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Le Sommet ASPA : la concrétisation de la relation entre l’Amérique du Sud et le Moyen-Orient

Par Anaïs Mit
Publié le 27/05/2014 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

BRAZIL, Brasília : Family picture at the South American and Arab Countries Summit in Brasilia, 10 May 2005. Bottom L-R : Minister of Foreign Affairs of Sudan Mustafa Osman Ismail, President of Uruguay Tabare Vazquez, Pres. of Paraguay Nicanor Duarte Frutos, Pres. of Iraq Jalal Talabani, Pres. of Djibouti Ismail Omar Guelleh, Pres. of Argentina Nestor Kirchner, Pres. of Peru Alejandro Toledo, Pres. of Brazil, Luiz Inacio Lula de Silva, Pres. of Algeria Abdelaziz Bouteflika, Secretary General of the Arab League Amr Moussa, Pres. of Chile Ricardo Lagos, Pres. of Guyana Baharrat Jagdeo, Leader of the Palestine Authority Mahmoud Abbas, Emir of Qatar Hamad bin Khalifa Al-Thani, Pres. of Venezuela Hugo Chavez. Middle L-R : MofFA of Somalia Abdullahi Ismail, Min. of Foreign Trade and Cooperation of Morocco Mohamed Benaissa, MofFA of Kuwait Mohammed Sabah Al-Salem Al-Sabah, MofFA of Ecuador Antonio Parra Gil, MofFA of Bahreim Mohammed bin Moubarak Al-Khalifa, Prime Minister of Syria Mohammed Naji Al Otri, Prince Ali bin Hussein of Jordan, PM of Mauritania Sghair Ouid Barek, Vice-President of Colombia Francisco Santos Calderon, Advisor to the President of Yemen Abdulkarim Ali Al-Eryani, MofFT of Egypt Ahmed Abul Gheit, Director General of the Andean Community Hector Maldonado Lira, , MofFA of Libya Abdelrahman Mohamed Shalqam, a respresentative for Mercosur, MofFT of Saudi Arabia Prince Saud Al-Faisal bin Abdul Aziz Al-Saud. Top L-R : Sec. Gen. of the Arab Maghreb Union, Habib Boulares, Sec. Gen. of the Cooperation Council of the Gulf Abdul Rahman bin Hamad Al-Attiyah, Vice Minister of Economy of Oman Nasser Mansoor Al-Khasibi, MofFA of the United Arab Emirates Rachid Abdulla Al-Noaimi, PM of Lebanon Nagib Mikati, MofFA of Suriname Maria Levens, MofFT of Tunisia Abdelbaki Hermassi, Pres. of Comores Mze Soule Abdou ElBack.

AFP PHOTO/Mauricio LIMA

Le Sommet Amérique du Sud - Pays Arabes, lancé pour la première fois en 2005 sous l’initiative du président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, constitue une avancée majeure dans les relations établies entre les deux régions, qui, a priori, n’ont aucun avantage à dialoguer ensemble, que ce soit économiquement ou politiquement. L’organisation de ce sommet a commencé à germer lors de la tournée présidentielle de Lula dans cinq pays arabes (Syrie, Liban, EAU, Egypte, Libye) à la fin de l’année 2003. Ce voyage, le premier d’un chef d’Etat brésilien dans cette région depuis celui de l’Empereur Pedro II au XIXe siècle, fut l’occasion pour le Brésil de se créer de nouveaux partenaires économiques. Cette initiative, qui a réuni en 2005 onze pays d’Amérique latine et les vingt-deux pays de la Ligue arabe, a pour objectif premier de mettre en contact deux espaces éloignés géographiquement mais qui partagent des défis similaires concernant leur développement mais aussi leur participation au système mondial. Le Sommet ASPA a inscrit ces objectifs sous trois traits principaux : les aspects économique d’abord, politique et culturel. Sur le plan économique, il s’agit d’établir un nouveau partenariat de coopération, qui explore le potentiel de chaque région, ainsi que de consolider la coopération Sud-Sud au travers d’échanges commerciaux, du tourisme ou des investissements. Au niveau politique, le Sommet s’est donné pour mission d’approfondir le dialogue interrégional, mais aussi de faire en sorte que les pays membres se concertent le plus possible sur les principaux thèmes d’ordre régional ou international. Enfin, sur le terrain culturel, il s’est agi de rendre plus palpable, grâce aux nouvelles technologies et moyens de communication, les relations préexistantes entre les deux régions, et de promouvoir les cultures respectives au sein d’institutions existantes ou nouvellement constituées.

