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Le 26 février 2015, l’Etat islamique publiait une vidéo mettant en scène les destructions du musée de Mossoul, deuxième plus grand musée irakien, ainsi que des collections qu’il abritait : des centaines d’objets, de statues et de bas-reliefs d’origine assyrienne datant de plus de 3 000 ans. Parmi eux, le Lamassu, nom akkadien du génie protecteur, gardant les portes des palais assyriens de la ville de Ninive, cité du Tigre moyen, qui fut la capitale de l’Assyrie au VIIs. avant J.-C, « jadis la plus grande cité du monde » selon l’Unesco.
Le 5 mars, l’armée de l’EI détruit au bulldozer la ville de Nimrud « fondée au XIIIème siècle avant J-C et considérée comme la seconde capitale de l’Empire assyrien » [1].
Puis, le 7 mars, la cité de Hatra, « la ville du Dieu soleil », symbole du patrimoine culturel irakien et inscrit depuis 1985 sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, est détruite.
Selon l’organisation mondiale, le but affiché de l’EI est « clairement d’effacer l’histoire du pays ainsi que les identités et la diversité de ses habitants ». Irina Bokova, Directrice générale de l’Unesco, appelle à la mobilisation de la Cour pénale internationale et du Conseil de sécurité des Nations unies afin que la résolution 2199 du 12 février 2015, qui « condamne la destruction du patrimoine culturel et adopte des mesures juridiquement contraignantes pour lutter contre le trafic illicite des antiquités et des objets culturels d’Iraq et de Syrie » [2], soit mise en œuvre.
« Cette tragédie est loin d’être seulement un enjeu culturel : c’est un enjeu de sécurité majeur, et l’on voit bien comment les terroristes utilisent la destruction du patrimoine dans une stratégie de terreur, pour déstabiliser et manipuler les populations, et assurer leur domination [3] », analyse Irina Bokova à l’occasion de la conférence de presse suivant l’attaque du musée de Mossoul.
Ces destructions, selon Irina Bokova, « touche[nt] les fondements de notre humanité commune ». Cet article a ainsi pour objectif d’évoquer les deux sites détruits par l’EI, Nimrud et Hatra, qui font la grandeur et l’histoire du patrimoine culturel irakien, et qui constituent un volet incontournable de l’histoire des hommes.
Le site de Nimrud, aussi appelé Kalhu, est un site archéologique irakien situé sur le Tigre, près du confluent du Grand Zab. En 1845, le Britannique Austen Henry Layard entreprend des fouilles archéologiques, puis le site est longtemps délaissé au profit de son voisin Ninive. Dans les années 1950-1960, le département des Antiquités irakien est l’acteur majeur des fouilles effectuées sur le site, ainsi que des travaux de restauration entrepris.
La ville est l’une des plus grandes capitales néo-assyriennes (constituée des sites de Nimrud et de Tell‘Azar). La ville est construite sur une falaise surplombant le Tigre, située à 35 km de Ninive et donc de Mossoul. Il s’agit de l’une des plus grandes villes anciennes connues, construite sur environ 360 hectares dont 20 sont occupés par l’acropole [4]. Les débris d’objets en verre ou en céramiques retrouvés font remonter les origines du site au moins à la première moitié du IIIème millénaire av. J-C. La ville est ensuite mentionnée dans des sources littéraires à l’époque amorrite Peuple de langue sémitique vivant dans la Région du Proche-Orient au IIIème millénaire av. J-C. sous le nom de Kawalhum, puis est agrandie par le roi assyrien Salmanazar Ier (règne de 1263 à 1234 av. J-C).
Plan de la ville de Nimrud
Source : Dictionnaire de la civilisation, sous la direction de Francis Joannes, Ed. Robert Lafond, Paris, 2001.
L’évolution de la ville en capitale est l’oeuvre d’Assurnasirpal II (règne de 883 à 859 av. J-C), un des successeurs de Salmanazar Ier. Celui-ci entreprend les travaux nécessaires aux besoins de la population, qui selon les sources se révèle avoir été assez importante. Les travaux consistent principalement à creuser « le canal de l’abondance » qui part du Zab et rejoint la ville, à la plantation de jardins aux nombreuses variétés d’arbres et plantes destinées à recréer les paysages parcourus par le roi lors de ses campagnes militaires. Dans la ville, le roi fait construire un mur défensif quadrangulaire de 7 km environ, protégeant les quelques 360 hectares de la cité. Il ordonne également la construction de neuf temples et du palais nord-ouest qui était jusqu’alors le bâtiment le mieux conservé. Dans la partie intacte du palais, les archéologues distinguent les deux éléments traditionnels de l’architecture assyrienne : le bâbânu (la partie publique) et le bîtânu (la partie privée), sous le sol duquel a été retrouvé trois tombes royales.
