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L’année 2020 commence, et Israël entre dans une nouvelle campagne électorale. La troisième en moins d’un an.
Après des premières élections en avril 2019, Benyamin Netanyahou s’était révélé incapable de former un gouvernement sans l’ultra-nationaliste et séculier Avigdor Lieberman, qui refuse de siéger avec les partis religieux. Le Premier ministre avait donc poussé à la dissolution du Parlement israélien. Cinq mois plus tard, second round en septembre. A quelques sièges près, les résultats sont les mêmes : personne n’est en mesure de réunir une coalition rassemblant au moins 60 députés, soit la moitié du Parlement israélien. Benyamin Netanyahou est le premier à s’y casser les dents. Une nouvelle fois, Avigdor Lieberman lui tourne le dos. Le leader d’Israel Beitenou appelle à former une coalition avec Bleu Blanc (parti centriste) et le Likoud, mais sans les partis religieux et les partis arabes.
Au tour de Benny Gantz de former une coalition : même échec. Le leader de Bleu Blanc ne réunit pas assez de députés avec les partis de gauche. Il accepte le principe d’un gouvernement d’unité national, mais sans Benyamin Netanyahou, inquiété par la justice. Israël est renvoyé aux élections et les ennuis judiciaires de Benyamin Netanyahou prennent une autre dimension : à la mi-novembre, le procureur général Avichai Mendelblit annonce la mise en examen du Premier ministre pour corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires. Une inculpation qui est aujourd’hui au coeur de la nouvelle campagne électorale.
Pour nous éclairer sur la situation, Samy Cohen, politiste, Directeur de recherche émérite au CERI (Centre de recherches internationales de Sciences Po) et auteur notamment de “Israël et ses colombes. Enquête sur le camp de la paix” a répondu aux questions des Clés du Moyen-Orient.
Avant Benyamin Netanyahou, jamais un Premier ministre n’avait pris ce type de position contre la justice et la police dans l’histoire d’Israël. Que ce soit Yitzhak Rabin ou Ehud Olmert, ils ont immédiatement démissionné lorsqu’ils ont été sous le coup d’une inculpation, et même lorsqu’ils n’ont été que menacés d’inculpation. Ehud Olmert a démissionné en 2009, avant même d’être inculpé. Et en 1976, Yitzhak Rabin a immédiatement quitté son poste, quand son épouse a été accusée de détenir un compte bancaire aux Etats-Unis (A l’époque interdit en Israël). A l’époque, les Premiers ministres respectaient la procédure judiciaire et la norme commune aux pays occidentaux, selon laquelle un chef de gouvernement inculpé ne pouvait demeurer en fonction.
Mais Benyamin Netanyahou a rompu avec cette tradition. Il refuse de quitter son poste malgré la mise en examen, car il ne veut pas se retrouver devant une Cour, être jugé et peut-être condamné. Il tient absolument à s’accrocher au pouvoir.
Pour conserver le soutien de ses électeurs, il doit leur offrir un récit acceptable. Avant sa mise en examen, il affirmait son innocence totale, il ne cessait de proclamer : “il n’y aura rien parce qu’il n’y a rien”. Maintenant mis en examen, il construit son récit en opposition frontale avec la justice et la police : il affirme que le procureur général est en train de monter un coup d’Etat contre lui.
Son objectif : continuer à paraître légitime comme chef du gouvernement, montrer sa bonne foi à ses électeurs, pour mobiliser en vue des prochaines élections. C’est la seule alternative pour lui. C’est une stratégie électorale, ce sont des éléments de langage. Il n’est pas dans l’illégalité, car rien n’oblige un Premier ministre israélien à démissionner en cas d’inculpation. Il aurait aussi pu rester au pouvoir sans s’attaquer à la justice, mais il veut s’assurer de soutiens au sein de la droite.
Effectivement, sa stratégie fonctionne. Il a réussit à préserver le soutien de son électorat.
Il a aussi toujours le soutien de son parti. Le 26 décembre dernier, il a remporté les primaires du Likoud à plus de 70% contre son opposant Gideon Sa’ar. Israël est en pleine période électorale, et la droite veut rester au pouvoir. Or, Gideon Sa’ar n’a pas convaincu. Il n’a pas réussi à montrer qu’il serait le meilleur candidat pour la droite. Pour le Likoud, c’est Benyamin Netanyahou qui a le plus de chances de l’emporter lors des élections le 2 mars prochain.
La procédure fonctionne en deux temps :
– D’abord, habituellement, la demande d’immunité est présentée devant un comité parlementaire. Étant donnée la dissolution du Parlement israélien en novembre dernier, ce comité n’existe pas à l’heure actuelle.
