pour prolonger son « expérience iraquienne ». Il n’est pas concerné par la lutte contre le régime d’Assad, mais plutôt par l’instauration de son autorité dans les zones qu’il contrôle, et ses premières victimes sont les militants laïques et islamistes anti-régime (des centaines parmi eux ont été assassinés ou emprisonnés, et des centaines d’autres sont morts dans les combats qui opposent l’EIIL aux différents groupes armés de l’opposition depuis décembre 2013). Il est également responsable de l’enlèvement de journalistes syriens et étrangers, et de personnalités amies de la révolution comme le père Paolo. Dans ce sens, l’EIIL est un allié objectif du régime Assad. Il sert sa propagande et affaiblit ses ennemis, ce qui explique le fait que l’aviation du régime par exemple épargne ses positions de tout bombardement, au même moment où elle bombarde les quartiers civils autour de ces mêmes positions.
Des combats violents se déroulent sur plusieurs fronts. Le régime mène des offensives dans les gouvernorats de Homs et de Damas, et tout au long de la frontière libanaise. Il a réussi grâce à son aviation militaire, aux drones iraniens, et au grand soutien fourni par les milices du Hezbollah libanais et des formations chiites iraquiennes dépêchées par Téhéran pour l’aider, à reprendre plusieurs localités que l’opposition contrôlait.
De son côté, l’opposition a ouvert un nouveau front dans le gouvernorat de Lattaquié, fief du régime, l’obligeant à mobiliser des troupes pour défendre ses positions dans la région peu inquiétée militairement auparavant. Elle mène aussi depuis des semaines des opérations militaires visant à encercler les forces du régime dans la partie qu’il contrôle dans la ville d’Alep, et à prendre l’aéroport militaire de Deir Ezzor, position stratégique aidant le régime à défendre ses bases militaires dans la région.
L’opposition mène également des offensives dans le sud du pays, région qui inquiète le plus le régime, puisqu’une déroute militaire de ses troupes là-bas signifierait la fin de son siège de la Ghouta et des banlieues sud de Damas, ouvrant la voie à l’opposition vers la capitale.
Nous pouvons ainsi dire qu’aucun des deux camps n’est en mesure de remporter une victoire militaire. Le régime est très affaibli et compte de plus en plus sur les milices étrangères libanaises et iraquiennes pour mener ses offensives. Il n’arrive à se maintenir dans les régions où l’opposition attaque que grâce à son aviation. L’opposition est toujours active, mais elle manque de coordination et d’armement efficace, surtout de missiles anti-air qui auraient pu changer beaucoup de choses sur le terrain (et auraient pu aussi protéger des populations civiles bombardées quotidiennement par l’aviation).
Il y a deux catégories favorables au régime. Une constituée de la majorité des familles des officiers et responsables de ce régime, notamment dans la communauté alaouite, de même que des familles des hommes d’affaires qui ont profité au cours des dernières décennies (et qui sont de toutes les communautés). Ceux-là se considèrent sur le même bateau avec les caciques du régime (le clan Assad) et se sentent directement menacés par sa chute.
L’autre catégorie est plus large, et est constituée de tous ceux qui ont peur du changement : ils préfèrent la « stabilité » à la « liberté », et craignent l’après Assad, se basant dans leurs discours sur le scénario iraquien. Parmi ceux-là, nous trouvons surtout des Syriens issus des minorités religieuses, ou des classes urbaines aisées.
Quant aux risques si le régime tombe, il est difficile de les prévoir. Il est sûr que la transition sera très difficile et les défis nombreux. Par contre, nous savons aujourd’hui et après plus de trois ans de catastrophes, que s’il ne tombe pas, les massacres continueront, les destructions et le déplacement également, et les risques pour l’avenir s’élèveront donc d’avantage…
La situation humanitaire en Syrie est considérée comme l’une des plus tragiques depuis de longues décennies. Plus de 150 mille morts, 200 mille personnes détenues dans les geôles du régime dans des conditions terribles (11 milles personnes ont déjà trouvé la mort sous la torture dans ces geôles), des centaines de milliers de blessés, 9 millions de déplacés (soit 40% de la population) dont 2,5 millions vers les pays voisins, et des destructions terribles dans la majorité des régions.
