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Brève histoire de l’industrie touristique au Liban, de la fin du XIXe à aujourd’hui

Par Mathilde Rouxel
Publié le 02/10/2017 • modifié le 23/06/2022 • Durée de lecture : 8 minutes

Picture taken in September 1970 of the city of Beirut.

AFP

Un tourisme de villégiature au XIXe siècle

Comme le note la géographie Liliane Buccianti-Barakat, les montagnes du Liban étaient devenues, dès la fin du XVIIIe siècle, un lieu « d’estivage » pour les dignitaires ottomans. Ils se réfugiaient au cours de l’été dans les petites villes du Mont-Liban, comme celle d’Aley, qui accueillait le siège de l’administration ottomane et la résidence du gouverneur (wali) (2). La situation géographique du pays, offrant à la fois la mer et la montagne, son climat, comptant plus de 300 jours d’ensoleillement par an, et ses sites archéologiques de renom ont rapidement permis aux investisseurs d’élargir la clientèle et la catégorie des touristes accueillis.

La présence de l’administration française à partir de la fin de la Première Guerre mondiale et du début du mandat français au Liban pousse le développement des villes de villégiature dans les montagnes libanaises ; les grandes familles égyptiennes, jordaniennes, palestiniennes, irakiennes et d’autres suivent cette nouvelle mode de la villégiature libanaise, engageant le développement de nouveaux centres (Broummana, Baadbat, Bikfaïya, Raïfoun, etc.) (3). Selon Liliane Buccianti-Barakat, l’arrivée des armées françaises en 1920 permet aussi le développement du ski, jusque-là pratiqué dans un seul but militaire (4).

Très rapidement, le pays attire les touristes – arabes en priorité, en raison de la communauté de langage offerte par la langue, qui vaut au Liban une prévalence par rapport à d’autres destinations comme Chypre, pourtant très proche (5). De la même façon, les touristes américains ou européens avaient également la possibilité de limiter les obstacles du dépaysement grâce à la double culture précieusement préservée par le Liban (francophone depuis 1920 et fort d’une connaissance de la culture anglo-saxonne due à la présence au cours du XIXe siècle des missionnaires réformés venus d’Amérique du Nord et d’Angleterre sur les territoires du Bilad al Shaam appartenant alors encore à l’empire ottoman (6)).

L’étude de Bruno Dewailly et de Jean-Marc Ovazza réalisée en 2004 sur le tourisme au Liban insiste sur l’importance de l’importation de modèles et de systèmes touristiques extérieurs : ce sont ainsi les Français qui, après la Première Guerre mondiale, établissent les premiers bains de mer sur le littoral de Médawar-Remeileh (actuel port de Beyrouth) (7), prémisses d’une industrie que l’on voit florissante jusqu’à aujourd’hui. Les bains se développent peu à peu au Sud de Beyrouth durant les années 1930, puis au Nord dans les années 1950.

L’évolution et l’affirmation des pratiques d’estivage dans les monts du pays au cours du XIXe et du XXe siècle firent par ailleurs du tourisme l’une des « ressources essentielles de la montagne libanaise » qui permit à la dense population libanaise de ces régions d’élever un niveau de vie condamné à rester « toujours modeste s’il dépendait entièrement de la production de la terre », selon les mots qu’écrivait en 1959 la géographe Josette Kfoury (8). Le développement « méthodique » (9) du tourisme aurait même ralenti l’exode et l’émigration des jeunes actifs.

Dès les premiers développements structurels au cours du XIXe siècle, le tourisme se divise en deux catégories : le tourisme saisonnier (été/hiver), qui intéresse davantage les visiteurs régionaux et qui est nécessairement plus massif, et le tourisme permanent, qui intéresse davantage « les pays lointains » (10). Au début des années 1960, la création des villes balnéaires ainsi que la recherche du soleil favorisèrent le développement d’un nouveau type de tourisme (11).

« Boom » des années 1960

Georg Glasze, géographe, fait état de la « croissance fulgurante du tourisme dans les années soixante » (12) précédent le déclin du début de la guerre civile. Graphiques à l’appui, il montre en effet qu’à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, le Liban était en tête des destinations pour les touristes du Moyen-Orient arabe – les Syriens étant majoritaires (800 000 visiteurs par an), suivis par les Égyptiens (350 000 visiteurs par an) et les Jordaniens (300 000). Ce sont néanmoins les revenus rapportés par le tourisme international, qui en 1970 se chiffraient à presque 130 millions (contre 65 millions en Égypte, 30 millions en Syrie et 20 millions en Jordanie) qui ont fait la prééminence du Liban dans l’industrie touristique au Moyen-Orient à cette époque (13). Avant la guerre israélo-arabe de 1967, le Liban profitait de la position de hub de Beyrouth, qui servait de point de départ vers d’autres pays arabes. Dans les années 1960, seul le Liban proposait, avec l’Égypte, des prestations de service et des hôtels haut de gamme dans la région.

