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Trois mois après l’intervention israélienne à Gaza, où en est l’économie palestinienne ?

Par Nicolas Hautemanière
Publié le 03/12/2014 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

GAZA CITY : Palestinian fishermen prepare their boats in the port of Gaza on the Mediterranean coast in Gaza City on November 24, 2012.

AFP PHOTO/MAHMUD HAMS

Bilan de l’intervention de l’été 2014

Un peu plus de trois mois après la conclusion du cessez-le-feu mettant fin à l’opération « Bordure protectrice », l’émotion internationale qu’avait suscitée l’éclatement d’un nouveau conflit dans la bande de Gaza est retombée. Pourtant, si Gaza a cessé d’être le cœur battant de l’actualité internationale, les conséquences du conflit n’en restent pas moins palpables pour les habitants de cette région comptant parmi les plus pauvres et les plus densément peuplées du monde. D’après l’ONU, 40 000 logements, 141 écoles, 29 hôpitaux et de larges pans de l’industrie et de l’agriculture locales ont été détruits, tant en raison des opérations que de la très forte concentration des forces du Hamas au cœur des villes gazaouies. Au regard des faibles capacités de l’économie locale, on peut penser que la reconstruction sera longue et qu’un retour à la situation d’avant-crise n’est pas envisageable avant plusieurs mois, voire plusieurs années.

Dans un récent rapport commandé par l’ONU, la Banque Mondiale a tenté d’évaluer précisément l’impact de la guerre de l’été 2014 sur le PIB de la Palestine [1]. D’après ses prévisions, on doit s’attendre à une baisse de 4% de celui-ci sur l’ensemble de l’année 2014. La bande de Gaza est bien entendu la plus sévèrement touchée par cette récession (-15% sur l’ensemble de l’année), mais la Cisjordanie l’est également : le stationnement de troupes israéliennes à Hébron en juin et juillet 2014 ainsi que la baisse généralisée de la confiance occasionnée par le conflit ont profondément ralenti l’activité économique de la région, de sorte qu’aucune « compensation » des effets de la crise n’est à attendre de son côté. Pour donner un point de comparaison, il faut remonter à l’année 2006 – alors que le triomphe du Hamas aux élections législatives de Gaza avait conduit à une restriction brutale des aides internationales à la Palestine – pour retrouver une chute comparable des niveaux de production de richesse.

Une situation économique structurellement précaire

Si cette crise inquiète les responsables internationaux, ce n’est toutefois pas seulement en raison de ses répercussions ponctuelles sur l’économie palestinienne. Les destructions ont frappé une économie déjà fragile et sinistrée. Elles sont le signe d’une instabilité politique plus générale incompatible avec l’émergence d’un tissu économique dense, stable et durable.

L’exemple de la centrale électrique de Rafiq Maliha – la seule présente sur le territoire gazaoui – en est emblématique : l’installation peinait à répondre aux besoins énergétiques locaux, et il fallait déjà, en 2013, procéder à des coupures journalières de 8h pour alimenter l’ensemble du territoire en électricité. La centrale a été bombardée dès le mois de juillet 2014, obligeant l’Autorité palestinienne à alimenter en fuel des générateurs électriques de fortune pour continuer de répondre aux besoins énergétiques locaux. La centrale fut remise en fonction le 28 octobre 2014, mais ne produit plus aujourd’hui que les deux tiers de ce qu’elle fournissait avant l’éclatement du conflit (92MW contre 140MW initialement). Le cas est symptomatique des difficultés de la Palestine à mettre en place, dans un contexte d’instabilité politique, les infrastructures nécessaires à son développement économique.

