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Joseph Bahout est chercheur invité au Carnegie Endowment à Washington, spécialiste du Moyen-Orient.
Si l’on revient à l’analyse qui a été faite précédemment, il apparaît que le premier facteur de cette décision est avant toute chose lui-même. Elle confirme en effet que ce n’était pas sa décision, et qu’il s’agissait simplement d’un projet saoudien qui a échoué. La situation est revenue à la normale une fois qu’il fut libéré. On peut également observer en deuxième facteur le fort encouragement international au retour de Saad Hariri comme Premier ministre du Liban. Les États-Unis, la France, mais aussi certains pays arabes comme l’Égypte ont réclamé de ne pas toucher à la stabilité libanaise. Le Liban est aujourd’hui le foyer de plus d’un million de réfugiés, et personne ne souhaite voir ses problèmes déborder de ses frontières. Le Hezbollah n’a pas eu à faire de réelles concessions. Le retour de Saad Hariri a été marqué par un arrangement verbal, consacré dans la communauté du conseil des ministres ; sur le fond, rien n’a changé. On assiste à un retour boiteux au compromis libanais qui avait permis l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République. Ce compromis disparaîtra peut-être avec les élections législatives.
Il est nécessaire aujourd’hui de changer de terminologie. On ne peut plus, depuis cette affaire, parler comme avant du clan du 14-mars. Le « 14-mars » est devenu un terme théorique, rassemblant quelques forces qui composaient le 14-mars mais qui ne comprennent plus ni Hariri, ni d’ailleurs Walid Joumblatt. En revanche, il existe toujours quelque chose qui ressemble au 8-mars, mais là encore les choses ont changé. Hariri se trouve désormais protégé par ce néo-8-mars. Par la façon dont il a échappé à la mainmise des Saoudiens - ou par la façon dont les Saoudiens, par leur entreprise manquée, ont laissé s’échapper Hariri de leur mainmise - Hariri s’est retrouvé sous la protection de Michel Aoun et du Hezbollah. Sur cet aspect, Aoun ne se cache pas : Hariri a annoncé pouvoir faire du Courant Patriotique un allié électoral. Le Hezbollah se fait plus discret, soucieux de conserver sa base électorale. Nasrallah a toutefois annoncé qu’il souhaitait rencontrer Saad Hariri, tout en précisant qu’il comprendrait que ce puisse être gênant pour Hariri lui-même. L’approche des élections va voir l’émergence de connivences électorales nouvelles entre Michel Aoun, Saad Hariri, peut-être Soleiman Frangié. Les grands perdants de cette affaire sont finalement les forces chrétiennes (les Forces Libanaises, les Kataëb, etc.) et les ultras de la communauté sunnite. Nous verrons à partir de maintenant quels nouveaux clivages ces élections laisseront émerger.
Il y a plusieurs enjeux au niveau des forces politiques en présence. Dans un premier temps, cette élection sert Michel Aoun : élu il y a un an, il attend de cette élection qu’elle offre une plus grande légitimité à son mandat. Il espère pouvoir construire une majorité – même implicite – qui devienne l’appui législatif du pouvoir. Il a d’ailleurs souvent dit que son mandat commencerait véritablement au lendemain de ces élections. De son côté, le Hezbollah veut un Parlement qui lui offre une couverture au niveau international. Il ne souhaite pas risquer de perdre sa majorité – a priori, elle ne lui échappera pas. Pour le camp des anti-Hezbollah en revanche, les élections devaient être un bras de fer, mais s’ils lisent aujourd’hui les cartes électorales, ils doivent s’attendre à une défaite plus ou moins large.
Il est important cependant de rappeler que tout ce dont nous discutons suppose que les circonstances régionales restent les mêmes. Avec ce qui se déroule en Iran depuis la fin du mois de décembre, ces prévisions ne sont pas assurées. Bien que les manifestations qui se sont déclenchées contre le gouvernement iranien en Iran soient aujourd’hui sous contrôle, on ne sait pas encore ce à quoi cela peut mener. On peut attendre également un retour des Saoudiens sur le terrain politique libanais. L’Arabie saoudite n’a pas complètement accepté sa défaite sur le Liban, et tentera sans doute prochainement de retrouver son influence sur le pays. L’avenir de la Syrie entre également en ligne de compte. Il s’agira donc de suivre et d’analyser les positions du Hezbollah au gré des incertitudes de l’Iran.
Pour les Libanais – s’il est possible de les catégoriser ainsi –, les élections sont toujours un moment de repolitisation. Elles permettent de lire la sociologie du pays, et d’analyser les grandes tendances qui se dégagent.
Il existe des brèches dans la loi électorale qui permettent à des forces nouvelles d’exister et d’apparaître dans la course électorale. Beaucoup présentent la société civile comme nouvel acteur politique au Liban. De nombreux mouvements sont effectivement apparus récemment, en réponse à certaines crises – les déchets, la corruption. L’émergence de cette « société civile » pose de nouvelles questions théoriques : qui est-elle ? Qui représente-t-elle ? Est-elle vraiment civile ? Il est en tout cas intéressant de suivre cette sociologie-là, et de voir comment ces mouvements vont se coaliser pour faire quelque chose qui pourrait avoir du sens politiquement. Personnellement, je ne suis pas très optimiste à ce sujet.
Par-delà la question de la mobilisation de la société civile, des Libanais espèrent, par le vote, un renouvellement de la classe politique. D’autres souhaitent reconduire les candidats qu’ils ont l’habitude de soutenir.
Parmi les risques lointains qui guettent le Hezbollah, on pense bien sûr à une conflagration des événements en Iran. Bien que ce soit pour le moment exclu, il s’agit d’un scénario de cauchemar pour le Hezbollah : la chute de l’Iran mettrait fin à la principale ressource du mouvement.
Un autre scénario possible serait que ces manifestations, qui agitent aujourd’hui l’Iran, deviennent endémiques, et que le régime, davantage préoccupé pas sa survie en interne, se désintéresse de ses forces régionales. Dans ce cas de figure, le Hezbollah risquerait de perdre beaucoup de soutien, mais gagnerait en autonomie.
La troisième chose qui pourrait se profiler serait une requête de l’Iran auprès de ses forces régionales en cas d’envenimement de la situation – non pas que l’Iran ne dispose pas d’assez d’effectifs pour contrer les mobilisations, mais pour éviter de mettre en face des manifestants des forces iraniennes. Cela impliquerait pour le Hezbollah de dégarnir le front syrien pour gérer ce péril.
Bien qu’aucune de ces options ne soient aujourd’hui d’actualité, elles doivent être considérées par le Hezbollah. Pour le moment, Nasrallah minimise l’importance des événements ; il a même prétendu que les mobilisations touchaient à leur fin, alors que la contestation continue. La réaction de Nasrallah ressemble à celle qu’il eut aux débuts de la révolution syrienne : il semble surtout embarrassé, et débordé par cette situation.
Lire également : Entretien avec Joseph Bahout – Quelle situation après la démission de Saad Hariri ?
Joseph Bahout
Joseph Bahout est professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et chercheur à l’Académie diplomatique internationale.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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