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Depuis la mi-juillet, chaque vendredi, des centaines de Palestiniens manifestent contre une décision du ministère libanais du Travail visant à réorganiser le fonctionnement de la main d’oeuvre étrangère non déclarée. Même si cette mesure sur l’emploi des étrangers concerne avant tout les Syriens, les Palestiniens réfugiés au Liban craignent d’en subir les conséquences. Ces protestations témoignent du statut précaire des Palestiniens, pourtant présents dans le « pays du cèdre » depuis plus de 70 ans.
Marie Kortam est chercheuse associée à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO-Beyrouth). Titulaire d’un Doctorat en sociologie, ses travaux portent notamment sur les mouvements sociaux et sur les réfugiés palestiniens au Liban.
Les mesures du ministère du Travail visent à réorganiser le fonctionnement de la main d’oeuvre étrangère non déclarée. Elles stipulent le droit d’exercer un travail au Liban en contrepartie d’une autorisation de travail. Or, les réfugiés Palestiniens ont toujours travaillé sans autorisation. Même si cette démarche est gratuite, elle alourdit le processus administratif pour ces réfugiés, qui exercent pour la plupart un travail journalier. Par ailleurs, avec cette autorisation de travail, les Palestiniens devront payer 23,5% de leur salaire à la Sécurité sociale libanaise, alors même qu’ils bénéficient d’une protection médicale et sociale moindre que les Libanais. Au Liban, les Palestiniens ne bénéficient que de 8,5% d’indemnités de fin de service.
Bien qu’ils soient installés dans le « pays du Cèdre » depuis plusieurs décennies, les réfugiés palestiniens ont un statut précaire, car aucune loi ne les définit comme réfugiés. Au Liban, la législation définit seulement qui n’est pas Libanais. A ce jour, 39 métiers leur sont interdits, notamment les professions libérales, comme les métiers d’avocat ou de médecin. Et ce, même s’ils disposent des diplômes requis. Cependant, ces dernières années, leur statut s’est un peu amélioré. Depuis 2005, les Palestiniens peuvent exercer plus de professions suite au mémorandum promulgué par le ministre du Travail, qui réduit les métiers limités seulement aux Libanais. C’est notamment le cas du travail d’infirmier, car le Liban manque de main d’oeuvre libanaise ce domaine. Ceci est une décision importante mais elle reste arbitraire tant qu’elle n’est pas légiférée par une loi.
Le ministère libanais du Travail a affirmé ne pouvoir revenir en arrière, car ce plan de lutte contre le travail illégal est en fait l’application d’une loi votée en 2010. Fin août, le Conseil des Ministres a créé un comité pour le suivi des manifestations. Il est chargé de réunir autour de la table les représentants palestiniens et libanais. Ce comité semble cependant surtout symbolique, il n’est pas certain qu’il ait un réel impact. Deux semaines après sa création, la mobilisation ne faiblit toujours pas.
L’arrivée des Syriens a participé à la marginalisation et l’appauvrissement des Palestiniens. Les financements associatifs et internationaux grâce auxquels les Palestiniens vivaient depuis des années ont été en partie consacrés aux Syriens. Les réfugiés palestiniens déplacés de Syrie ont été renvoyés vers l’UNRWA (1), qui n’a plus été en mesure de subvenir aux besoins des Palestiniens installés au Liban. Par ailleurs, de nombreux logements ont été loués en priorité à des Syriens, au détriment des Palestiniens et la main d’oeuvre syrienne est généralement plus appréciée car les Syriens acceptent des salaires plus bas.
Les Palestiniens ont vécu l’exil en deux temps, en 1948 (Nakba) et en 1967 (Naqsa). Mais la majorité des réfugiés palestiniens au Liban est arrivée en 1948. Durant la Nakba (l’exode palestinien), une centaine de milliers de Palestiniens se sont réfugiés dans le tout jeune Etat libanais (2). Ils étaient principalement originaires de Galilée ou de la côte nord-ouest (Haïfa) de la Palestine historique. A l’époque, les frontières étaient poreuses, les Libanais et les Palestiniens se déplaçaient facilement d’un territoire à l’autre, ce qui a facilité le déplacement des Palestiniens vers le territoire libanais.
A leur arrivée, les Palestiniens ont été pris en charge par la Croix Rouge. L’UNRWA a été créée en 1949 pour prendre le relais. Les réfugiés palestiniens ont été répartis sur le territoire libanais en 14 camps. Seule une poignée d’entre eux (les Palestiniens chrétiens et la classe aisée) a obtenu la nationalité libanaise à leur arrivée dans le pays.
Le second exode palestinien a eu lieu en 1967 (Naqsa) à l’issue de la guerre des six jours. La plupart des réfugiés sont partis en Jordanie, l’Etat le plus proche. C’est dans le Royaume hachémite que la première force armée palestinienne a vu le jour. Deux ans plus tard, en 1969, suite aux pressions de l’OLP, un accord a été signé au Caire pour donner aux Palestiniens le droit de gérer eux-mêmes leurs camps au Liban.
Après les événements de Septembre noir en Jordanie (1970-1971), la plupart des combattants palestiniens ont été expulsés vers le Liban. A leur arrivée, l’Etat libanais était déjà instable (3). Les divisions entre la bourgeoisie et les paysans étaient déjà fortes. A cela, s’est ajoutée une crise confessionnelle, mais aussi une profonde division entre panarabes et pro-américains. Ces oppositions ont finalement éclaté avec la guerre civile libanaise (1975-1990).
Le départ de l’OLP en 1983 a entraîné une dégradation de la situation socio-économique des Palestiniens au Liban. L’OLP leur rapportait de l’argent, elle les employait dans les institutions, comme Samed, créé en 1970. A partir des années 1980, les principales ressources financières des réfugiés provenaient en grande partie de l’étranger, car de nombreux Palestiniens ont fui le Liban après le massacre de Sabra et Chatila (16-18 sept. 1982) et au moment de la guerre des camps (mai 1985-février 1987). Les Palestiniens sont aussi parvenus à vivre grâce au marché noir. Outre le commerce parallèle, certains avocats ou médecins palestiniens travaillent alors clandestinement. Mais ils sont tout de même de plus en plus marginalisés, et à partir des années 1980, la dégradation de leur situation socio-économique ne fait qu’empirer. Les Palestiniens de la troisième génération, née à la fin des années 1980, sont moins diplômés et gagnent moins bien leur vie que leurs parents. Aujourd’hui, ces manifestations sont le résultat d’années de marginalisation des Palestiniens au Liban.
Les Palestiniens restent aujourd’hui très marginalisés au Liban. Sur le terrain, de nombreux Libanais travaillent avec les réfugiés sur des projets éducatifs et culturels, pour favoriser les interactions entre Palestiniens et Libanais. Cependant, il n’existe pas de volonté politique d’intégrer les Palestiniens. A titre d’exemple, une loi a récemment été votée au Liban permettant aux femmes libanaises de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Mais pour des raisons confessionnelles, cette loi exclut les femmes mariées à des Irakiens, à des Syriens, et même à des Palestiniens.
Notes :
(1) Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.
(2) Les Palestiniens constituent alors 10% de la population du Liban.
(3) CF révolution de 1956.
Marie Kortam
Marie Kortam est chercheuse associée à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO-Beyrouth). Titulaire d’un Doctorat en sociologie, ses travaux portent notamment sur les mouvements sociaux et sur les réfugiés palestiniens au Liban.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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