Aux interventions militaires s’ajoutent les procédures visant à limiter la circulation des personnes et des biens en Palestine : mur de séparation entre la Cisjordanie et le territoire israélien, contrôle des importations et exportation par l’Etat, système de checkpoints, morcellement territorial alimenté par la colonisation. Ces restrictions peuvent expliquer que l’économie palestinienne ne soit pas intégrée à l’économie globale et ne puisse pas compter sur la demande internationale pour initier la reprise de la croissance. Les exportations ne représentent plus aujourd’hui que 7% du PIB palestinien, contre 10% en 1996. Si l’on met à part les exportations en direction d’Israël (83% du total), ce chiffre va jusqu’à descendre sous la barre de 1%. La Palestine fonctionne de manière quasi autarcique, bien qu’elle reste fortement dépendante des importations israéliennes. Or, comme le faisait remarquer Steen Lau Jorgensen, responsable de la Banque mondiale en charge du territoire palestinien, la crise actuelle risque de renforcer les violences intercommunautaires et éloigne donc la perspective d’une levée des sanctions. A terme, les difficultés structurelles de l’économie palestinienne sortent renforcées du conflit.

Dans ce contexte, il est difficile d’identifier des acteurs capables de porter la reprise économique du pays. En l’absence d’investisseurs étrangers, l’économie palestinienne est en effet caractérisée par le caractère très éclaté de sa production : 11% des entreprises seulement emploient plus de 20 salariés. Le seul acteur économique d’envergure est l’Autorité palestinienne elle-même, qui emploie 30% des salariés du pays. Mais la crise de l’été 2014 l’a placée dans une situation financière extrêmement délicate : son déficit s’élève à 350 millions de dollars pour l’année 2014, en dépit des efforts budgétaires consentis au premier semestre de l’année.

Quelles perspectives de croissance pour la Palestine ?

Pourtant, la Palestine dispose d’atouts considérables qui pourraient permettre d’intégrer son économie au commerce mondial et aboutir à une croissance durable de ses richesses.

Un rapport de la Banque mondiale publié en amont de la crise, en début d’année 2014, souligne ainsi que de nombreuses ressources palestiniennes demeurent largement sous-exploitées et constituent de véritables réserves de croissance pour l’avenir [2]. L’exploitation de la potasse et du brome disponibles aux alentours de la Mer Morte pourrait ainsi rapporter près de 920 millions de dollars par an aux Palestiniens, ce qui reviendrait à une augmentation de 9 points du PIB actuel. L’exploitation des carrières de pierre pourrait également constituer un important vecteur de développement : la Banque mondiale estime à 240 millions de dollars les revenus que l’on pourrait tirer de cette activité. De même, les potentialités agricoles de la région restent largement sous-exploitées. En effet, seuls 20% des quantités d’eau prévues par les accords d’Oslo sont aujourd’hui effectivement mis à disposition de la Palestine. La généralisation de l’irrigation pourrait sortir l’agriculture palestinienne du marasme dans lequel elle est aujourd’hui confinée. Plus généralement, les télécommunications et le tourisme pourraient également favoriser le développement du pays.

Outre le morcellement du tissu industriel palestinien, le principal obstacle à l’exploitation de ces potentialités de croissance réside dans les blocages de l’administration israélienne. Les permis d’exploitation des minerais ne sont ainsi pas consentis par l’administration, ou au mieux non renouvelés. Le secteur du bâtiment reste également sous-exploité en raison de l’interdiction de facto des constructions sur près de 70% de la Cisjordanie. De même, l’interdiction d’installer des tours en Cisjordanie comme à Gaza pèse lourdement sur le secteur des télécommunications.

Construire une économie locale, s’intégrer à l’économie globale : l’enjeu de la levée des sanctions

Ainsi, selon la Banque mondiale, tous ces éléments montrent que l’enlisement de l’économie palestinienne dans des cycles de croissance et de récession n’est pas une fatalité, mais que la reprise est conditionnée à la levée des sanctions par l’Etat d’Israël. Contrairement à ce que pouvait laisser penser le bref intermède de la période 2007-2011, marqué par une croissance frôlant les 10%, le développement durable de la Palestine ne semble possible qu’en cas de progrès du processus de paix. La crise de l’été 2014 confirme ainsi le jugement porté par le politologue Julien Salingue, en 2013, selon lequel « il n’y aura pas de solution économique à la question palestinienne qui demeure, fondamentalement, une question politique [3] ». Un constat qui est également partagé par la Banque mondiale, qui souligne, en conclusion de son rapport, que « l’instabilité politique et les restrictions de circulation demeurent les principales causes de l’absence de décollage de l’économie palestinienne ».

