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1875-1878 : une crise de l’Empire ottoman

Par Clémentine Kruse
Publié le 23/03/2012 • modifié le 15/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Reproduction d’une lithographie : Signature du traité de San Stephano

RIA NOVOSTI, AFP

Révoltes dans les Balkans et début de la crise

Les deux traités de Londres des années 1840 avaient pacifié pour un temps la situation dans l’Empire ottoman, notamment la question égyptienne et le problème des Détroits. Ils n’avaient pas permis pour autant de régler de façon définitive « la question d’Orient ». Une grave crise s’ouvre alors entre 1875 et 1878. Elle débute en 1874 en Herzégovine, province européenne de l’Empire ottoman. Des villageois se révoltent contre des collecteurs d’impôts ottomans, ayant eu cette année là une récolte particulièrement maigre. Très vite les révoltes s’étendent à toute la province, entrainant des massacres de musulmans et des contre-massacres de chrétiens. Au milieu de l’été 1875, l’Herzégovine ainsi que la Bosnie et le Monténégro sont prêts à entrer en guerre contre la Sublime Porte.

Les puissances européennes décident alors d’intervenir et une conférence s’ouvre à Berlin en novembre. Elle réunit les trois Premiers ministres des Empires européens : Bismarck, Gortchakof et Andrassy. A la suite d’une note adressée au sultan, celui-ci promet d’accomplir les réformes demandées. Il n’en demeure pas moins que dans le même temps, les révoltes sont durement réprimées. Ainsi, en 1876, l’intervention de Ahmed Muhtâr Pacha, général de l’armée ottomane, provoque le départ de nombreux chrétiens qui affluent vers l’Autriche et les principautés balkaniques autonomes. En avril, la Bulgarie se soulève à son tour ce qui entraine une nouvelle répression de la part de l’Empire ottoman. Le 13 mai 1876, les puissances européennes décident de se concerter à nouveau à Berlin. Elles durcissent le ton : si les réformes promises ne sont pas mises en œuvre, l’Autriche et la Russie occuperont des territoires. C’est l’affolement à Istanbul : on craint l’arrivée des troupes russes et de nombreux chrétiens quittent la ville s’ils en ont la possibilité. La crise politique se mue en une crise institutionnelle.

Réformes et premières tentatives de sortie de la crise

Le 11 mai 1876, de nombreux manifestants envahissent les grandes mosquées et les grandes places d’Istanbul. Le Sultan, sous la pression populaire, renvoie le cheykh ül islam, Hasan Fehmî Efendi ainsi que son grand vizir, Nedîm Pacha, considérés par la population comme russophiles et laxistes. Ils sont remplacés par Midhat Pacha et Hüseyin Avnî Pacha qui ont la faveur populaire. Cependant, des dissensions apparaissent très rapidement entre le Sultan et ses nouveaux ministres. Les ministres décident alors de destituer le sultan : le 29 mai 1876 l’armée encercle le palais de Dolmabahtche et les voies de communication maritimes sont coupées. Les ministres prêtent alors serment au prince Murâd, fils aîné du Sultan, qui devient Murâd V. Cependant, celui-ci est atteint de troubles nerveux qui croissent avec ses nouvelles responsabilités et les ministres ont de nouveau recourt à la destitution. Le 31 août 1876, Murâd V est déchu et le 1er septembre Abdül Hamid II le remplace.

Pendant l’été 1876, les mouvements de protestation et de révolte ont repris en Bulgarie, en Herzégovine et en Bosnie. Le 26 mai, la Serbie et le Monténégro ont formé une alliance et déclarent la guerre à la Sublime Porte le 2 juillet. Quant aux grandes puissances, elles durcissent leurs positions, il est désormais question d’un partage d’influence entre l’Autriche et la Russie dans les Balkans. Cependant, l’armée ottomane démontre sa supériorité sur la Serbie et le Monténégro. Le 31 octobre 1876, la Russie qui convoite de nombreuses possessions ottomanes, présente un ultimatum : si les Ottomans ne se retirent pas des provinces occupées sous 48 heures, elle attaquera. Une conférence s’ouvre à Istanbul le 23 décembre 1876. Afin de parer aux demandes européennes, la Sublime Porte annonce la promulgation d’une Constitution. C’est l’aboutissement d’un processus de réformes long de quarante ans. La conférence se poursuit mais se solde par un échec et se clôt le 20 janvier 1877. A Istanbul, les députés du Parlement nouvellement élus et la Chambre des notables débutent leurs travaux le 29 mars 1877. La crise politique ouverte dans les Balkans a donc mené, temporairement, à une réforme de l’Empire ottoman et à l’avènement d’un nouveau Sultan.