Le palais se situe à proximité des temples d’Instar, de Ninurta et de sa ziggurat [5]. A la mort d’Assurnasirpal II, la ville demeure la capitale jusqu’à Sargon II qui règne de 721à 705 et accueille la construction d’autres palais : le « Palais brûlé » très bien conservée jusqu’à sa destruction par l’EI, ou encore, le « Palais central ». Ces ensembles royaux comportent des points architecturaux communs, comme la grandeur des salles de trônes et la présence de statues colossales à leurs entrées.
La capitale est ensuite déplacée à Dûr-Sarrukîn, puis à Ninive, mais la ville conserve un grand prestige. Nimrud est détruite par les Mèdes vers 614-612 av. J-C et des traces témoignent d’une tentative de restauration suite à une occupation néo-babylonienne [6], achéménide [7], parthe [8] et hellénistique [9]. La ville ne recouvre cependant jamais son importance passée et l’historien grec Xénophon, dont la ville apparait chez lui sous le nom de Larissa, qualifie le lieu de « déserté » dans son Anabase, (III, 4,). La ville subsiste en réalité sous la forme d’un village jusqu’au milieu du IIème siècle av. J-C. L’intérêt porté à cette ville renait avec les fouilles archéologiques du XX ème siècle.
Cité de Hatra
http://whc.unesco.org/include/tool_image.cfm?src=/uploads/sites/gallery/original/site_0277_0002.jpg&id_site=277
La ville est située à 50 km au nord-ouest d’Assur sur la rive droite du Tigre, près du wadi Tharthar, dans le désert de la basse Djéziré. La ville prospère pendant environ un siècle, de 100 avant J-C à 140 ap. J-C. Hatra constitue le cas le plus oriental et original de cité libre pendant l’époque romaine : elle est en effet gouvernée par une dynastie arabe locale, et devient au cours du Ier siècle ap. J-C le centre d’un petit royaume dépendant de l’Empire parthe (247 av. J-C. à 224 ap. J-C.). Restée mal connue pendant longtemps, la première entreprise archéologique est menée en 1907, mais les fouilles régulières ne débutent qu’en 1951.
La ville de Hatra accueille une population à la fois nomade et sédentaire, de langue araméenne. En effet, les inscriptions retrouvées dans la ville voient l’utilisation majoritaire de cette langue. Bien que les rois affirment être les « rois des Arabes », le terme « Arab’ » fait en réalité référence au mode de vie pastoral et nomade.
Le développement de cette principauté est à rapprocher de la présence attestée depuis la seconde moitié du Ier millénaire avant J-C de populations arabes nomades en haute Mésopotamie.
Située près d’une oasis et à proximité des salines du Tharthar, qui procure l’eau nécessaire au pâturage, la ville est un lieu de rassemblement pour les tribus de la steppe de Djézireh et un point favorable au développement de l’économie pastorale nomade. Cette position peut très certainement expliquer sa naissance et son développement.
Alors qu’elle est sous domination de l’Empire parthe, la ville constitue le centre d’une principauté arabe autonome et tire sa puissance de sa situation de monopole ou de contrôle des routes ralliant la vallée du Tigre à la haute Mésopotamie. La ville occupe donc une fonction importante dans l’économie pastorale de la haute Mésopotamie et un rôle commercial et stratégique déterminant, puisque constituant une étape pour les armées ou les caravanes commerciales [10] remontant de Séleucie-Ctésiphon vers Singera ou Nisibe. Hatra est également importante par son statut de centre religieux. Ainsi, les seuls vestiges identifiés sont les temples en pierre construits sur l’espace central de la cité. La ville s’est en effet développée autour d’un téménos (espace sacré) de 14 hectares qui en constitue le coeur, autour du sanctuaire de Shamash, le dieu-Soleil. Les archéologues supposent que c’est ce sanctuaire qui constitue au fils des années la richesse de Hatra, puisqu’il accueille, à l’occasion de fêtes religieuses où même toute l’année, les nomades de la région. Comme en témoigne les découvertes numismatiques, (certaines pièces retrouvées portent l’inscription « enclos du Soleil »), la ville était une ville-sanctuaire (hatra signifie enceinte en araméen).