– Ensuite, dans le cas où le comité est formé, s’il accepte de soutenir l’immunité, la demande est transmise à l’assemblée plénière de la Knesset. C’est alors aux députés de voter l’immunité.
Etant donnée l’absence de comité, Bleu blanc (parti centriste) a demandé au Président de la Knesset, Yuli Edelstein, de former une commission pour évaluer la demande de Benyamin Netanyahou, puis de la faire voter par le Parlement. Le Conseiller juridique de la Knesset s’est déjà prononcé favorable à cette démarche. Mais il faut l’accord du Président de la Knesset.
Benyamin Netanyahou n’a pas de majorité au Parlement, car Avigdor Lieberman a déjà affirmé qu’il voterait contre son immunité. Si un vote a lieu, B. Netanyahou pourrait perdre. Il serait donc étonnant que le Président de la Knesset, très proche de Benyamin Netanyahou, accepte la formation d’une commission.
Effectivement, en majorité, les Israéliens sont opposés à la procédure d’immunité. Même au sein de l’électorat de droite, l’opposition est forte : environ 1/3 des personnes interrogées. Certains de ses électeurs, déçus par la demande d’immunité, pourraient se détourner du Likoud. C’est un risque pour Benyamin Netanyahou. Mais, il préfère cette option à l’ouverture d’un procès dans les prochains mois.
Concernant la nature de la demande d’immunité : Benyamin Netanyahou a affirmé que cette immunité serait provisoire, valable uniquement pendant son mandat de député. Mais c’est inexact.
En droit israélien, il y a deux types d’immunités :
– Une immunité ad vitam aeternam : si le délit est commis dans l’exercice des fonctions, l’immunité demandée est absolue, même quand le député a quitté ses fonctions. Benyamin Netanyahou a bien fait une demande d’immunité à vie pour deux des trois affaires : les affaires 1000 et 2000, car il aurait commis les faits reprochés pendant l’exercice de ses fonctions.
– Une immunité provisoire : valable pour des cas où le délit est commis en dehors des fonctions. Il a demandé cette immunité pour l’affaire 4000.
Benyamin Netanyahou a donc tenu un double langage : il parle d’immunité provisoire, mais elle est absolue pour deux des affaires.
Ces dernières années, Benyamin Netanyahou a réussi à créer une symbiose entre lui et le Likoud, et entre le Likoud et l’Etat d’Israël. Pour ses partisans, si Benyamin Netanyahou est affaibli, c’est l’Etat israélien qui est affaibli. Il a aussi établi une relation personnelle, sentimentale très forte, presque charnelle, avec ses électeurs. Il est leur chef adulé. Les électeurs du Likoud sont aussi très sensibles au discours de Benyamin Netanyahou et à son image d’homme fort : il les a convaincus qu’il est le seul capable de défendre la sécurité d’Israël et à entretenir de bonnes relations avec les « grands » de ce monde, comme Poutine et Trump.
Le soutien des électeurs étant toujours au rendez-vous, il est difficile au sein du Likoud, même pour ceux qui veulent changer de chef, de s’opposer à Benyamin Netanyahou. Il est trop tôt pour cela, car il est encore le mieux placé pour attirer des électeurs.
A part Gideon Sa’ar, non, il n’y en a pas. Peut-être qu’un jour, d’autres candidats émergeront. Mais pour l’instant, ils ont tous joué la carte de la solidarité avec le Premier ministre. Face à Benyamin Netanyahou, aucun candidat n’a aujourd’hui de chance de se voir porté à la tête du parti par le comité central.
Cela ne change pas grand-chose. Avant cela, il avait déjà laissé entendre que ça n’avait pas de sens pour lui de maintenir le principe de la rotation avec Benny Gantz dès lors que Bleu blanc envisageait un accord avec le Likoud et la possibilité d’un gouvernement d’unité nationale - mais sans B. Netanyahou. Le parti acceptait le principe d’une rotation au poste de Premier ministre avec le Likoud. L’image de Bleu blanc aurait été brouillée si en plus d’une rotation avec le parti de droite, il y avait une rotation bis entre Benny Gantz et Yair Lapid. C’est dans l’optique d’une union avec le Likoud, pour exercer le pouvoir, que Yair Lapid a décidé de laisser le leadership à Benny Gantz.
Non, je ne crois pas qu’il y ait de changement concernant A. Lieberman : il souhaite que les deux partis fassent alliance, mais il ne s’alliera pas avec Bleu blanc s’il y a un soutien de la liste unifiée arabe, et ne s’alliera pas avec le Likoud si les partis religieux sont dans la coalition. La situation reste inchangée.
