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Entretien avec Michel Makinsky – Le positionnement de l’Iran dans le contexte de l’attaque du Hamas en Israël

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Michel Makinsky
Publié le 12/10/2023 • modifié le 12/10/2023 • Durée de lecture : 5 minutes

Pouvez-vous revenir sur les déclarations du président iranien Ebrahim Raïssi le 8 octobre, à la suite des attaques perpétrées par le Hamas sur Israël, qui dit « soutenir la légitime défense de la nation palestinienne » et salue « la résistance de la Palestine, du Liban et de la Syrie, (de) l’Irak, (de) l’Afghanistan et (du) Yémen, salutations à Gaza héroïque et résistante, salutation au Hamas et à tous les groupes de résistances »

Les déclarations d’Ebrahim Raïssi et d’autres Iraniens sont banales. C’est un bruyant satisfecit qui ne doit pas étonner. La signification est claire, elle véhicule une vieille rengaine des Gardiens de la Révolution : la certitude que l’Etat d’Israël s’écroulera et qu’il en sera de même pour ceux que ces derniers combattent sur d’autres fronts. Ceci n’a aucune implication pratique, c’est de la communication destinée aussi bien à un auditoire interne qu’extérieur (en particulier mise en garde aux pays arabes qui coopèrent avec l’Etat hébreu). A l’intérieur, c’est aussi une façon de manifester la poursuite de la prise de contrôle du pouvoir par les Gardiens, dont on a vu la preuve la plus évidente par le limogeage du pragmatique Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil Suprême de la Sécurité nationale, qui a négocié et signé l’accord saoudo-iranien [1].

Dans quelle mesure l’Iran apporte-t-il son appui aux mouvements islamistes palestiniens ?

Jusqu’à une date récente, il apparaissait que Téhéran privilégiait son appui au Djihad islamique, mouvement extrémiste très violent, tout en appuyant le Hamas (pour mémoire, les relations bilatérales ont connu des hauts et des bas ; la dernière réconciliation n’étant pas si ancienne après une période de froid). Il ne faut pas oublier également que le Hamas est la branche palestinienne des Frères musulmans. On a remarqué qu’avant l’attaque du Hamas, les dernières actions violentes étaient le fait du Djihad islamique, et qu’à l’étonnement des observateurs, le Hamas n’y avait pas participé, ce qui a surpris. L’explication aujourd’hui s’impose : ceci faisait partie de la tactique du Hamas qui a ainsi endormi la méfiance des services israéliens. Peu après, malgré tout, le Hamas a procédé à quelques entraînements qui n’ont pas suffi à attirer l’attention.

Pour définir le rôle de l’Iran dans l’attaque du Hamas, je pense qu’on peut le qualifier de complice mais pas d’auteur opérationnel [2]. Je peux me tromper, mais il y a un certain consensus là-dessus malgré de rares voix discordantes. D’ailleurs le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a déclaré que les Etats-Unis n’ont pas de preuve d’une participation directe de l’Iran. Néanmoins, l’Iran est impliqué de plusieurs façons : a) Avec certitude, les roquettes et matériels utilisés sont de fabrication iranienne, que ce soit fourni prêts à l’emploi ou en pièces à assembler sur place. b) La sophistication tactique et opérative du Hamas dans cette opération est totalement inédite. Il a fait un bond du statut de mouvement terroriste rudimentaire à celui d’une unité, certes terroriste, mais dont le mode opératoire est du niveau d’opérations armées. Il est du même niveau désormais que le Hezbollah libanais. Ce niveau n’a pas pu être acquis seul, le Hamas en est incapable. A l’évidence, cette formation sophistiquée tactique, opérative, planificatrice, etc, lui a été prodiguée par, soit le Hezbollah, qui possède cette qualification, soit par des instructeurs iraniens, soit par les deux.

Pourquoi ces attaques se sont-elles produites maintenant ?

