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Fils de ‘Abd al-Rahmân III, fondateur du califat omeyyade de Cordoue, al-Hakam II parvient sur le trône en 961. Son père lui a laissé, après quarante-huit ans de règne, un empire prospère, qui a su imposer sa grandeur et son prestige au reste du monde musulman, au point de pouvoir rivaliser avec les deux autres califats du Xe siècle, les Abbassides et les Fatimides.
Mais malgré la mort de ‘Abd al-Rahmân III, l’âge d’or omeyyade va se poursuivre tout au long du brillant règne de al-Hakam II.
Homme à la santé fragile, al-Hakam II n’est pas un calife guerrier qui sort de son palais pour conduire les troupes omeyyades. D’autant que depuis 939 et le désastre de Simancas, les Omeyyades ont renoncé à se lancer dans des expéditions annuelles contre les royaumes chrétiens du Nord.
S’il n’est pas un grand chef de guerre, al-Hakam n’est est pas moins un bon gouvernant : à l’aide de ministres qu’il choisit lui-même, l’emprise omeyyade s’affermit sur le Maghreb occidental et central, tandis que l’influence fatimide (les Fatimides sont les grands rivaux des Omeyyades au Maghreb) s’y affaiblit progressivement.
Surtout, al-Hakam II s’avère être un intellectuel et un savant lettré : il donne une grande impulsion aux arts, lettres et sciences en al-Andalus. De ce fait, son règne s’apparente à l’apogée culturel du califat omeyyade. Déjà grand mécène pour les arts et la culture alors qu’il n’était qu’un prince héritier, al-Hakam II poursuit sa politique culturelle en invitant de nombreux savants et spécialistes des sciences profanes. Il se fait également édifier dans son palais une immense et magnifique bibliothèque qui aurait rassemblé, selon des sources omeyyades sans doute un peu trop laudatives, jusqu’à 400 000 ouvrages, achetés dans l’Orient islamique comme à Constantinople. Ainsi, c’est sous al-Hakam II qu’al-Andalus devient un grand centre de la culture arabo-musulmane. Parce que le califat de Cordoue se situe aux confins ouest du dâr al-Islâm et que ses pourfendeurs aiment à dénigrer le degré d’arabité des Omeyyades, un soin tout particulier est apporté aux études de la langue arabe : il s’agit de montrer aux Bagdadiens que, même éloignés du cœur oriental de l’Islam, les Cordouans peuvent rivaliser dans la maîtrise de la grammaire et de la culture arabes. Ainsi, on le voit, la politique culturelle menée par al-Hakam II entre de plain-pied dans « l’idéologie omeyyade » (Gabriel Martinez-Gros, 1992) mise en place par les propagandistes de la cour califale.
Véritable blason de la dynastie, la Grande Mosquée de Cordoue bénéficie elle aussi du règne de al-Hakam II : le lendemain même de son couronnement (le 17 octobre 961), il ordonne l’agrandissement de la Grande Mosquée, qui avait été édifiée en 786-787 ; il s’agit de prolonger la salle de prière car, depuis la proclamation du califat, Cordoue connaît un boom démographique, ainsi que de nombreuses conversions. Par ailleurs, al-Hakam II fait construire le mihrâb de la mosquée, indiquant la qibla (la direction de la prière) devant laquelle se tient l’imam lors de la prière du vendredi, et il fait aménager la maqsûra (la loge du calife), dans un style qui contraste avec les modèles moyen-orientaux : une architecture andalouse et omeyyade s’impose ainsi peu à peu.
Ces grandes politiques culturelles et monumentales sont largement favorisées par l’afflux de l’or africain, grâce à la maîtrise de la route de l’or au Maghreb occidental. Un certain nombre d’objets luxueux qui nous sont parvenus témoignent ainsi de cette aisance financière, comme par exemple la pyxide offerte au frère cadet de al-Hakam II, al-Mughîra, conservée aujourd’hui au Musée du Louvre. Il s’agit d’une boîte cylindrique, réalisée dans les ateliers de la ville palatiale de Madînat al-Zahrâ en 968, et sur laquelle divers symboles du pouvoir (lions, aigles, griffons, scènes de trône et de chasse) ont été sculptés dans un seul bloc d’ivoire.
Surtout, le calife s’entoure d’un cérémonial de cour extrêmement complexe, destiné à manifester tout le prestige de la dynastie omeyyade. Les ambassades reçues dans la ville palatiale de Madînat al-Zahrâ’, nombreuses, ont été ainsi décrites dans les Annales palatines de ‘Isâ al-Râzî. Elles témoignent d’un déploiement impressionnant de soldats, par corps de troupes, revêtus de leurs plus belles tenues à la manière d’une parade militaire. Tout le long du parcours, tout est couvert de fastueux tapis, menant les ambassadeurs au palais du calife. La progression vers le calife est lente, solennelle : l’entrée dans le complexe palatin se fait par paliers et étapes successives. La salle d’audience de Madînat al-Zahrâ’ est conçue pour faire une apothéose de cette rencontre avec le souverain : trois nefs de forme basilicale largement ouvertes sur le grand bassin et les jardins du palais affirment l’axialité et la centralité du calife, tandis que les revêtements de stucs polychromes, les claveaux rouges des arcs et les colonnes de marbre coloré offrent un langage esthétique qui renvoie à une image du paradis et de l’éternité.