Le régime a utilisé les armes balistiques (missiles Scud), l’arme chimique, les barils explosifs, la torture et la politique de la faim pour opprimer ses opposants et pour punir ou soumettre les régions qu’ils contrôlent de nouveau à son autorité. Des milliers de civils sont mort de faim ou de maladie dans les zones rebelles assiégées, autour de Damas, à Homs, et dans les camps de réfugiés palestiniens, surtout à Yarmouk. Depuis Genève 2, peu de choses ont changé, et les organisations internationales, y compris les agences concernées des Nations unies, ont publié ces deux derniers mois plusieurs rapports sur le refus du régime d’Assad de coopérer ou de laisser passer les provisions et les médicaments aux zones assiégées.
Les deux pays qui souffrent le plus des conséquences de la situation en Syrie sont le Liban et l’Iraq. Tous deux connaissent des clivages politiques et confessionnels et des tensions qui s’accentuent depuis que le conflit syrien fait rage, et tous deux sont affectés directement par le fait que des milliers de leurs jeunes combattent en Syrie dans les rangs des forces du régime. A cela s’ajoute l’impact des jihadistes sur la scène iraquienne puisque ces derniers voyagent entre les deux pays, et la direction de leur principale formation (l’Etat Islamique en Iraq et au Levant) est basée du côté iraquien de la frontière. Quant au Liban, c’est la présence de plus d’un million de réfugiés syriens (dans un pays qui compte près de 4 millions d’habitants) qui est alarmante. La majorité de ses derniers vivent dans des conditions difficiles, et le temps ne fera qu’aggraver leurs conditions à cause du manque d’aide humanitaire qu’ils reçoivent.
Je pense qu’il y a plusieurs raisons : le déclin des valeurs universelles et l’isolationnisme qui gagne de plus en plus vu les crises économiques et la montée en puissance des approches culturalistes ; les théories de complot qui occultent les visages des Syriens et les remplacent par des considérations géostratégiques ou des analyses naïves sur la laïcité du régime Assad et l’islamisme de ses opposants ; et il y a surtout une volonté de prétendre que « le conflit en Syrie est aujourd’hui entre deux barbaries : celle des Assad et celle des jihadistes, et qu’il faut donc éviter d’intervenir ».
Tout cela contribue à l’indifférence que nous découvrons, et aux hésitations politiques qui ne font que prolonger le calvaire des Syriens et qui finiront par renforcer deux barbaries qui peuvent très bien coexister : celle des Assad et celle des jihadistes.
Nous sommes aujourd’hui face à des crimes contre l’humanité commis par un régime en toute impunité. Nous sommes face à une production de la mort à une échelle industrielle, et le silence n’est qu’une lâcheté, une honte.
Ilham Younes
Juriste de formation et diplômée de l’Institut des Sciences Politiques de Paris, Ilham Younes s’est spécialisée sur les relations Union européenne/Proche-Orient avec pour objectif de travailler dans la recherche sur ces questions. D’origine franco-palestinienne, elle a créé en 2007 et préside toujours l’association « Printemps de Palestine » dont le but est de promouvoir la culture palestinienne au travers de festivités, d’expositions ou encore de concerts.
Rédactrice-chercheur pour Carto et Moyen-Orient de janvier à mai 2012, et assistante de recherche auprès de Pascal Boniface (directeur de l’IRIS) de janvier à mai 2013 , elle a rédigé de nombreux articles sur la situation politique en Jordanie, en Égypte, ou encore au Liban. Elle s’est plus récemment impliquée aux côtés de la délégation diplomatique palestinienne pour l’éducation et la culture au cours de la 37ème Conférence générale de l’UNESCO.
Ziad Majed
Ziad Majed est politologue libanais, professeur des études du Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris et coordinateur du Réseau arabe pour la démocratie.
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