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Maya Haïdar-Boustani, directrice du Musée de Préhistoire libanaise de l’Université Saint-Joseph, revient pour Les clés du Moyen-Orient sur les différents sites préhistoriques de Beyrouth, sur la grande collection des Pères jésuites et sur les conséquences de l’explosion du 4 août 2020 sur le Musée.
J’ai effectué ma scolarité au Grand lycée franco-libanais de Beyrouth, établissement de la Mission laïque française. À cause de la guerre civile, j’ai dû quitter le Liban pour la France où j’ai retrouvé mes sœurs aînées. À la suite de mon baccalauréat français, j’ai commencé mes études supérieures en histoire de l’art et archéologie à Paris I. Inscrite en doctorat, il m’a été difficile de trouver mon sujet de thèse, car il n’y avait pas de sujets inédits concernant la Préhistoire du Liban. Le sujet de ma thèse a finalement porté sur Les ateliers de taille de la Béqa‛ (Liban) dans le contexte proche-oriental : le façonnage des macrolithes néolithiques. J’ai cherché à identifier les techniques et les méthodes de taille, ainsi que les étapes du processus de fabrication des macrolithes, et à définir les types d’outils recherchés. Je devais aussi attribuer ces macrolithes à une période, à une culture. Pour réaliser ce travail académique, j’ai étudié une partie des collections des Pères jésuites de Beyrouth qui était alors accessible aux chercheurs. Je suis donc retournée au Liban pour étudier les collections et j’y suis restée.
En effet, dès ma licence j’ai su que je voulais étudier la Préhistoire et en particulier la période Néolithique. J’ai hésité avec le droit du patrimoine, mais c’est un de mes professeurs, Jean-Louis Huot, qui m’a encouragée à continuer car il n’y avait pas de préhistoriens libanais.
Jacques Cauvin (†), spécialiste du Néolithique proche-oriental, a été mon directeur de thèse dans les premières années de mes recherches, mais un accident de santé l’a empêché de poursuivre, et j’ai transféré mon dossier vers Lyon 2, n’ayant pas trouvé de professeur pour assurer ma soutenance à Paris I.
Alors que j’étudiais les collections des Pères jésuites pour ma thèse, j’ai appris que l’Université-Saint-Joseph souhaitait mettre en place un enseignement de la Préhistoire à la Faculté des Lettres tout en montant le projet du Musée de Préhistoire libanaise. J’ai collaboré au projet du Musée de Préhistoire libanaise qui a nécessité près de deux années de travail. Il a été inauguré en juin 2000. En parallèle, j’ai eu l’occasion d’enseigner à Beyrouth et dans les centres régionaux de l’USJ à Saïda et Tripoli. En 2007, la section Archéologie à Beyrouth a été fermée, il n’y a donc plus véritablement d’enseignement d’archéologie.
J’ai été assistante de recherche au Musée pendant un certain temps puis j’ai succédé au premier directeur, Lévon Nordiguian.
Le Musée de Préhistoire libanaise est petit et spécialisé. Nous avons fait de nombreuses actions pour faire connaître la Préhistoire auprès des enseignants des établissements scolaires et du grand public. Au Liban, les programmes scolaires ne sont pas uniformes et donc les enseignants ou les écoliers ne sont pas tous sensibilisés à cette période de notre histoire.
Pour les enseignants, nous avons publié et distribué gratuitement un dossier pédagogique qui présente la Préhistoire d’une manière générale et celle du Liban plus spécifiquement. Pour les écoliers, à part la visite commentée bien évidemment, nous organisons des ateliers tout au long de l’année. Les thèmes de ces ateliers qui sont à la fois pédagogiques et ludiques, sont directement liés à l’homme préhistorique, ses techniques, ses inventions, ses traditions comme la poterie, la peinture pariétale, la parure…
Aussi, chaque année, le Musée participe à la Journée internationale des musées (lancée par l’ICOM) et à la Nuit des Musées (initiée par le ministère de la Culture dans le cadre du mois de la francophonie). Nous organisons également des conférences, des séminaires pour les archéologues et plus spécifiquement pour des préhistoriens, et des expositions.
La recherche scientifique occupe une place importante au Musée. J’ai lancé des projets de recherche en partenariat avec des institutions européennes, comme l’Université de Cantabria, le CSIC-Barcelone, l’ifpo de Beyrouth, l’Université de Genève… Nous avons travaillé au Liban (le site Tell Labwé Sud dans la Béqa‛ Nord, celui de Qleiaat dans le Kesrouan, les zones marécageuses de la Béqa‛, les mégalithes de Menjez dans le Akkar…), en Syrie dans la Bouqaia (région de Homs) où nous avons inventorié un grand nombre de sites archéologiques allant du Paléolithique jusqu’à la période ottomane. Parmi ces sites, trois ont fait l’objet de sondages et fouilles archéologiques (Jeftelik, Tell Al Marj et Tell Ezou).
J’ai publié un article à la demande d’Historia il y a quelques temps dans un numéro consacré à Beyrouth. Les sites préhistoriques de Ras Beyrouth ont été découverts et explorés par les Pères jésuites au début du XXème siècle. Les Jésuites ont constitué une grande collection provenant de ces sites-là, qui sont installés le long du promontoire rocheux de Beyrouth.
