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Cette nouvelle exposition proposée par l’I.M.A. invite au voyage dans la temporalité de témoins millénaires de l’histoire de l’humanité : la mosquée al-Nūri et le mausolée de Nabi Younes à Mossoul, la grande mosquée des Omeyyades de Damas, le souk et la citadelle d’Alep, l’oasis de Palmyre, le site de Leptis Magna toujours présent mais menacé de pillage et d’une éventuelle destruction.
Les voyageurs qui se sont perdus, il y a quelques années ou quelques siècles, dans les rues d’Alep, Damas ou de Mossoul ont un avantage mémoriel ou sensitif sur le visiteur qui ne trouve plus dans ces paysages que des ruines abandonnées. Les aventuriers et les conteurs, les historiens et les amateurs, nous ont laissé un legs précieux en faisant revivre sur le papier et les pages web, l’histoire de Palmyre, la troublante oasis qui fut le fief de la reine Zénobie.
La destruction de ces sites historiques a toutefois eu, paradoxalement, deux conséquences positives : la sensibilisation du public sur l’importance de protéger le patrimoine mondial de l’humanité et la découverte, sous les décombres, de sites archéologiques encore plus anciens à l’instar du palais assyro-babylonien mis au jour sous les décombres du site du mausolée de Jonas. L’évidence de la disparition a également suscité un engouement pour la connaissance de ces sites de la part des populations locales qui se sont nouvellement investies dans la préservation et la protection de leur patrimoine culturel menacé également par le pillage et le vol d’antiquités. Archéologue et habitants œuvrent de concert dans ce but.
Pour faire revivre, une fois encore, ces villes détruites et ces sites en danger, l’Institut du Monde Arabe a élaboré une exposition visuelle mettant en parallèle, sur des écrans de grande taille, images d’archives, plans actuels filmés à l’aide de drones et reconstitution en trois dimensions de certains monuments emblématiques par le biais de la photogrammétrie. Une expérience de réalité virtuelle in situ est également offerte au spectateur.
L’histoire des cinq sites représentés dans cette exposition est emblématique de celle de l’Orient ancien, médiéval et moderne ; agité par des guerres et des heurts depuis les prémisses de son Histoire telle que les témoins épigraphiques, numismatiques et scripturaux nous permettent d’en saisir les fragments. Au centre de chaque espace, une table de médiation dynamique circulaire permet de localiser les villes, les édifices, les quartiers ou les monuments endommagés et en reconstitue l’histoire.
La première salle amène le visiteur à Mossoul où se dressaient la mosquée al-Nūri et sa habda, son minaret penché, vestige le plus ancien. Grâce à la technique de photogrammétrie, les lignes du bâtiment se dessinent à nouveau pour laisser apparaître les minarets, le toit et les arches de cette mosquée construite en 1172 par Nūr al-Dīn (1118-1174), démantelée puis reconstruite en 1947 et détruite le jour du solstice d’été et de la laylat al-Qadr (la nuit du destin) le 21 juin 2017.
Conquise par les arabes au VIIème siècle de notre ère, Mossoul, ville multiconfessionnelle et pluri-ethnique, abritait, jusqu’il y a peu, des communautés musulmanes, chrétiennes, juives et yézidies. Le retour de ces minorités est souhaité par les habitants pour réinstaurer le climat d’ouverture et de tolérance qui faisait partie de l’identité mossouliote et permettre la reconstruction de la ville. En avril 2018, l’UNESCO, les Emirats arabes unis et l’Irak ont annoncé un partenariat de 50 millions de dollars pour reconstruire la mosquée al-Nūri et les sites historiques de Mossoul.
Cet édifice et la mosquée du XIVème siècle qui l’abritait, se dressaient sur la rive est du Tigre, sur les terres de l’ancienne Ninive autour du présumé tombeau du prophète pluriconfessionnel Jonas. Dynamités le 24 juillet 2014 par l’État islamique, leur perte a mis au jour des vestiges qui n’auraient peut-être jamais été découverts sans cet événement : deux gigantesques taureaux sculptés dans la pierre, probables gardiens du palais du roi assyrien Assarhaddon, datant du VIIème siècle avant notre ère. Des archéologues de l’université d’Heidelberg aident aujourd’hui leurs homologues irakiens à se pencher sur cette découverte.
Toute culture qui n’est pas variée, multiculturelle devient fanatique.
Père Najeeb Michael, Père dominicain de Mossoul, directeur du C.N.M.O.
La deuxième salle nous amène tout droit vers la citadelle d’Alep avant de rappeler les souks, aujourd’hui en ruine, qui abritaient le plus grand marché couvert du monde. La vieille ville fondée sous le nom de Halab au Vème siècle avant notre ère a connu successivement la domination des Hittites, des Assyriens, des Arabes, des Mongols, des Mamelouks et des Ottomans. La forteresse médiévale d’Alep, construite entre le XIIème et XIIème siècle a maintes fois été reproduite sur les premières cartes des géographes arabes.
L’histoire de cet édifice est caractéristique des changements et des pollinisations culturelles croisées à l’œuvre dans la région depuis la haute Antiquité. Le temple initialement voué à Haddu, le dieu de la pluie, des orages et du tonnerre est ensuite devenu la demeure de son pendant romain, Jupiter puis une église avant d’être édifié entre 705 et 715 pour accueillir la prière musulmane du vendredi. L’originalité de son architecture, influencée par l’art sassanide et byzantin, et la finesse de ses décors de mosaïques témoignaient de la richesse de l’Empire omeyyade qui fit de Damas sa capitale en 661.