Les touristes issus du Golfe n’étaient pas non plus à négliger, comme le notait en 2000 le directeur alors en place du « Conseil National du Tourisme » (14). Ils avaient remplacé dans ces années-là les touristes ottomans d’autrefois, faisant leur apparition principalement en été dans les stations estivales d’Aley ou de Bhamdoun. C’est toutefois une nouvelle forme de tourisme qui prend son essor dans les années 1960 : le tourisme culturel, qui concerne moins les populations arabes que les touristes occidentaux (15). Il est important également de mentionner le rôle des grands festivals internationaux dans l’impulsion du secteur touristique au Liban : des festivals datant d’avant la guerre, comme le festival de Baalbek, le festival de Beiteddine ou le festival de Tyr, tous les trois d’ailleurs situés sur des sites archéologiques ou historiques d’exception, drainent chaque année, et jusqu’à aujourd’hui, des centaines de milliers de participants issus du monde arabe comme de l’international.

Dès les années 1950, l’État investit dans la construction d’un réseau routier et de télécommunications, d’un aéroport international, d’un casino détenant le monopole des jeux ; la première école hôtelière du Moyen-Orient est fondée à Beyrouth en 1949 (16). La Croix-Rouge prend en charge dès les années 1960 la formation des guides touristiques, jusqu’à l’ouverture, en 1970, de l’École des guides au sein de la Direction générale de l’enseignement technique et professionnel (17). L’adhésion du Liban à la Charte de Venise en 1964 permet par ailleurs au pays du Cèdre d’inscrire cinq sites (Baalbek, Anjar, Byblos, Tyr et la vallée de la Qashida) à la liste du patrimoine mondial (18). À la fin des années 1960 sont créés le Conseil National du Tourisme, un Bureau de Tourisme pour les Jeunes et neuf « Maison du Liban » ouvrent dans de grandes capitales à l’étranger (Le Caire, Bagdad, Jeddah, Paris, Bruxelles, Francfort, Londres, Stockholm, New York). Dans le secteur privé, le développement économique florissant du pays (qui valut à cette période le qualificatif de « miracle libanais ») permit une pleine croissance du marché publicitaire. Fort de tous ces services, le Liban connaît dans les années 1960-1970 un essor remarquable du tourisme, tant régional qu’international.

Le géographe Jean-Marc Prost-Tournier présente ainsi en 1974 le Liban comme le « premier pays touristique du Moyen-Orient arabe » (19) : en 1972, il accueillait « plus de 1 500 000 touristes », faisant par là état de progrès remarquables dans le développement des infrastructures en 25 ans. L’étude de Jean-Marc Prost-Tournier montre toutefois qu’à la veille de la guerre civile, le pays n’avait pas encore exploité tout son potentiel, et qu’il pouvait alors encore espérer « attirer dans les années à venir un nombre encore plus grand de touristes » (20).

Les années de guerre civile (1975-1990)

Géographiquement parlant, la guerre a bouleversé l’organisation du Liban, espace hypercentralisé jusqu’en 1975 (21). Le morcellement du territoire renforça les risques et l’insécurité du pays, déserté par les touristes. En quinze ans de guerre, la plupart des grands hôtels ont été détruits – au début de la guerre, le centre-ville de Beyrouth fut le lieu des combats lourds de la « guerre des hôtels » (1975-1977) (22). Toutefois, la mode de l’héliotropisme, récemment développée, se poursuivit pendant la guerre : fuyant les bombardements de la capitale, les Libanais se réfugiaient sur les côtes, qui proposaient des complexes touristiques balnéaires de plus en plus développés (23).

Renouveau à partir de 1990 ?

Il est difficile d’analyser précisément l’évolution des pratiques touristiques au Liban, et son renouveau dans l’immédiat après-guerre en raison de l’absence d’étude menée avant le milieu des années 1990 : en effet, comme le montrent Bruno Dewailly et Jean-Marc Ovazza, « la production d’éléments statistiques au Liban n’a été remise en place (…) qu’à partir du milieu des années 1990 » (24). Des difficultés sont apparues également au niveau de la collaboration entre secteur public et privé, le premier devant se reconstruire face à l’hégémonie que gagna le second durant les années de confit. Toutefois, le ministère du Tourisme collabore dès 1993 avec l’Organisation mondiale du Tourisme et bénéficie d’un plan de soutien économique de la part du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) (25).