Le nom de Hatra vient d’une racine sémantique connue signifiant « l’enclos » renvoyant probablement à sa forme circulaire. La ville de Hatra correspond en effet à un plan circulaire s’inscrivant dans une très ancienne tradition en Mésopotamie septentrionale. Plus orientale que Palmyre ou « port du désert », Hatra regroupe des canons architecturaux inconnus dans le reste du monde méditerranéen, constituant en cela le site le plus fructueux pour l’étude de l’architecture parthe, mais regroupe également des canons de l’art hellénistiques ou romains.
Avant les destructions de la cité par l’EI, celle-ci était entourée par deux enceintes circulaires concentriques, construites en briques crues sur une base de pierre, renforcées de tours et de bastions dont la fonction était probablement défensive. Une troisième muraille plus ancienne datant de la fin du Ier siècle se trouvait entre le rempart principal et le sanctuaire.
Au centre de la ville se trouvait une enceinte rectangulaire à l’intérieur desquels se dressaient les temples principaux. Ce complexe religieux s’étendait de 437 mètres sur 322 mètres, et était divisé en deux parties. Une esplanade était dans un premier temps dédiée probablement aux activités commerciales et commerçantes. Sur celle-ci s’élevait un temple d’architecture gréco-romaine dédié au dieu du soleil. Dans un second temps, se tenait un complexe sacré d’au moins quatre temples d’architecture parthe, richement décorée, et comprenant un iwan [11]. Au sein de la ville, les archéologues avaient dégagés quatorze autres plus « petits temples », bâtis en briques rouges sur une base de pierre et appartenant, selon les inscriptions, aux différentes tribus composant la population locale. Ces temples étaient dédiés à des dieux locaux et constituaient en cela des fondations privées. Selon les archéologues, ceux-ci avaient pour fonction de recevoir des banquets en l’honneur des particuliers ou des divinité. De nombreux reliefs et statues furent également découverts, représentant des dieux, le roi et sa famille, des prêtres, des militaires.
Plan de Hatra
Source : Dictionnaire de la civilisation, sous la direction de Francis Joannes, Ed. Robert Lafond, Paris, 2001
La ville de Hatra n’a jamais connu le christianisme puisqu’elle n’a jamais été conquise par les armées romaines. Sous le règne de Ardachêr Ier, roi perse qui prend la ville en 240, le zoroastrisme [12] connait un important renouveau et marque dans le même temps la fin de la période de domination de la religion grecque. Le panthéon adoré à Hatra, tel que le suggère les statues et les inscriptions, présente un syncrétisme fabuleux : une inscription place l’ensemble du sanctuaire sous la protection du soleil (Maran), de sa parèdre la lune et de leur fils Bar Marên. On y trouve aussi des dieux mésopotamiens (comme Samas, Istar), syro-araméen (Atargatis), arabe (Allat, Manat) et gréco-romain (Aphrodite, Apollon) et même une divinité mazdéenne.
Environ 500 inscriptions, difficilement datables et à la lecture incertaine, permettent cependant de reconstituer l’histoire de la ville.
La ville de Hatra cherche à conserver sa liberté et son autonomie vis-à-vis des deux grands empires entre lesquels elle était prise : celui des Parthes et celui des Romains. Cette volonté se concrétise par l’utilisation d’une langue unique pour les documents, l’expression arctique de la cité, ou les croyances et les coutumes de celle-ci. Mais cette principauté arabe autonome représente un obstacle à la politique expansionniste de Rome.
En 114, l’empereur Trajan (98 à 117 ap. J-C) envahit la Mésopotamie, prend la capitale parthe Ctésiphon et emmène son armée jusqu’au Golfe persique. Hatra, qui se trouve sur son chemin, est assiégée en 117 par les armées de Trajan. La ville résiste grâce à ses techniques de combats, parmi lesquelles l’utilisation meurtrière des jarres remplies de naphte enflammées ou d’insectes ou encore l’utilisation des balistes à deux flèches. Les armées de Trajan échouent, et lui-même est blessé.
Lors des fouilles archéologiques, le rempart qui a permis à la ville de résister a été retrouvé, ainsi que des inscriptions gravées mentionnent le personnage qui aurait défendu la ville : Worôd, dont la traduction correspondrait à celle de « seigneur ».
De 197 à 202, l’empereur Septième Sévère (193 à 211) est à l’origine d’une deuxième campagne contre les Parthes. Il tente de prendre la ville en l’assiégeant à deux reprises, en 197 (ou 198 selon différents historiens) et en 199, mais sans succès. Malgré une brèche des troupes romaines, le moral n’est pas bon et les soldats refusent de se battre lors d’un assaut de plus. Cette résistance fait de Hatra la dernière place forte appartenant à l’Empire parthe face aux armées romaines. En effet, Septième Sévère est victorieux dans le reste du territoire parthe. Les princes de Hatra s’emploient alors à la fortification de la ville jusqu’à sa chute en 240.