La fin du règne d’al-Hakam II, en 976, va mettre un terme brutal à cet âge d’or. En effet, à sa mort s’ouvre une querelle de succession.
L’héritier présomptif de al-Hakam II devait être son frère cadet, al-Mughîra, selon les vœux de leur propre père ‘Abd al-Rahmân III. C’est d’ailleurs en prévision de cette succession que la pyxide du Louvre avait été produite et offerte à al-Mughîra : elle représentait tous les symboles du futur pouvoir de al-Mughîra.
Mais la concubine préférée de al-Hakam II, une esclave navarraise nommée Subh, lui donne un fils en 965, Hishâm. Très intrigante, Subh obtient du calife que Hishâm soit proclamé héritier présomptif. Cette proclamation se fait en deux temps : en 972, il demande un premier serment aux élites, lors de la fête religieuse d’Aîd al-Kabir ; puis, le 5 février 976, il demande une deuxième bay’a (c’est-à-dire un « contrat » entre le souverain et ses sujets) plus formelle et plus ample : il réunit les grands dignitaires, en dehors d’une fête religieuse, et leur fait dire un acte de reconnaissance et signer cet acte. A l’aide de copies, il fait proclamer sa décision dans l’ensemble du territoire, avant que le chancelier qui dirige les affaires de l’Etat, ne rassemble les signatures des magistrats, des cadis, des vizirs, des grands serviteurs du palais, des membres du lignage omeyyade et de la noblesse cordouane.
Mais cette décision va poser problème : al-Hakam II meurt le 1er octobre 976, alors que Hishâm n’a que 11 ans et n’a pas atteint l’âge de la puberté (ce qui, en droit sunnite, est un obstacle pour l’accession au pouvoir des émirs et des califes). Les plus proches serviteurs de al-Hakam II vont trouver al-Mughîra pour l’aider à recouvrer les droits dont il a été spolié. Parmi eux, le vizir al-Mushâfî fait mine de participer au complot. Mais en réalité, avec le maître de la monnaie Ibn Abî ‘Âmir, il prend les comploteurs de vitesse, et fait assassiner al-Mughîra dès le 2 octobre. C’est ainsi que Hishâm devient calife à 11 ans seulement. Mais de calife, Hishâm ne garde que le prestige : ce sont les deux hommes, le vizir al-Mushâfî et le maître de la monnaie Ibn Abî ‘Âmîr, qui s’emparent de la réalité du pouvoir. Ibn Abî ‘Âmir se débarrasse bientôt du vizir pour prendre seul les rênes du pouvoir, et exercer sur le calife une tutelle, vécue comme une véritable dictature par les contemporains.
L’organisation de sa succession sera ainsi lourdement reprochée a posteriori à al-Hakam II : les chroniqueurs se sont épanchés sur ses tendances homosexuelles pour évoquer sa faiblesse et expliquer le mauvais choix pris pour sa succession ; d’après eux, la mère de Hishâm, Subh, se déguisait en garçon pour aiguiser le désir de al-Hakam II, et aurait joué de ses charmes pour le manipuler dans ses décisions politiques. Impossible, bien évidemment, de savoir si ces rumeurs étaient réelles ou fantasmées.
Toujours est-il que al-Hakam II a su faire prospérer le califat légué par son père ‘Abd al-Rahmân III. Grand lettré, il a mené la dynastie omeyyade et Cordoue à un apogée culturel au point de pouvoir rivaliser avec la grande capitale musulmane incontestée de cette époque, Bagdad. C’est seulement avec sa succession, et le début de la dictature amiride, que l’âge d’or du califat omeyyade commence à s’estomper.
Bibliographie :
– Cyrille Aillet, Emmanuelle Tixier, Eric Vallet (dirs.), Gouverner en Islam, Xe-XVe s., Paris, Atlande, 2014.
– Pierre Guichard, Al-Andalus, 711-1492 : une histoire de l’Espagne musulmane, Paris, Hachette, 2001.
– Gabriel Martinez-Gros, L’Idéologie omeyyade, Madrid, Casa de Velázquez, 1992.
Delphine Froment
Agrégée d’histoire et élève à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, Delphine Froment prépare actuellement un projet doctoral. Elle a largement étudié l’histoire du Moyen-Orient au cours de ses études universitaires, notamment l’histoire de l’Islam médiéval dans le cadre de l’agrégation.
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