Outre la nécessité de maintenir à un haut niveau les aides internationales à la Palestine, la Banque mondiale définit en conséquence deux axes principaux devant guider les futures négociations de paix, avec, pour objectif avoué, la reprise de la croissance en Palestine. La réouverture des frontières et l’arrêt des interventions militaires constituent la première priorité de la Banque mondiale et de l’ONU, dans la mesure où elle permettra de sortir du « cercle vicieux du déclin économique » et faire fructifier la forte compétitivité potentielle du marché du travail palestinien. Il s’agit de créer un espace économique stable, favorable à la venue des capitaux étrangers et à la fructification des aides apportées par les nombreuses ONG présentes en Palestine. La deuxième priorité est constituée par l’unification juridique du territoire et la facilitation de la circulation des personnes en son sein. L’objectif est de faciliter l’installation des entreprises dans les deux parties du territoire palestinien de manière à ce que le développement de la Cisjordanie puisse bénéficier à la bande de Gaza et la désenclaver, au moins à l’échelle nationale. Les enregistrements auprès de l’administration, la délivrance de permis d’exploitation des ressources naturelles, les conditions d’accès au prêt, les taxes et les procédures judiciaires devront ainsi être unifiées à l’échelle de la Palestine.

Les deux grandes inconnues de ce processus de reconstruction demeurent la disposition d’Israël à initier une progressive levée des sanctions, et la capacité de l’Autorité palestinienne à mettre un terme aux tirs de roquettes du Hamas, qui menacent la pérennité du fragile cessez-le feu signé le 26 août dernier.

GAZA CITY : Palestinian fishermen prepare their boats in the port of Gaza on the Mediterranean coast in Gaza City on November 24, 2012. AFP PHOTO/MAHMUD HAMS

Bibliographie :
 Amara Jomana, « Geographic Fragmentation : A Stark Impediment to the Development of the Palestinian Economy », 28 Janvier 2013, disponible sur http://calhoun.nps.edu/handle/10945/40420, consulté le 27 novembre 2014.
 Niksic Orhan, Eddin Nur Nasser et Massimiliano Cali, Area C and the future of the Palestinian economy, The World Bank, 2014, disponible sur : http://documents.worldbank.org/curated/en/2013/10/18836847/west-bank-gaza-area-c-future-palestinian-economy, consulté le 27 novembre 2014.
 Roy Sara, « The Gaza Strip : A Case of Economic De-Development ». Journal of Palestine Studies, vol. 17, n° 1, 1987, pp. 56-88.
 Salingue Julien, « Le « ?développement économique ? » palestinien ? : miracle ou mirage ?? », Confluences Méditerranée, vol. 86, no 3, 1 Août 2013, pp. 71-88.
 Unies-DPI/NMD Nations, Centre d’actualités de l’ONU - CNUCED ? : l’économie palestinienne, déjà en perte de vitesse, a encore ralenti, http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=33227#.VHdEG4fT2E1, consulté le 27 novembre 2014.
 Economic Monitoring Report, The World Bank, disponible sur : http://www.worldbank.org/content/dam/Worldbank/Feature%20Story/mena/WBandGaza/wbg-docs/wbg-ahlc-report-2014-eng.pdf, consulté le 27 novembre 2014.
 Israel’s conflict with the Palestinians takes heavy economic toll, http://www.i24news.tv/en/opinion/52506-141127-israel-s-conflict-with-the-palestinians-takes-heavy-economic-toll, consulté le 27 novembre 2014.
 La Palestine entre économie locale et globalisation - Un autre mode de résistance, http://orientxxi.info/lu-vu-entendu/la-palestine-entre-economie-locale,0732, consulté le 27 novembre 2014.

Publié le 03/12/2014


Nicolas Hautemanière est étudiant en master franco-allemand d’histoire à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et à l’Université d’Heidelberg. Il se spécialise dans l’étude des systèmes politiques, des relations internationales et des interactions entre mondes musulman et chrétien du XIVe au XVIe siècle.


 


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