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Jean-Baptiste Yon est chercheur au CNRS, Laboratoire HiSoMA (CNRS-Université de Lyon). Ses travaux portent sur le Proche-Orient hellénistique et romain, en particulier à partir des sources épigraphiques araméennes, grecques et latines.
À l’origine de Palmyre, on trouve une source qui a permis dès la préhistoire l’installation d’hommes dans la région (source Efqa). L’oasis et ses habitants sont nommés dans les archives cunéiformes de Mari (début du IIe millénaire av. J.-C.), ainsi que dans les récits de conquête des rois d’Assyrie (au xie siècle). Toutefois, l’endroit avait peu d’importance politique ou culturelle. Ce n’est qu’avec le développement du commerce que la cité entre vraiment dans l’histoire. En effet, Palmyre est placée à peu près à mi-chemin entre la Méditerranée et la Mésopotamie. Elle est installée dans une zone de confins entre une chaîne montagneuse (relativement arrosée) et la steppe proprement dite. Les conditions géologiques (croisement de plusieurs couches stratigraphiques) font qu’en ce lieu se produit la résurgence de l’eau appartenant à une nappe très étendue (sans doute jusqu’à Dmeir vers le sud-ouest). Le site de Palmyre est donc particulièrement attirant sur les routes qui traversent la steppe syrienne, comme un sorte de raccourci désertique entre la côte méditerranéenne et l’Euphrate. La maîtrise de ce raccourci permet d’éviter un détour par le nord, mais pour pouvoir utiliser cette route plus courte, il faut contrôler les pistes du désert et ne plus avoir à se préoccuper des dangers éventuels constitués par les nomades qui peuplent ces contrées.
Profitant de cette position, Palmyre est à l’époque romaine une ville caravanière contrôlant une partie du commerce entre le Golfe, l’Océan indien à l’est, et la Méditerranée, Rome, à l’ouest. De nombreuses inscriptions en grec et en araméen (langue locale) sont conservées sur les pierres et les colonnes de la ville. Elles citent des localités du Golfe, de Basse Mésopotamie et jusqu’à l’Inde du Nord-Ouest (la Scythie) où des Palmyréniens sont allés, pour s’installer, pour commercer et rapporter des produits d’Extrême-Orient ; sur le site de Palmyre, les conditions climatologiques ont préservé des tissus, de la soie, tissée et produite en Chine, et portée par de riches Palmyréniens. On connaît plus mal les autres produits, mais les épices, les parfums devaient aussi constituer les cargaisons des caravanes organisées et défendues au besoin par les grands notables de la ville.
L’histoire connue de Palmyre commence en fait avec la tentative de pillage des troupes d’Antoine en 41 av. J.-C. L’historien Appien raconte que les soldats trouvèrent la ville vide, car les habitants, prévenus, avaient fui vers l’Euphrate, ce qui indique peut-être qu’il s’agissait principalement de semi-nomades. Néanmoins, le fait qu’on ait voulu la piller indique sans doute que la prospérité de la ville pouvait attirer les regards. On sait qu’ensuite la ville dut être intégrée à l’Empire romain vers 17-19 apr. J.-C. Elle prospère ensuite au sein de l’empire, voit la visite de l’empereur Hadrien vers 129, fournit de nombreux soldats – archers et cavaliers – à l’armée romaine. Pourtant, à la fin du iie s., le commerce commence à souffrir des luttes incessantes entre Romains et Parthes (l’empire aux souverains iraniens qui domine la Mésopotamie à l’époque), auxquels succèdent les Sassanides (à partir de 224). Les marchands se redéploient vers l’Égypte et la mer Rouge. Au cours du iiie s., la Syrie connaît plusieurs invasions des armées perses sassanides. Un grand notable palmyrénien, nommé Odainath, rallie les troupes fidèles à Rome, pour lutter contre les Perses, allant jusqu’à piller par deux fois leur capitale, Ctésiphon, près de l’actuelle Bagdad. Après sa mort, la lutte est poursuivie par sa veuve, la fameuse Zénobie, qui tenta même d’usurper le pouvoir impérial, en réaction à la faiblesse passagère des empereurs qui avaient abandonné, un temps, le Proche-Orient à son sort. Sa défaite devant Aurélien, empereur qui prend Palmyre en 272, ne signifie pas l’abandon du site, bien qu’en raison du changement des routes commerciales, il ne retrouve pas sa prospérité antérieure.
Les variations des routes commerciales marquent en tout cas les deux extrémités chronologiques de la grande période de Palmyre. En effet, du milieu du ier siècle av. J.-C. jusqu’au dernier quart du iiie siècle apr. J.-C., le commerce a permis à la ville de connaître la prospérité économique et culturelle. La civilisation de Palmyre a bien sûr été fortement influencée par ce rôle de voie de passage entre la Méditerranée gréco-romaine et la Mésopotamie et le monde iranien. Néanmoins, la société palmyrénienne a su résister et préserver ses caractères propres, comme cela est visible dans l’usage officiel de l’araméen, dans la liste des dieux vénérés (Bel, Nabû mésopotamiens ; Allat, Arsû arabes ; Baalshamin, Atargatis, plus proprement syriens et araméens ; et même des divinités gréco-romaines, Apollon ou Héraclès), ou encore dans les coutumes funéraires.
