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Khaled DESOUKI / AFP
La mobilisation-surprise du 20 septembre dernier ne s’est pas reproduite. Elle était inédite dans son ampleur depuis 2013. Comme le souligne Youssef el Chazli, chercheur en sciences politiques spécialiste de l’Egypte (1), de nombreuses personnes étaient présentes dans les rues, dont des supporters de football, toujours prompts à se mobiliser contre la police. Ceux-ci ont peut-être bénéficié d’un moment de flottement de la part des forces de sécurité, le président Sissi étant en route pour New York à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies. Peut-être aussi d’un excès de confiance des forces de sécurité qui n’ont pas cru à une mobilisation - d’autant plus étonnant que celle-ci était ouvertement annoncée, notamment sur Facebook.
Un deuxième round était prévu pour le vendredi 27, mais en une semaine, l’Etat a eu largement le temps de se réorganiser. L’accès à la place Tahrir, emblématique de la révolution de 2011, a été complètement verrouillé. Plus de 2000 personnes - pour la plupart, des hommes jeunes, issus de quartiers défavorisés - ont été arrêtées pendant ces quelques jours, selon la Commission égyptienne pour les droits et libertés. C’est la plus grande vague d’arrestations depuis l’arrivée de Sissi au pouvoir. Ainsi que des figures mobilisatrices, ou vues comme telles par les forces de sécurité, comme Alaa Abdel-Fattah au Caire ou Mahienour al Masry à Alexandrie, tous deux icônes de la mobilisation de 2011. Comme si le régime se donnait l’impression d’à la fois étouffer le carburant et les étincelles de la conjonction d’événements qui ont amené à la chute de Hosni Moubarak.
Pourtant, aucune de ces figures ne s’est mobilisée le 20 septembre dernier. L’appel à manifester a été lancé par un personnage bien éloigné des militants pro-démocratie de 2011 : Mohamed Aly, un flambeur égyptien d’environ 45 ans, homme d’affaires, acteur à ses heures perdues et, depuis le 2 septembre dernier, devenue une figure contestataire de premier plan. L’homme se présente, depuis cette date, quasi quotidiennement surs sa chaîne Youtube, depuis l’Espagne où il vit désormais. Face à la caméra, un stylo dans une main, une cigarette dans l’autre, il dénonce, avec une allure nonchalante et calculée de beau gosse et de mauvais garçon, la corruption du régime égyptien en visant directement la personne d’Abd el Fattah al Sissi. Après avoir travaillé pendant une quinzaine d’années avec l’armée égyptienne, il estime que celle-ci lui doit 220 millions de livres égyptiennes - soit plus de 12 millions d’euros. Il parle de projets précis, d’immeubles qu’il est possible d’aller voir - ce qui permet aux spectateurs de constater par eux-mêmes où va l’argent public.
Alors que Mohamed Aly aurait pu boxer dans le vide, le président égyptien a choisi de lui répondre personnellement le 14 septembre - contre l’avis, selon le chef de l’Etat lui-même, de ses conseillers. L’entrepreneur, qui n’en demandait peut-être pas tant, continue de plus belle. Il ridiculise son adversaire, devise sur l’unité du monde arabe… Ces vidéos ont déclenché une cascade d’autres vidéos, comme celle d’un activiste du Sinaï, province dans laquelle l’armée la plus nombreuse du monde arabe piétine face à quelques centaines de djihadistes, mais aussi d’anciens officiers, d’accusateurs masqués plus ou moins loufoques, ou encore d’un professeur de Zumba…
La manifestation du 20 septembre a été un tournant. Elle fait à la fois référence à la mobilisation de 2011 tout en s’émancipant de ses revendications. Pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de M. Sissi, les manifestants du 20 septembre ont repris des slogans de l’époque - « Nous on reste, lui il part », « A bas le régime militaire », « Le peuple veut la chute du régime », et en ont inventé d’autres, comme « Descends, n’aie pas peur, Sissi doit partir ». C’est aussi la première fois que le chef de l’Etat - « mon dictateur préféré », pour Donald Trump, qui le qualifiait ainsi lors du dernier sommet du G7 à Biarritz - est directement visé par des vidéos qui ont été visionnées par des millions de personnes. Ceci rappelle le scénario de 2011, quand l’ancien président Hosni Moubarak concentrait la colère de la foule.
Il ne faut pas juger chaque manifestation au Caire à l’aune de celles de janvier et février 2011. C’est une nouvelle génération qui a manifesté, dans une Egypte qui a changé. Le 20 septembre dernier montre des forces de sécurité puissantes, mais qui peuvent être prises de court. Sur la défensive, elles semblent se préparer pour la guerre d’avant : arrêter les figures de 2011 et tenter d’éviter que la rue ne lui échappe. Promoteur d’une stabilité qui « paraît bien illusoire », comme le concluait le chercheur Baudoin Long dans son ouvrage L’Egypte de Moubarak à Sissi, ce dernier sait qu’à part Nasser, mort d’une crise cardiaque, tous les présidents égyptiens depuis l’indépendance ont connu une fin de règne brutale.
Samuel Forey
Né en 1981, Samuel Forey a étudié le journalisme au CELSA. Après avoir appris l’arabe en 2006-2007 à Damas, il s’installe en Egypte en 2011 pour suivre les tumultueux chemins des révolutions arabes.
Il couvre la guerre contre l’Etat islamique à partir de 2014, et s’établit en 2016 en Irak pour documenter au plus près la bataille de Mossoul, pour la couverture de laquelle il reçoit les prix Albert Londres et Bayeux-Calvados des correspondants de guerre en 2017. Après avoir travaillé pour la revue XXI, il revient au Moyen-Orient en journaliste indépendant.
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