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« Voués à Ishtar. Syrie, 1934, André Parrot découvre Mari », deux expositions dossiers, du 22 janvier au 5 mai 2014 à l’Institut du Monde Arabe, et du 4 décembre au 2 juin 2014 au Musée du Louvre

Par Sixtine de Thé
Publié le 27/02/2014 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 10 minutes

On imagine peu le séisme intellectuel et archéologique qu’a du provoquer la découverte de l’emplacement du site Mari en 1934 à l’Est de la Syrie, lorsque l’archéologue André Parrot put décréter avoir commencé à déterrer l’un des grands mystères du patrimoine mondial, celui de Mari, site de la Mésopotamie du IIIe millénaire avant J-C. De cette ville, on ne connaissait jusqu’alors que les récits de sources anciennes qui en faisaient un des sièges de la royauté après le Déluge. C’est près de l’Euphrate, vers la frontière irakienne, au Tell-Hariri, qu’un bédouin trouve une statuette en août 1933. Cette découverte ouvre une des plus grandes pages de la recherche archéologique en Syrie. Quelques mois plus tard, André Parrot reçoit un mandat du Musée du Louvre pour ouvrir des fouilles et installer une mission archéologique. Le 22 janvier 1934, alors que les recherches sur la tête de la statue d’Ebih-II progressent, l’archéologue pressant l’éminence de découvertes majeures via les pièces recouvrées. Le 23 janvier, le déchiffrement d’une inscription sur le socle d’une statue au nom d’Ishqi-Mari, confirme les hypothèses de Parrot et fait resurgir cette ville au bord de l’Euphrate. Le reste de la première statue est retrouvé le même jour, « confirmant que ces hautes personnalités avaient voué leur image à Ishtar, déesse de la guerre, de l’amour, patronne de la royauté et maîtresse de l’édifice dont la fouille commençait [1]. »

Mari et les découvertes d’André Parrot

Les expositions se proposent de célébrer le 80ième anniversaire de cette découverte et de revenir, par diverses analyses artistiques, architecturales et iconographiques sur l’héritage de cette mission. « A la lumière des connaissances acquises au cours de huit décennies de recherches sur le site et dans la région, les résultats d’André Parrot sont réinterrogés et de nouvelles perspectives chronologiques, stratigraphiques, historiques et artistiques sont dessinés [2]. » annonce-t-on dès l’entrée de l’exposition de l’Institut du Monde arabe. Les objets et résultats des fouilles présentés à l’IMA appartiennent à la Ville II, alors que le grand Palais Royal de Mari dont l’analyse est proposée au musée du Louvre se présente comme la construction majeure de la Ville III. Ainsi, si l’IMA insiste plus sur les circonstances et les objets de la découverte de Parrot, le Louvre précise les connaissances acquises à propos du Palais Royal de Mari. Cette dernière exposition-dossier s’intègre dans deux salles du département des Antiquités Orientales, entourée d’autres objets de cette même provenance.

L’historiographie distingue traditionnellement trois phases de développement de Mari, désignées comme Ville I, II et III. Ces différentes périodes et lieux cristallisent divers moments d’occupation puis d’abandon du site. La ville I, fondée vers 2950 avant notre ère, se caractériserait par un fort développement urbain, qu’aucune source pourtant ne peut attester. Suite à son abandon aux alentours de -2600, le site connut plus tard une phase de réoccupation de 2500 à 2340/2250 avant J-C. Désignée comme Ville II, son existence correspond à la dernière époque de la dynastie Archaïque. C’est à cette période que Mari devint le centre d’un puissant royaume sur la vallée de l’Euphrate, en rivalité avec Ebla et Nagar. Capitale de l’Euphrate, elle dominait les autres cités-Etats de ce Proche-Orient du IIIe millénaire. Elle jouissait d’une position charnière entre deux mondes en grand développement depuis le début du millénaire : le monde des cités suméro-akkadiennes du Sud de l’Irak, et la Haute Mésopotamie et la Syrie intérieure, dominées par Nagar et Ebla. C’est au terme d’affrontements avec ces cités, et sous les coups d’un roi de la dynastie d’Akkad, que la Ville II tomba et fut détruite, aux alentours de 2340-2250 avant notre ère. Elle entretenait néanmoins des relations commerciales et diplomatiques intenses, surtout par l’échange de produits exotiques. Il existait en effet un très grand réseau d’échanges à longue distance au Proche-Orient. Ainsi que l’attestent les vestiges du temple d’Ishtar, ces cultures favorisaient une certaine accumulation d’objets réalisés dans des matières exotiques ou précieuses - ces deux qualificatifs étant gages d’une valeur à la fois marchande et symbolique. Ces matériaux, métaux et pierres précieuses, contribuaient de manière littérale et métaphorique à l’éclat de la divinité dans le sanctuaire. Tout type d’artefact - notamment le cuivre, utilisé en très grande quantité, mais aussi l’albâtre, ou le chlorite - entrait de manière symbolique dans la fabrication de l’espace sacré. On en déduit que Mari s’intégrait dans ce que l’exposition désigne comme « une culture internationale du luxe, nourrie d’échanges diplomatiques alliant le monde anatolien à l’Inde [3] ». Mari, par sa position géostratégique et sa puissance, se présentait comme le relai idéal de ces routes. Au début du deuxième millénaire, la Ville III fut d’abord sous la direction des Shakkanakkou, du nom des gouverneurs qui, placés à la tête de Mari par la dynastie d’Akkad au XXIIe siècle, en demeurèrent indépendants. Puis elle fut dirigée par les dynasties amorrites, peuple sémitique qui s’installa et prit le pouvoir en Mésopotamie à la charnière des IIIe et IIe millénaires. Hammourabi de Babylone mis a sac la ville en 1760, signant sa destruction finale.