Trois Sommets se sont réunis à ce jour : celui de Brasilia (Brésil) en 2005, celui de Doha (Qatar) en 2009 et enfin celui de Lima (Pérou) en 2012. Le caractère régulier et l’institutionnalisation croissante de ce sommet amènent à penser à une volonté de pérenniser ces relations. Quel en est le contenu ? Et le caractère a priori pérenne de ce processus est-il identifiable ?

Un sommet aux ambitions avant tout économiques…

Le désir de rapprochement entre les Etats latino-américains et les pays arabes est apparu dans les années 2000, issu d’un contexte particulier : l’essor des échanges Sud-Sud. En effet, la montée en puissance des économies des pays émergents dans l’économie mondiale a transformé en profondeur les paradigmes et les défis des politiques étrangères des pays en développement, dont les deux régions font partie. Ainsi, pour les Etats latino-américains, l’idée que les pays du Moyen-Orient puissent constituer un tremplin pour la croissance, a poussé les gouvernants à élargir le cercle de leurs partenariats économiques. Le leitmotiv principal de cette rencontre interrégionale est donc avant tout de nature économique, puisqu’il s’agit de générer une « nouvelle géographie économique et commerciale internationale », dans laquelle les pays des deux régions puissent s’insérer et ainsi avoir une place de choix dans l’appréhension de l’économie mondiale.

Les différents Sommets ASPA ont eu pour but premier d’ouvrir un marché favorable et économiquement viable, par le biais de l’augmentation des échanges commerciaux, des investissements et des associations stratégiques entre des entreprises latino-américaines et moyen-orientales. Selon les propres dires de Lula lors de son discours d’inauguration du Sommet de Brasilia en mai 2005, ces pays veulent explorer les possibilités de « cet immense potentiel pour la réalisation d’objectifs communs […], identifier les opportunités de commerce et d’investissement qui permettront à nos pays de tirer profit des possibilités offertes par l’économie mondiale ». Plusieurs facteurs ont contribué à l’accroissement des échanges entre les deux régions : l’augmentation du pouvoir de quelques pays arabes au regard de leurs ressources pétrolières, le développement sans précédent des économies latino-américaines en sont les principaux. Le but premier est de se faire rencontrer des entrepreneurs de chaque région. Ainsi, en complément des sommets de haut niveau, deux types d’événements ont été mis en place : des séminaires d’entrepreneurs, et un salon des investissements. Ces initiatives ont permis de développer les échanges et d’améliorer la connaissance mutuelle des secteurs économiques des deux régions. Le tourisme est un autre secteur qui a relancé les échanges économiques entre les pays sud-américains et le Moyen-Orient. Bien que le tourisme Amérique Latine- Moyen-Orient ne soit pas celui, pour l’une ou l’autre des régions, qui participe le plus aux économies régionales, il tend tout de même à créer un certain dynamisme des échanges. Ainsi, l’une des finalités du Sommet ASPA en termes économiques a été de signer des accords de coopération touristique pour promouvoir les flux touristiques entre les deux régions. Les accords dans le domaine aérien se sont aussi multipliés. En juin 2010, Qatar Airways a créé une ligne de vols entre le Chili et le Moyen-Orient [1], tandis que le Venezuela se proposait de créer des lignes directes entre Caracas et le monde arabe [2].

