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Le pacte de Bagdad, ou Traité d’Organisation du Moyen-Orient, est un traité de défense commune cherchant à unir la zone du Moyen-Orient, de la Turquie au Pakistan, dans le but de contenir l’influence de l’Union soviétique.
Dans les années 1950, la guerre froide oppose les blocs de l’Ouest et de l’Est. La stratégie américaine consiste à isoler son rival en signant des pactes d’alliance à travers le monde. C’est la « pactomanie ». La position géopolitique du Moyen-Orient oblige les Etats-Unis à se pencher sur cette région. Or c’est une affaire bien délicate que de réussir à accorder les intérêts de chacun dans cette zone conflictuelle (développement du nationalisme arabe et rejet des puissances coloniales, hostilité aux pays qui soutiennent Israël). Ils décident alors de procéder de manière progressive.
Les Etats-Unis peuvent déjà compter sur la Turquie et le Pakistan. En effet, la Turquie a choisi le camp occidental en devenant membre de l’OTAN en 1951. Quant au Pakistan, il s’est aussi allié à l’Ouest en signant un accord de défense mutuelle avec les Etats-Unis en mai 1950. Un accord de coopération et de consultation est ainsi signé le 2 avril 1954 entre ces deux pays.
Toutefois, soucieux de maintenir de bonnes relations avec les Etats arabes, les Etats-Unis ne souhaitent pas s’investir directement afin de ne pas être assimilés aux puissances coloniales française et anglaise. Le Royaume-Uni, puissance traditionnelle dans la région et rattaché militairement aux Etats-Unis dans le cadre de l’OTAN, sera donc porteur du pacte régional. Il sera organisé sous son égide. Pour les Britanniques, c’est un excellent moyen de maintenir et de réaffirmer leur position au Moyen-Orient.
Le 24 février 1955, la Turquie et l’Irak signent à Bagdad un pacte de défense commune. La Grande-Bretagne y adhère en avril. Le Pakistan les rejoint en septembre et l’Iran en novembre. Ce pacte est conclu pour 5 ans renouvelables et ses signataires invitent les autres pays de la région à s’y associer.
Le 21 novembre 1955, une première réunion se tient dans la capitale irakienne. L’organisation se met en place sur le modèle de l’OTAN. Elle est composée d’un Conseil et d’un Comité Militaire permanent où siège un représentant américain. L’Irak, au cœur du Pacte, est donc le principal appui arabe des Etats-Unis.
La formation du pacte de Bagdad déstabilise fortement la région et perturbe les relations interarabes. En liant un pays arabe à une puissance occidentale, le pacte va à l’encontre des ambitions panarabistes dont Nasser se fait le porte-parole. Celui-ci devient le champion de l’opposition au pacte.
Nasser, anti-communiste, n’était pas hostile à la mise en place d’un pacte de défense contre l’URSS porté par la Ligue des Etats arabes. Lorsque l’Irak se montre favorable à l’élaboration du traité d’assistance militaire avec des puissances occidentales, il se détache des principes panarabistes chers à Nasser. La tension monte entre l’Irak et l’Egypte nassérienne. Nasser accuse l’Irak de trahir la nation arabe en s’alliant à une puissance extérieure et le soumet, avec l’Arabie Saoudite, à de nombreuses pressions diplomatiques. De plus, il n’est pas question pour Nasser que son pays joue un rôle secondaire dans une alliance régionale face au régime hachémite irakien. Si un traité devait être signé, l’Egypte en serait la puissance centrale. Une campagne hostile au pacte est donc lancée auprès des pays arabes.
L’Arabie Saoudite se range du côté égyptien. Il en va de même pour la Syrie. Le Liban, tiraillé, finit par refuser le pacte. La Jordanie doit faire face à une forte opposition populaire qui l’oblige à renoncer à une éventuelle adhésion. Le monde arabe est donc divisé sur la question du pacte.
On constate en outre que le pacte renforce le sentiment nationaliste arabe et donc paradoxalement l’influence de l’URSS dans la région. En effet, après avoir essuyé un refus de la part des Etats-Unis, Nasser se tourne vers la Tchécoslovaquie pour se fournir en armement. L’Union soviétique peut alors profiter de la position fragile de l’Occident pour étendre son influence dans la région. Les Etats-Unis décident alors que leur appui le plus sûr dans la région est Israël.
Le pacte de Bagdad n’est pas un succès, les buts affichés étant loin d’être atteints. Les évolutions politiques internes aux Etats du Moyen-Orient n’y aideront pas : la révolution irakienne de juillet 1958 entraine ainsi le retrait de l’Irak en 1959. Le pacte évolue alors vers une coopération plus économique que militaire en prenant le nom de CENTO (Organisation du Traité central) le 21 août de la même année. La révolution iranienne de 1979 et le retrait de l’Iran marque la fin définitive de l’alliance.
Bibliographie :
Alain Gresh, Dominique Vidal, Les 100 clés du Proche-Orient, Paris, Hachette Littératures, 1996.
Henry Laurens, Le Moyen-Orient au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2000.
Henry Laurens, Paix et guerre au Moyen-Orient, L’Orient arabe et le monde de 1945 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2005
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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