SYRIA, Palmyra : The Monumental Arch, built under the reign of Septimius Severus (193 - 211 AD), with the Great Colonnade in the distance, Palmyra, Syria Picture by Manuel Cohen / AFP
À partir du iie siècle au moins, les formes architecturales gréco-romaines sont très largement adoptées, même si la rupture avec les formes plus anciennes n’est pas totale. Ainsi les tombeaux, dans leur décor et leur forme architecturale, sont nettement inspirés des modèles gréco-romains contemporains (« temples funéraires »), mais on continue à construire des hypogées, caractéristiques de Palmyre depuis l’époque hellénistique. Les temples ou les colonnades qui marquent le décor urbain reprennent des solutions architecturales courantes dans l’Empire romain contemporain, que ce soient les chapiteaux ou la forme des temples (sanctuaires de Baalshamin ou de Nabû), mais c’est parfois au service de divinités qui n’ont rien de classique, et pour des formes de cultes proprement syriennes : l’autel devant le temple de Nabû est comparable à ce qu’on peut trouver à Qalaat Fakra dans la montagne libanaise, ou encore à Baalbek. Si le décor est plutôt classique et très marqué par l’architecture hellénistique, l’architecture du temple de Bel est particulière, avec son entrée désaxée placée sur un des longs côtés et les deux chambres réservées aux divinités aux deux bouts.
Parmi les monuments d’aspect le plus gréco-romain, on citera l’agora, vaste quadrilatère entouré de portiques, situé au sud de la grande colonnade. En ce lieu se réunissaient les notables de la ville de la fin du ier s. aux années 250 ; c’est là aussi, comme dans la grande colonnade ou les sanctuaires, qu’on honorait les bienfaiteurs de la cité, par des statues en pied placées sur des consoles attachées aux colonnes des portiques. L’agora se situe à proximité du rempart tardif (plusieurs états entre la fin du iiie s. et le vie s., époque de l’empereur Justinien), qui entoure une ville déjà réduite par rapport à son extension maximale.
Outre les grands temples et la colonnade qui traverse de bout en bout la ville antique, sur plus d’un km, le décor urbain est très marqué par les tombeaux monumentaux, souterrains, mais aussi en forme de tours ou de temples funéraires, qui bordent les différentes routes qui reliaient la ville à ses voisines, au sud-est, vers l’Euphrate, au sud-ouest vers Damas, à l’ouest vers Homs, l’antique Émèse, ou au nord, vers la Haute Mésopotamie.
Palmyra, Temple of Bel (Roman) (south facade), 32 AD, Syria
Photo Credit : The Art Archive / Gianni Dagli Orti / AFP
Une grande partie des sanctuaires : le plus monumental est celui de Bel, situé au sud-est de l’agglomération antique, bien visible sur toutes les photos du site. Son enceinte doit en partie sa conservation au fait qu’elle a servi au Moyen Âge de fortification pour le village refugié dans ses murs. Le temple qui se trouve en son centre avait été transformé en église (époque byzantine) puis en mosquée. Des restaurations assez importantes depuis les années 1920 ont permis une assez bonne conservation des vestiges, qui présentaient au visiteur un monument très impressionnant.
La grande colonnade était moins bien préservée, mais d’assez nombreuses colonnes ont été là aussi remontées depuis environ un siècle, ce qui a été aussi le cas à l’agora et dans plusieurs sanctuaires, dont les fouilles minutieuses ont dégagé les vestiges et les ont rendus lisibles (sanctuaires d’Allat, de Nabu).
Enfin, dans les nécropoles qui entourent la ville, de nombreux monuments funéraires, dont ceux construits en forme de tours entre le ier s. av. J.-C. et le iie apr. J.-C., ont été bien préservées. Les mieux conservées de ces tombes sont toutefois les tombes souterraines (hypogées), dont plusieurs exemples relativement intacts étaient présentés au grand public. Dans ce cas aussi, des restaurations de plus ou moins grande ampleur ont eu lieu. Enfin, les tombeaux temples assez fragiles ont été très mal conservés, mais plusieurs ont été dégagés et même partiellement remontés.
Contrairement à d’autres sites du Proche-Orient, de grandes parties du site ont été abandonnées à partir de la fin de l’Antiquité et des débuts du Moyen Âge. Ajoutés au relatif isolement de Palmyre dans une steppe semi-désertique, ces faits expliquent la bonne conservation de nombreux vestiges jusqu’au xixe s., au moment de la redécouverte du site par les savants et les touristes.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
Jean-Baptiste Yon
Jean-Baptiste Yon est chercheur au CNRS, Laboratoire HiSoMA (CNRS-Université de Lyon). Ses travaux portent sur le Proche-Orient hellénistique et romain, en particulier à partir des sources épigraphiques araméennes, grecques et latines.
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