Par ailleurs, pour l’instant, les sondages montrent que le rapport entre le bloc de droite et le bloc de gauche n’a pas changé. On va droit dans le mur pour des 4e élections.
Ce système a existé entre 1992 et 1996. L’idée était de permettre à un Premier ministre d’exercer le pouvoir sans être trop dépendant de la Knesset. Les Israéliens ont voté dans un premier temps pour le Premier ministre et dans un deuxième temps pour leurs parlementaires, dans un système à peu près comparable à la France - même s’il faut nuancer la comparaison.
Cependant, en France, les électeurs donnent au président une majorité présidentielle au Parlement. Mais les Israéliens votent de manière bien différente pour leur Premier ministre et pour le groupe parlementaire. Cela ne fonctionne pas. Donc après 1996, ce système a été abandonné.
Benyamin Netanyahou a proposé d’adopter cette solution pour sortir de la crise. C’est un calcul purement tactique, car il sait qu’il arriverait en tête avec ce système et serait reconduit comme Premier ministre. Il est plus populaire que Benny Gantz. Bleu blanc a compris le piège en refusant.
La stratégie de Benyamin Netanyahou a consisté à créer un bloc de droite, une union sacrée, pour pousser ces petits partis – religieux et d’extrême droite – à rester unis et à ne pas s’allier avec ses adversaires politiques.
Mais à l’automne dernier, Naftali Bennet a habilement laissé entendre qu’il menait des négociations avec Bleu blanc pour former une coalition. B. Netanyahou a eu peur de ce scénario. Il lui a donc proposé la Défense, le ministère le plus sensible du gouvernement israélien.
Le Premier ministre serait prêt à vendre tout l’Etat pour garder le pouvoir. Il a fait la même chose avec Rafi Peretz, le leader du parti Le Foyer Juif, en lui offrant le ministère de l’Education nationale. Ce n’est pas rien de donner l’Education nationale à un religieux nationaliste orthodoxe. Contrairement à d’autres figures de la droite sioniste religieuse, comme Naftali Benett ou Ayelet Shaked, Rafi Peretz n’est pas un moderniste. Il est attaché à l’orthodoxie juive. Mais pour Netanyahou, l’essentiel est de garder le pouvoir, il est prêt à tout pour cela. Prêt à donner des portefeuilles ministériels et à monter son électorat contre la justice ou la police.
Nous sommes dans une situation grave. Le Premier ministre est prêt à affaiblir la démocratie pour rester au pouvoir.
Cette situation est inédite. A l’inverse, Menachem Begin, le premier leader du Likoud à être devenu Premier ministre (1977-1983) après des décennies de contrôle du pouvoir par les Travaillistes, était dans la tradition de Jabotinsky, dans une tradition démocratique au sein de la droite. Contrairement à ce qu’affirment certains analystes, Benyamin Netanyahu n’est pas un héritier de Jabotinsky. Jabotinsky proposait, bien avant la naissance de l’Etat, de nommer un vice-Premier ministre arabe auprès du premier ministre juif. Netanyahou ne se rattache pas à cette tradition démocratique de droite. C’est encore plus vrai quand on écoute le discours agressif de Benyamin Netanyahou sur la minorité arabe d’Israël.
Oui, leur discours a changé. C’était très clair lors des élections de septembre, les principaux leaders de la population arabe ont évolué dans le sens de la recherche d’une meilleure intégration des Arabes israéliens dans le jeux politique. Cela répond à une demande de leur électorat, excédé par leurs députés, qui passent trop de temps sur la question du conflit israélo-palestinien, et ne s’occupent pas de leurs intérêts en tant que citoyens de l’Etat d’Israël. Les partis arabes ont donc adapté leur stratégie à la demande populaire. Cela a été un succès, comme l’a montré la mobilisation de leur électorat autour de la liste unifiée.
Cependant, entre temps, les députés arabes ont essuyé un rejet de Bleu blanc, qui n’a pas accueilli leur soutien avec ardeur. Le parti centriste n’est pas prêt à leur accorder une place dans sa stratégie. Il ne veut pas s’affaiblir en se montrant aux côtés des partis arabes. Pour certains Israéliens, attentifs aux discours de Benyamin Netanyahou, une alliance de Bleu blanc avec les formations arabes revient à faire une alliance avec les « ennemis, soutiens des terroristes ».
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
Samy Cohen
Samy Cohen est politiste, directeur de recherche émérite au CERI (Centre de recherches internationales de Sciences Po) et auteur notamment de “Israël et ses colombes. Enquête sur le camp de la paix”, Gallimard, 2016.
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