Il est nécessaire cependant de souligner le fait que cette coopération économique renouvelée dépend fortement de la conjoncture économique. Ainsi, le second Sommet ASPA (à Doha), s’est déroulé dans un contexte différent, celui d’une crise économique internationale ; situation devant laquelle les deux régions ont dû se positionner au regard de l’impact qu’elle pouvait avoir sur leurs propres économies. Pourtant, les deux régions ont mis en avant le fait que cette crise devait au contraire générer plus de coopération bilatérale : « Nous réaffirmons la nécessité de générer des relations solides et dynamiques entre nos deux régions, qui contribuent à structurer des relations internationales plus justes et plus équitables ». Le document final de Doha lance un appel pour que les institutions créées et les pays concernés assument leurs positions pour affronter les conséquences de la crise économique En ce sens, les pays membres réclament la construction d’une nouvelle architecture financière internationale, avec l’établissement entre autres d’une banque latino-arabe.

Le secteur économique est donc le point d’orgue de ces rencontres entre pays latino-américains et pays arabes. Cependant, s’il doit être prépondérant pour les pays comme le Brésil, les pays arabes insistent plus sur les conséquences politiques que peuvent avoir ces sommets.

… Mais qui a pris des allures politiques

Bien que les diplomaties latino-américaines, et notamment le Brésil, aient insisté pour que l’ASPA soit avant tout un forum consacré aux questions économiques, les déclarations finales abordent de multiples sujets politiques, la plupart touchant aux problématiques du monde arabe. De fait, dès l’ouverture du Sommet de Brasilia, le président algérien Abdelaziz Bouteflika avait insisté sur la nécessité d’élargir ces rencontres au-delà du simple fait économique : « Il est clair que cette coopération peut et doit s’élargir à tous les autres aspects, consolidant ainsi les liens de solidarité que nous voulons établir entre nous […]. Il serait inconcevable qu’une réunion d’une telle importance se désintéresse des situations de crises graves qui menacent la paix dans le monde ».

Les pays du Moyen-Orient ont ainsi profité de ces différents sommets pour mettre en lumière la question palestinienne et faire approuver par les pays latino-américains une condamnation de l’occupation israélienne des Territoires palestiniens [3]. En outre, ces pays se sont aussi prononcés au sujet de la question irakienne. Il s’est agi de réaffirmer l’importance du respect de l’unité, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Irak, de même que la non-ingérence dans les affaires intérieures ; principes de droit international que les pays sud-américains prônent comme les piliers de leurs politiques étrangères respectives. Ces gestes politiques doivent être lus, pour les pays arabes, comme le moyen de mettre sur la table mondiale des sujets politiques et des revendications qui leurs sont chers, et pour les Etats latino-américains, de mettre en scène leur autonomie en matière de politique étrangère, notamment vis-à-vis de l’hegemon américain, et plus largement, d’avoir une place à part entière sur la scène internationale.

C’est justement cette volonté d’autonomisation des décisions qui a valu aux Sommets des critiques virulentes, notamment de la part des Etats-Unis. En effet, la crainte que les sommets successifs se transforment en un forum ouvertement anti-étasunien et anti-israélien a alarmé les autorités américaines. Le fait est qu’aux yeux des Etats-Unis, l’association de plus de trente pays, dont certains pèsent beaucoup dans l’échiquier mondial actuel, pourrait devenir un véritable bloc politique autonome.

Quid alors de la coopération culturelle ?

Au vu des considérations précédentes, il est à noter que la coopération économique et politique fluctue en fonction de la conjoncture. Et l’on peut dire que c’est sans doute le domaine culturel qui est devenu le thème de référence de cette nouvelle coopération interrégionale, la rendant ainsi plus légitime et pérenne.