Plusieurs raisons peuvent répondre à cette question.

a) Il était urgent pour le Hamas de réintroduire la question palestinienne au moment où l’Arabie saoudite discute avec Washington pour obtenir notamment de la technologie nucléaire (sans garantie de non usage militaire), un appui militaire tout en demandant (officiellement) à Israël de s’engager vers la création de deux Etats alors qu’en réalité, le royaume se contenterait de déclarations symboliques. Or, B. Netanyahu ne veut ni ne peut (à cause de ses alliés ultra orthodoxes) consentir à un quelconque geste en ce sens. Donc, en présence de déclarations laissant entendre qu’un accord est proche, Hamas veut torpiller ce futur accord. En fait, il n’a pas grand-chose à faire car ce dernier était déjà compromis pour les raisons que nous venons d’indiquer.

b) L’exécutif israélien est affaibli par une crise politique interne majeure, une crise de légitimité. Celle-ci s’est amplifiée avec le mouvement des réservistes qui ont refusé de participer aux entraînements militaires. Pire, l’armée a été affaiblie, la coordination des organes concourant à la sécurité a éclaté par la nomination du ministre de la Sécurité Itamar ben Gvir, qui a pris le contrepied des responsables militaires. Des initiatives catastrophiques ont notamment été destinées à encourager des opérations de forces des colons contre des terres et occupants palestiniens. Du coup, non seulement il y a de la perte de coordination, mais des unités en poste le long de la barrière de sécurité ont été déplacées, affaiblissant la défense du mur qui a été percé en plusieurs endroits. B. Netanyahu a décidé le 11 octobre de constituer un « gouvernement d’union » avec Benny Gantz (son opposant centriste) et le ministre de la défense Yohan Gallant. On comprend que ceci devrait améliorer le fonctionnement des forces armées mais nous ignorons comment le Premier ministre israélien composera avec ses alliés d’extrême-droite ultra-orthodoxes.

c) De plus, l’accord saoudo-iranien ne fait pas plus l’affaire du Hamas que des Gardiens de la Révolution. Donc en se distanciant de cette démarche de décrue des tensions, le Hamas entend montrer à tout le Moyen-Orient que cet accord n’est pas favorable aux pays de la région, à commencer par la Palestine et qu’il est un moyen indirect de favoriser Israël au détriment des Palestiniens. Il ne faut pas oublier que les monarchies du Golfe (sauf le Qatar) n’apprécient pas les Palestiniens. En effet, elles n’ont jamais pardonné à Yasser Arafat d’avoir soutenu Saddam Hussein dans le conflit irako-koweïti. A cette époque, de nombreux Palestiniens qui occupaient parfois des fonctions en vue (avocats, médecins, etc…) dans ces monarchies ont été expulsés sans ménagement. C’est ce qui explique qu’en réalité, ces monarchies n’ont pas vraiment soutenu la cause palestinienne. Bien plus, personne ne semble s’étonner d’une bizarrerie : c’est l’Union européenne qui finance les salaires des fonctionnaires palestiniens alors que ce serait le rôle normal des riches voisins du Golfe.

d) Enfin, très important : au moment où Saoudiens, Américains et Israéliens discutent des relations diplomatiques entre l’Etat hébreu et le Royaume saoudien, le risque de sacrifier les intérêts palestiniens offre une occasion en or pour le Hamas de montrer aux yeux de tous que face à cela, l’Autorité palestinienne est incapable de défendre les Palestiniens, qu’elle est totalement discréditée, et que lui, Hamas, est le seul en mesure de défendre les Palestiniens et d’infliger à l’occasion une lourde humiliation à Israël plutôt que de se cantonner en un rôle d’auxiliaire-complice.

Lire également :
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Publié le 12/10/2023


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


Outre une carrière juridique de 30 ans dans l’industrie, Michel Makinsky est chercheur associé à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE), et à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA), collaborateur scientifique auprès de l’université de Liège (Belgique) et directeur général de la société AGEROMYS international (société de conseils sur l’Iran et le Moyen-Orient). Il conduit depuis plus de 20 ans des recherches sur l’Iran (politique, économie, stratégie) et sa région, après avoir étudié pendant 10 ans la stratégie soviétique. Il a publié de nombreux articles et études dans des revues françaises et étrangères. Il a dirigé deux ouvrages collectifs : « L’Iran et les Grands Acteurs Régionaux et Globaux », (L’Harmattan, 2012) et « L’Economie réelle de l’Iran » (L’Harmattan, 2014) et a rédigé des chapitres d’ouvrages collectifs sur l’Iran, la rente pétrolière, la politique française à l’égard de l’Iran, les entreprises et les sanctions. Membre du groupe d’experts sur le Moyen-Orient Gulf 2000 (Université de Columbia), il est consulté par les entreprises comme par les administrations françaises sur l’Iran et son environnement régional, les sanctions, les mécanismes d’échanges commerciaux et financiers avec l’Iran et sa région. Il intervient régulièrement dans les media écrits et audio visuels (L’Opinion, Le Figaro, la Tribune, France 24….).


 


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