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(Article initialement publié le 16 juin 2011) Le traité de Sèvres est signé entre l’Empire ottoman et ses ennemis de la Première Guerre mondiale le 10 août 1920 dans les Hauts-de-Seine. L’Entente, victorieuse, impose alors ses conditions et achève le démembrement de l’Empire qui perd les quatre cinquièmes de son territoire.
Fin 1918, les troupes alliées occupent Constantinople, la capitale de l’Empire, ainsi que de nombreux territoires ottomans : les forces britanniques contrôlent la Mésopotamie et une bonne partie de la Syrie, la France occupe la Cilicie, les Italiens le sud-ouest de l’Anatolie et l’armée grecque se déploie en Thrace orientale et à Smyrne. L’avenir de la région est dorénavant largement entre les mains des puissances occidentales. Après plusieurs rencontres et conférences, les Alliés finissent par s’entendre sur les conditions de paix avec l’Empire lors de la conférence de San Remo, en Italie, en avril 1920. Un traité de paix est signé à Sèvres, en France, par le Sultan Mehmet VI (1861-1926), dernier sultan ottoman, qui choisit de coopérer avec les Alliés.
Les conditions du traité sont pourtant humiliantes pour un des plus grands empires de l’histoire moderne. Si les Ottomans conservent Constantinople et le nord de l’Anatolie, leur souveraineté est dorénavant fortement limitée.
Tout d’abord, des sphères d’influence française et italienne sont établies. La France jouira donc d’un contrôle financier et administratif en Cilicie et l’Italie dans la région d’Adalia, dans le sud-ouest de la Turquie. Comme convenu à San Remo, les provinces arabes de l’Empire sont placées sous tutelle britannique en Palestine et en Irak, ou française en Syrie. La Grèce obtient, pour sa part, la Thrace orientale et la région de Smyrne. Cette dernière région fait cependant l’objet d’une clause particulière : elle est placée pendant cinq ans sous administration grecque et sous souveraineté ottomane. Au terme de cette période, les populations, grecques et turques, devront choisir, par référendum, leur pays de rattachement.
Par ailleurs, les Arméniens revendiquent une grande Arménie allant de la mer Noire à la mer Méditerranée et du Caucase à la Cilicie. Le traité de Sèvres prévoit finalement la formation d’un Etat indépendant plus restreint, comprenant les terres arméniennes russes et le Nord-est de l’Anatolie. Le principe d’un Kurdistan indépendant est également retenu par les Alliés. La délimitation de son territoire pose cependant de nombreux problèmes. Les Alliés s’entendent finalement sur la constitution d’un territoire autonome, compris dans la zone ottomane, au sud-ouest de l’Anatolie, comprenant environs 20 % des régions peuplées par les Kurdes. Son indépendance devra être considérée ultérieurement par la Société des Nations.
En outre, les détroits du Bosphore et des Dardanelles doivent être démilitarisés, neutralisés et gérés par une Commission internationale des détroits où sont représentés la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, le Japon, la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie. Leurs accès seront entièrement libres en cas de guerre comme en cas de paix et sont contrôlés.
Enfin, les capitulations sont rétablies et même élargis à tous les vainqueurs. Les finances et l’administration turques sont placées sous contrôle anglo-franco-italien. Les droits des minorités sont protégés. La Turquie est aussi sommée de livrer sa flotte, de réduire son armée à 15 000 hommes et 35 000 gendarmes. Le traité de Sèvres est donc d’une grande sévérité et limite fortement la souveraineté turque.
Si le sultan se résigne, après deux mois de discussion, à signer le traité de Sèvres, il est considéré comme inadmissible par les nationalistes, dirigés par Mustafa Kemal. Ce héros de la guerre, qui mène, à partir de l’Anatolie, une lutte acharnée contre le gouvernement de Constantinople et contre les puissances occupantes depuis juin 1919, le rejette immédiatement. La sévérité des clauses du traité de Sèvres l’aide alors à rallier une bonne partie de la population au mouvement. La Turquie en alors en pleine guerre civile et en pleine guerre contre la Grèce.
Les Alliés semblent avoir négligé l’importance du mouvement national turc. Ils s’aperçoivent très vite de leur incapacité à faire appliquer le traité qui ne sera finalement jamais ratifié. Dès l’automne 1920 et au fur et à mesure des victoires turques, certaines puissances appellent à une révision du traité. Une conférence se tient à Londres en février 1921 dans ce but, sans grands résultats. Le traité de Sèvres est finalement remplacé, le 24 juillet 1923, par le traité de paix de Lausanne qui marque définitivement la naissance de la République de Turquie indépendante s’étendant de la Thrace orientale à l’Asie mineure.
Bibliographie :
Jean-Pierre Derriennic, Le Moyen-Orient au XXème siècle, Paris, Armand Colin, 1980.
Nadine Picaudou, La Décennie qui ébranla le Moyen-Orient, 1914-1923, Bruxelles, Editions Complexe, 1992.
Salah Jmor, L’Origine de la question kurde, Paris, Editions L’Harmattan, 1994.
Robert Mantran, Histoire de la Turquie, Paris, Presses Universitaires de France, 1952.
M. E. Yapp, The Making of the modern Near East (1792-1923), London, Longman Group UK Limited, 1991.
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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