La contribution culturelle arabe et les traces profondes que la civilisation arabo-musulmane ont laissées dans la région latino-américaine sont perçues comme un patrimoine commun pouvant orienter les relations futures. Ainsi, selon Celso Amorim, alors ministre des Affaires extérieures pendant le Sommet de Brasilia, « la civilisation sud-américaine serait incompréhensible et elle ne saurait qui elle est si elle ne prenait pas en compte l’influence et la contribution du monde arabe […] De fait, lorsque nous parlons de dialogue des civilisations, nous devons considérer que la civilisation arabe est profondément liée à la nôtre » [4]. Pour promouvoir ces liens et approfondir la connaissance mutuelle, les pays de l’ASPA ont mis en place une série d’actions culturelles, pour que chaque acteur puisse contribuer à la naissance de cette coopération. Ont ainsi été crées des cycles cinématographiques, une exposition photographique au Brésil sur l’héritage arabe, etc. A été organisée également la formation de programmes d’aide à l’échange de productions artistiques, de préservation du patrimoine, ainsi que la coopération technique en matière de restauration de monuments historiques et d’œuvres d’art.

Mais l’action culturelle la plus importante et la plus durable de cette coopération culturelle est sans doute la création de la « BibliAPSA » (Bibliothèque et centre de recherche sur l’Amérique du Sud et les pays arabes), inaugurée à São Paulo le 25 mars 2008, à l’occasion de la première commémoration de la journée nationale de la communauté arabe brésilienne. La mission principale de cette bibliothèque interrégionale et interculturelle est la traduction de l’arabe à l’espagnol et au portugais, et vice-versa, d’œuvres majeures de la littérature de chaque région. Cette initiative participe à entériner une relation culturelle dont les racines historiques sont ancrées dans chacune des sociétés, mais elle contribue également à légitimer le renforcement des relations entre les deux régions concernées.

Les différents Sommets ASPA sont parvenus, dans un laps de temps restreint, à des avancées non négligeables dans l’appréhension des relations interrégionales. Que ce soit sur le plan économique, politique ou culturel, ces rencontres ont participé au renforcement de la coopération Sud-Sud et de fait, à la mise en place d’une structure internationale alternative. Cependant, il convient de mettre en lumière les limites de ces sommets, la plus importante étant l’hétérogénéité interne de chaque région, et les intérêts divers de chaque pays. Dans le cas arabe, cette diversité se manifeste dans les divergences politiques (plus encore depuis les soulèvements arabes) ainsi que dans la faiblesse de l’intégration régionale et des échanges intrarégionaux. Du côté sud-américain, les difficultés internes ne sont pas non plus à négliger : les résistances au leadership brésilien, les tensions entre la Colombie et le Venezuela, etc. sont autant de facteurs qui limitent la convergence et l’intégration régionales. Une autre limite à soulever au bon fonctionnement de ces sommets et la divergence d’expectatives entre les deux régions. La priorité économico-commerciale dans l’agenda sud-américain et la prééminence de la politique dans la sphère moyen-orientale, alors qu’elles ne semblaient être qu’une dissonance minime dans les premiers temps, apparaît aujourd’hui comme problématique. Le prochain sommet, prévu en Arabie saoudite en 2015, sera un véritable test pour la pérennité et l’efficacité de cette coopération interrégionale innovante.

Pour aller plus loin :
 « Amérique du Sud – Pays Arabes : une balbutiante coopération Sud-Sud », Le Monde, 21 septembre 2012.
 BAEZA, Cecilia, « Le rôle du Moyen-Orient dans les nouvelles relations internationales de l’Amérique latine », Mouvements, n°76, avril 2013, p.25-36.
 BRUN, Élodie, Les relations entre l’Amérique du Sud et le Moyen-Orient, Paris, L’Harmattan, 2008.
 MUXAGOTO, Bruno, « Le Brésil et le monde arabe. Les limites d’un rapprochement Sud-Sud », Notes de l’IFRI, août 2012.

Publié le 27/05/2014


Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.


 


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