Lorsque la communauté scientifique européenne a commencé à accepter l’idée de l’ancienneté de l’Homme, certains Jésuites ont investi une partie de leur temps à la recherche de vestiges ou d’artefacts de la Préhistoire du Liban. Ils ont fait des investigations, publié leurs résultats, et ont constitué les collections qui sont actuellement préservées au Musée de Préhistoire libanaise.
Ces collections proviennent essentiellement de ramassages en surface, non pas de fouilles dans des contextes stratifiés. Ceci n’enlève rien à leur valeur. À ma connaissance, il s’agit de la plus grande collection qui touche à la Préhistoire libanaise.
Depuis les explorations que les Pères jésuites ont faites à Beyrouth, aucune autre mission n’y a été organisée. Parmi les sites préhistoriques de la capitale, celui de Minet Dalieh, un petit port de pêcheurs, a fait couler beaucoup d’encre dans les quotidiens libanais il y a quelques d’années. En effet, un projet immobilier devait transformer ce site en complexe balnéaire destiné à une certaine classe sociale. La société civile a enclenché beaucoup d’actions afin de préserver ce site naturel et géologique où se trouve in situ le silex exploité par les derniers préhistoriques qui habitaient Beyrouth.
La capitale libanaise et ses environs regorgeaient de sites préhistoriques. Il y a deux complexes à Beyrouth : Ras Beyrouth et les Sables de Beyrouth, dont les collections se trouvent au Musée de Préhistoire libanaise de l’USJ. Concernant Ras Beyrouth, ce site est un complexe dans le sens où il y avait plusieurs occupations préhistoriques, et Minet Dalieh en est l’un d’eux.
Plus au Sud, correspondant à l’actuel aéroport et une partie de la banlieue sud, la nature géologique est complètement différente, il s’agit de dunes de sables : c’est le site des Sables de Beyrouth où les Pères jésuites ont découvert une dizaine de sites tels que Borj Barajné, Haret Hreik, Ghadir Arslan…
Lors de la reconstruction du centre-ville par Solidère (début des années 90 du siècle passé), les fouilles urbaines ont permis de découvrir des sites entiers, des niveaux d’habitation, ou encore des artefacts préhistoriques. Ces découvertes sont peu connues car les résultats n’ont pas encore été publiés. Nous n’avons que des bribes de ces avancées dans les quotidiens, mais de petites mentions sont néanmoins publiées dans la revue BAAL, revue de la Direction générale des antiquités (DGA). Cela fait une trentaine d’années que les équipes de la DGA fouillent des sites pour permettre à la ville de se développer et aux promoteurs de construire.
Quelle que soit la période préhistorique, je dirais que les sous-sols de Beyrouth sont riches et cela s’étend au-delà des limites actuelles de la capitale.
Depuis les travaux des Pères jésuites, l’état des lieux des sites préhistoriques de Beyrouth n’a pas été fait, on ne peut donc pas savoir s’il y a eu des dégâts. Minet Dalieh n’a cependant pas été touché.
En revanche, le Musée de Préhistoire libanaise, situé à un km du port de Beyrouth, a subi des dommages. Certains objets sont tombés dans les vitrines, mais sans plus de dégâts. Nos collections et les réserves sont intactes, nous avons eu de la chance. Les fenêtres, portes d’accès, vitres, portes intérieures et murs intérieurs, plafonds et faux plafonds doivent être réparés ou remplacés.
Rapidement, nous avons donc sécurisé le Musée. Au niveau de l’accueil, se trouve un plafond en structure d’aluminium avec des carreaux de vitres. Nous l’avons démonté et rebouché pour éviter tout danger, ainsi que les risques d’intrusions humaines ou autres. Actuellement, nous faisons l’inventaire pour établir le coût des réparations. Toute la communauté internationale s’est mobilisée pour aider le Liban. La culture et le patrimoine (musées, bibliothèques universitaires, archives, maisons historiques qui se trouvent dans les quartiers proches du port) ont beaucoup souffert de la double explosion qui a eu lieu au port le 4 août 2020.
Si la quasi-totalité des sites anciennement découverts et documentés par les Pères jésuites sont aujourd’hui inaccessibles à cause de l’urbanisme, on a encore la possibilité de préserver ce qui est mis au jour dans les fouilles préventives conduites par la Direction générale des antiquités.
Margot Lefèvre
Après avoir obtenu une double-licence en histoire et en science politique, Margot Lefèvre a effectué un Master 1 en géopolitique et en relations internationales à l’ICP. Dans le cadre de ses travaux de recherche, elle s’intéresse à la région du Moyen-Orient et plus particulièrement au Golfe à travers un premier mémoire sur le conflit yéménite, puis un second sur l’espace maritime du Golfe et ses enjeux. Elle s’est également rendue à Beyrouth afin d’effectuer un semestre à l’Université Saint-Joseph au sein du Master d’histoire et de relations internationales.
Maya Haïdar-Boustani
Docteure en archéologie préhistorique et auteure de plusieurs articles, Maya Haïdar-Boustani est la directrice du Musée de Préhistoire libanaise de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth où elle a enseigné entre 1999 et 2017. Elle est également la secrétaire générale de l’ICOM-Liban et de l’Association pour la Restauration et l’Étude des Fresques médiévales du Liban (AREFML).
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