La guerre russo-ottomane et le règlement de la crise

La crise n’est pas réglée pour autant car la Russie, insatisfaite de l’échec de la conférence d’Istanbul, décide d’attaquer l’Empire ottoman. Après s’être assurée que les puissances européennes n’interviendront pas en cas de guerre contre l’Empire ottoman et de pouvoir faire transiter ses troupes par la Roumanie, la Russie déclare la guerre le 19 avril 1877. Son objectif est d’atteindre Istanbul et les Détroits, et de s’emparer de l’Anatolie orientale. La guerre tourne rapidement en faveur de la Russie, et la Serbie et le Monténégro profitent de la situation favorable pour entrer à leur tour en guerre contre la Sublime Porte. Face aux défaites militaires, le Sultan est contraint de signer l’armistice à Edirne le 31 janvier 1878 tandis qu’à Istanbul, le parlement réclame des comptes au Sultan sur la façon dont a été menée la guerre. Le 14 février, celui-ci prend la décision de dissoudre le parlement et la Constitution est abrogée.

Une conférence de paix s’ouvre à San Stefano. L’Empire ottoman n’a d’autres choix que d’accepter les conditions du Tsar. Celui-ci réclame notamment l’indépendance de la Roumanie, du Monténégro et de la Serbie ainsi que la création d’une principauté bulgare autonome et des réformes en Bosnie et en Herzégovine. Le 3 mars, le traité de San Stefano est signé, l’Empire ottoman n’ayant pu négocier les conditions de paix de la Russie. Cependant, les autres grandes puissances européennes ne peuvent accepter cette emprise de la Russie sur les Balkans et un tel affaiblissement de l’Empire ottoman. La flotte britannique s’installe près d’Istanbul afin de soutenir l’Empire ottoman. L’Autriche quant à elle, est encore plus menaçante, refusant catégoriquement de telles conditions. Le 13 juillet 1878 est signé le traité de Berlin. Celui-ci entérine l’indépendance de la Roumanie, du Monténégro et de la Serbie mais la grande Bulgarie que prévoyait le traité de San Stefano est divisée, de même qu’il n’y a pas de Grande Serbie ; la Bosnie et l’Herzégovine demeurent ottomanes. Le montant des réparations de guerre, qui s’élevait à 400 millions de roubles, est revu à la baisse. Les puissances européennes souhaitaient ainsi empêcher la Russie et la Serbie de mettre en oeuvre leur projet pan-slaviste en créant des petites principautés et des territoires autonomes. Le découpage effectué est cependant contestable, et crée plus qu’il n’apaise, des rivalités. L’Empire ottoman est considérablement affaibli par le traité : il perd la plus grande partie de ses possessions balkaniques, Chypre, cédée à l’Angleterre en échange de son soutien, ainsi que plusieurs provinces d’Anatolie orientale, cédées à la Russie.

La crise de 1875 à 1878 a provoqué de nombreux changements. L’Empire ottoman est considérablement affaibli sur le plan de la politique internationale et diminué sur le plan territorial. Dans le cadre de la politique intérieure, la promulgation de la Constitution qui représentait l’aboutissement des réformes ouvertes sous l’ère des Tanzimât s’apparente à un échec car elle est abrogée moins d’un an après et le pays s’engage, sous Abdül Hamid II, dans plusieurs décennies d’autocratie, jusqu’à la révolution des jeunes turcs de 1908. Cette crise n’est pas la première qu’a connue l’Empire ottoman au XIXème siècle, ni la dernière. Elle est cependant particulièrement révélatrice des revendications nationales qui secouent l’Europe et le Proche-Orient au XIXème siècle, ainsi que du jeu des grandes puissances européennes, divisées face à « la question d’Orient » entre le démembrement, ou non, de l’Empire ottoman.

Bibliographie :
Jean-Claude Caron et Michel Vernus, L’Europe au XIXème siècle : des nations aux nationalismes, Paris, Armand Colin, 2011, 493 p.
Henry Laurens, L’Orient arabe : arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 2002, 336 p.
Sous la direction de Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1994, 810 p.

Publié le 23/03/2012


Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.


 


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