La tâche du secteur public est donc de moderniser les infrastructures (aéroport, voies rapides), et adopter les mesures nécessaires pour encadrer, stimuler mais aussi contrôler le secteur privé. Les investisseurs privés ont en effet prit d’assaut l’industrie touristique au lendemain de la guerre, notamment sous l’impulsion de l’État, qui décident en 1994 de lui confier l’équipement, la réhabilitation et l’exploitation de certains sites nationaux (26). Cette délégation des responsabilités face aux réaménagements des espaces touristiques perturba le plan directeur du PNUD, que les autorités elles-mêmes, confrontées à d’autres priorités nationales, n’ont pas su faire appliquer.

Toutefois, du côté du secteur privé, de nouveaux produits touristiques sont ainsi proposés – le tourisme vert, l’écotourisme, le tourisme sportif et le tourisme culturel sont les plus développés. Le tourisme cultuel, également, connaît un renouveau (27). Les complexes hôteliers de luxe connaissent un nouveau dynamisme, et les restaurants de haut standing se sont multipliés au cours des deux dernières décennies. Ces nouvelles pratiques touristiques tendent également à toucher un public interne au pays, à défaut de séduire une communauté touristique internationale, qui malgré les grandes campagnes publicitaires lancées à partir des années 1990 (28) demeure encore frileuse devant l’instabilité politique régionale : si, comme le note Pierre Pinta, « la réouverture du Musée national, en 1997, a été vécue comme une rédemption » (29) pour l’industrie du tourisme, la destination reste pour longtemps « problématique », malgré la reconstruction fulgurante des villes et le retour progressif des touristes.

Notes :
(1) Liliane Buccianti-Barakat, « Tourisme et développement au Liban : un dynamisme à deux vitesses », Téoros, n°25-2, 2006, disponible en ligne, consulté le 13 août 2017. URL : http://teoros.revues.org/1459
(2) Liliane Buccianti-Barakat, op. cit.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Josette Kfoury, « Liban, pays de tourisme », Revue de géographie de Lyon, vol. 34, n°3, p.274. Disponible en ligne, consulté le 13 août 2017. URL : http://www.persee.fr/doc/geoca_0035-113x_1959_num_34_3_2353
(6) Voir à ce sujet Dominique Cadinot, « De la barbarie au nationalisme : effets de la présence missionnaire américaine en Terre sainte (1815-1914) », Cahiers de la Méditerranée, n°80, 2010, disponible en ligne, consulté le 13 août 2017. URL : http://cdlm.revues.org/5323
(7) Bruno Dewailly, Jean-Marc Ovazza, « Le tourisme au Liban : quand l’action ne fait plus système », in Berriane M. dir., Tourisme des nationaux, tourisme des étrangers : quelles articulations en Méditerranée ?, Institut Universitaire Européen de Florence, 2010, PDF disponible en ligne sur ResearchGate. L’étude présentée a été menée par les auteurs en 2004.
(8) Josette Kfoury, op. cit. p. 271.
(9) Ibid.
(10) Josette Kfoury, op. cit. p.272.
(11) Liliane Buccianti-Barakat, op. cit.
(12) Georg Glasze, « Première destination touristique hier et aujourd’hui hors jeu ? Le développement du tourisme au Liban », Institut de géographie de Mayence, 2000, vol. 14, p.27.
(13) Ibid.
(14) Georg Glasze, op. cit.
(15) Bruno Dewailly, Jean-Marc Ovazza, op. cit.
(16) Liliane Buccianti-Barakat, op. cit.
(17) Ibid.
(18) Ibid.
(19) Jean-Marc Prost-Tournier, « Le Liban, premier pays touristique du Moyen-Orient arabe », Revue de géographie de Lyon, vol. 49, n°4, 1974, p.369-376, disponible en ligne, consulté le 13 août 2017. URL : http://www.persee.fr/doc/geoca_0035-113x_1974_num_49_4_1661
(20) Ibid.
(21) André Bourgey, « La guerre et ses conséquences géographiques au Liban », Annales de Géographie, 1985, n°421, 1985, p.12.
(22) Voir Georges Corm, Le Liban contemporain. Histoire et société, Paris, La Découverte, 2012.
(23) Liliane Buccianti-Barakat, op. cit.
(24) Bruno Dewailly, Jean-Marc Ovazza, op. cit.
(25) Liliane Buccianti-Barakat, op. cit.
(26) Ibid.
(27) Rafca Nasr, « Le Tourisme religieux au Liban », Newsletter du Bureau d’Information Touristique de Batroun (Liban), mai 2014, PDF disponible en ligne, consulté le 13 août 2017. URL : http://www.mot.gov.lb/Content/uploads/Publication/140527010757591~Le%20Tourisme%20Religieux%20au%20Liban.pdf.
(28) Liliane Buccianti-Barakat, op. cit.
(29) Pierre Pinta, Le Liban. Culture et art de vivre au pays des cèdres, Paris, La Découverte, 2011, p.10.

Publié le 02/10/2017


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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