En 223, la dynastie parthe tombe. La dynastie des Sassanides s’impose alors avec son nouveau souverain, Ardachêr Ier, originaire de Perside [13] et fondateur de la dynastie. Il s’attaque à Hatra, assiégée très certainement dès 238. Après deux années de siège environ, la ville tombe.
La légende rapportée par des écrivains arabes voudrait que la ville ait été cédée par la fille du roi de Hatra à Ardachêr Ier en échange de sa promesse d’épouser cette dernière. Mais Ardachêr, une fois entré dans la ville, la détruit et fait exécuter la jeune fille au lendemain de leur mariage. Cependant, les archéologues n’accordent aucun crédit à cette légende puisque la fin de Hatra demeure inconnue à ce jour. Ce qui est certain c’est que, battue, assiégée, prise, rendue ou trahie, la ville disparait et la population est déportée, selon les pratiques des Sassanides.
L’armée romaine, qui rencontre en Ardachêr Ier un ennemi redoutable, tente de reprendre la ville mais c’est un échec, symbolisé en 260 par la désastreuse défaite de l’empereur Valérien (253-260, capturé en 260 par les troupes d’Ardachêr Ier), et la ville est laissée à l’abandon.
En 1190, un prince originaire de Mossoul établit un gîte d’étape dans les ruines de Hatra, étant située au carrefour d’importantes routes.
Hatra, avec Palmyre et Doura-Europos [14], ont des caractéristiques communes sur le plan architectural datant des Empires romain et parthe. Cependant, du fait du manque de source historique, épigraphique ou en rapport avec le fait religieux, beaucoup de faits restent encore inconnus. En outre, le travail des archéologues est dans un premier temps interrompu en 2003 en raison de la guerre en Irak et de ses conséquences, puis aujourd’hui, la ville étant victime, selon Irina Bokova, des « crimes de guerre » [15] de l’Etat islamique. La « ville du Soleil » est désormais plongée dans l’obscurité.
Bibliographie :
– Revue Archéologie, « Hatra, site irakien en danger », juillet-août 2009, n°334.
– Sous la direction de Francis Joannes, Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, Editions Robert Laffont, 2001.
– M.A Mustafa, Hatra, the City of the Sun God, Bagdad, 1974.
– Michael Roaf, Atlas de la Mésopotamie et du Proche-Orient Ancien, 1991, Brepols.
Louise Plun
Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.
Notes
[1] http://www.unesco.org/new/fr/media-services/single-view/news/unesco_mobilizes_the_international_community_to_end_cultural_cleansing_in_iraq/#.VQV8xEIc69Z
[2] http://www.unesco.org/new/fr/media-services/single-view/news/unesco_mobilizes_the_international_community_to_end_cultural_cleansing_in_iraq/#.VQV8xEIc69Z
[3] http://www.unesco.org/new/fr/media-services/single-view/news/unesco_calls_for_mobilization_to_stop_cultural_cleansing_in_iraq/#.VQg-bEK8L04
[4] Cité protohistorique située en hauteur.
[5] Ziggurat : édifice religieux mésopotamien à degrés, composé de plusieurs terrasses en briques menant au temple situé à son sommet (gigunu), accessible par un escalier.
[6] Période allant de 625 av. J-C à 539 av. J-C. (Périodisation du Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, sous la direction de Francis JOANNES, Editions Robert Laffont, S.A., Paris, 2001).
[7] Empire achéménide : de 539 av. JC à 331 av. J-C. Du roi fondateur Cyrus à la conquête d’Alexandre Le Grand.
[8] Empire parthe : de 247 av. J-C. à 224 ap. J-C.
[9] Période allant de la conquête d’une partie du monde méditerranéen et de l’Asie par Alexandre Le Grand (331 av. J-C) à la période romaine (environ 27 av. J-C).
[10] Fonction également caravanière supposée grâce à la découverte de représentations de dromadaires dans l’un des temples de la ville.
[11] Iwan : nom persan qui désigne un élément architectural sous la forme d’un espace voûté entièrement ouvert en façade caractéristique de l’époque parthe.
[12] Religion monothéiste dont le fondateur est Zarathushtra, apparue au Ier millénaire avant J-C.
[13] Ancienne contrée du sud-ouest de la Perse qui correspond aujourd’hui à l’actuelle province iranienne du Fars. Cette région fut le berceau des dynasties achéménide et sassanide.
[14] Ville de Mésopotamie fondée sur l’Euphrate au IIIème siècle. av. J.-C.
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