Paradoxalement, ce sont les conflits qui ont amenés la population libyenne à s’intéresser à son patrimoine et à se mobiliser pour sa protection. La ville antique de Leptis Magna, située à une centaine de kilomètres de Tripoli, est aujourd’hui sous protection relative, et la mission archéologique française forme les Libyens à la préservation du patrimoine archéologique, ce qui permettrait une certaine autonomie dans la lutte contre le vol et la revente d’artefacts et d’objets d’art. En l’absence de revenus pétroliers, le tourisme est aujourd’hui privilégié et l’Histoire libyenne est enseignée pour sensibiliser les jeunes générations afin de permettre le développement prospère d’une nouvelle culture et économie.
L’oasis de Palmyre qui s’étendait au centre du désert de Syrie, entre l’Euphrate et la côte levantine témoignait également de la richesse de la diversité culturelle, qu’elle soit linguistique, architecturale, scripturale ou vestimentaire. D’un point de vue religieux, l’ancienne Tadmor abritait tant le temple dédié au dieu phénicien Baalshamīn, qu’à la divinité mésopotamienne Bel ou la déesse pré-islamique Allāt. Les sources nous laissent entrevoir que Palmyre, à l’instar d’autres sites issus de l’Antiquité, est un lieu de rencontre d’influences multiples qui en ont façonné le caractère hétérogène unique et fascinant. Ainsi que l’écrit Paul Veyne : « Elle détient un record en matière de richesse du mélange ; on a beau parcourir des yeux la carte de l’Empire (romain), on ne voit pas où auraient pu se rencontrer un plus grand nombre d’influences : la vieille Mésopotamie, l’antique Syrie araméenne, la Phénicie, un peu de Perse, d’avantage d’Arabie ; brochant sur le tout la culture grecque et le cadre politique romain » (1). Et d’en conclure que le chauvinisme culturel n’était pas d’application dans l’Antiquité.
Dans une dernière salle, une vidéo fait l’inventaire d’une série de sites qui témoignent d’un riche passé, rappelle l’urgence de les protéger de la destruction humaine ou écologique et les faire connaître du public : le minaret Samarra en Irak et celui de Djām en Afghanistan, Délos en Grèce, Angkor au Cambodge, les pyramides de Méroé au Soudan.
Dans la dernière partie de l’exposition, muni d’un casque, le visiteur pourra déambuler à l’intérieur de six monuments emblématiques des sites précédemment découverts dans le parcours et presque les toucher du doigt, à des milliers de kilomètres de distance.
Reste à se pencher sur l’épineux problème de la raison de la destruction massive de ces sites culturels emblématiques. Une hypothèse, rappelée plusieurs fois dans les textes explicatifs qui jalonnent l’exposition, touche au caractère polythéiste ou syncrétique de ces monuments qui ont accueillis des dieux étrangers ou des religions concurrentes et sont l’emblème de la diversité religieuse et culturelle intolérable pour une organisation prônant une version extrémiste et univoque de l’islam. Une autre, reprenant une partie de cet argumentaire mais en y apposant une grille d’analyse supplémentaire s’axerait sur un problème de représentation « orientaliste » et d’intérêt occidental pour ces monuments historiques. En détruisant ces monuments, les islamistes entendraient marquer la différence de leur identité et montrer qu’ils ne respectent pas ce que vénère la culture occidentale (2), que la disparition de ces monuments est une coupure nette avec la domination politique et idéologique occidentale qui a gangréné la pureté de leurs valeurs et leur culture depuis au moins le partage des territoires ottomans après la Première Guerre mondiale.
Irrémédiablement, ces édifices majestueux ne sont plus. Et leur absence, au-delà des spéculations sur la cause réelle de leur perte, pourrait également attiser des réflexions constructives pour l’avenir afin que la mise en valeur, l’entretien et la préservation du patrimoine historique commun devienne, au-delà des différences culturelles et identitaires et grâce à elles, une priorité active.
Lien vers la page de l’exposition de l’IMA : https://www.imarabe.org/fr/expositions/cites-millenaires
Notes :
(1) Veyne, 2016, p.106.
(2) Veyne, 2016, p.121.
Liens et bibliographie :
– Aloudat, N. (dir.), 2018, Cités Millénaires, Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul, Institut du Monde arabe, Paris.
– Veyne, P., 2016, Palmyre. L’irremplaçable trésor, Points, Paris.
– https://www.grandpalais.fr/fr/article/le-site-de-la-grande-mosquee-des-omeyyades-de-damas
– https://www.mesopotamiaheritage.org/
– http://iconem.com/fr/
– https://publicdomainreview.org/collections/the-maps-of-matrakci-nasuh-16th-century-polymath/
– http://archeologie.culture.fr/proche-orient/fr
– http://archeologie.culture.fr/proche-orient/fr/mediatheque
Florence Somer
Florence Somer est docteure en anthropologie et histoire religieuse et chercheuse associée à l’IFEA (Istanbul). Ses domaines de recherche ont pour cadre les études iraniennes, ottomanes et arabes et portent principalement sur l’Histoire transversale des sciences, de la transmission scientifique, de l’astronomie et de l’astrologie.
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