Les découvertes d’André Parrot ont été tout à fait essentielles pour une compréhension plus précise du Proche-Orient du IIIe millénaire, et l’interaction entre pouvoir, religion et société à Mari. « Les restes, même lacunaires, et les indices ont été suffisants pour permettre une restitution logique et compréhensible de la réalité historique de Mari, qui est devenue une base raisonnable pour connaître notamment tous les palais Mésopotamiens de l’Âge de Bronze ». C’est ainsi que les conservateurs en charge de l’exposition présentent la singularité de ces découvertes mises en exergue au Musée du Louvre. Lorsque fut découverte la statuette sur le site de Tell Hariri, la Syrie se trouvait sous administration mandataire française. Comme le prouvent les archives présentées à l’IMA, André Parrot fut envoyé par le conservateur du département des Antiquités Orientales du Musée du Louvre, et mit en place sa mission archéologique le 8 décembre 1933, avec l’assistance de l’armée française du Levant. Les statuettes qui permirent d’identifier le temple d’Ishtar et le site sortirent de terre les 22 et 23 janvier 1934. La muséographie de l’exposition présentée à l’IMA, avec ses vieux clichés pris par l’équipe de Parrot et les carnets de notes de l’archéologue, permet non seulement de suivre les étapes de la mission mais aussi de rendre compte de l’atmosphère de la vallée de l’Euphrate en 1934. Au bout de quatre campagnes, plus de 4 000 m2 ont été fouillés sur une épaisseur de près de 8 m. Jusqu’en 1974, au cours de ses vingt-et-unes missions sur le site, André Parrot – devenu conservateur des Antiquités Orientales au musée du Louvre – découvrit à l’Est du temple d’Ishtar le célèbre palais royal dit « Palais de Zîmri-Lîm ». C’est à partir de 1979 que J-C Margneron complètera l’expédition.

« La période comprise entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire entre la création de l’Etat Syrien et son indépendance, marqua la mise en place des institutions patrimoniales nécessaires au fonctionnement de la recherche et de l’étude archéologiques, des domaines pour lesquels le territoire syrien avait maintes fois été reconnu comme essentiel. » expliquent les cartels. Ainsi, l’archéologie fut-elle particulièrement facilitée durant cette période en même temps qu’elle se légalisait : peu de temps après la création de la Direction des Antiquités, la Loi des antiquités stipulait qu’à l’issue d’une campagne de fouille, les découvertes immobilières soient réparties en deux lots : un pour le pays de la mission archéologique, l’autre destiné à rester sur place et conservant les pièces majeures. C’est ainsi que le musée du Louvre fut rendu propriétaire d’un certains nombres de pièces en provenance de Mari. La célèbre statue d’Ebih-II arriva au département des Antiquités orientales en 1934, tandis que le roi, Ishqi-Mari, resta en Syrie et fut ensuite attribué au Musée d’Alep.

Architecture, religion et pouvoir

Le temple d’Ishtar se définit, y compris de manière très claire dans ses ruines dont on voit les émouvantes photos à l’IMA, comme un exemple typique des temples de Mari : à la fois sanctuaire et lieu d’habitation, il présente aisément ces deux domaines. Selon la règle, le sanctuaire s’organise autour de différents espaces qui stigmatisent la consécration progressive du lieu : d’abord une entrée, lien avec le monde extérieur, suivie du Lieu Saint (ou lieu de l’offrande), puis le Lieu Très Saint où trône la divinité. Le second domaine est occupé par l’habitat de certains prêtres. Mais l’autre grande découverte du sanctuaire d’Ishtar fut l’excavation de statues votives et sculptures du roi. Ces statuettes votives avaient pour fonction majeure de représenter les croyants et d’assurer leur présence auprès de la divinité célébrée. Les temples de la Ville II de Mari s’inscrivent en effet dans la tradition votive de l’époque Dynastique Archaïque présente dans une vaste partie de la région, du Sud de la Mésopotamie au Nord de l’actuelle Syrie. Ces statues représentent pour la plupart des individus debout, dans diverses positions. On comprend que le choix de ces postures, en comparant les statuettes de temple d’Ishtar aux autres temples de Mari notamment, est significatif et qu’il s’organise selon divers critères. Certaines sont bannies par exemple, comme la position assise pour les hommes. D’autres révèlent sans doute les relations entre les individus, et aussi le statut genré du représenté. Les hommes seront en position de marche, le pied gauche vers l’avant, les mains jointes sur la poitrine, alors que les femmes seront en position statique ou assise, développant des attitudes plus variées, notamment dans les bras. Ces statuettes sont exécutées en pierre de diverses qualités, souvent blanche, et leurs yeux sont incrustés de lapis-lazuli. Un autre trait souligne la particularité du temple d’Ishtar au sein de la tendance des autres sanctuaires de Mari : parmi les 112 sculptures ou fragments de sculptures livrés par le Temples d’Ishtar, la grande majorité est féminine. Le Lieu Très Saint, espace de présence divine, était presque entièrement réservé aux images féminines, alors que les hommes dominaient le Lieu Saint secondaire, dans une complémentarité apparemment hiérarchisée propre à évoquer la dualité de la forme virile d’Ishtar honorée en ces lieux. Outre la désignation religieuse, certaines statues avaient aussi un rôle d’évocation politique, qui n’était pas bien sûr sans rapport à la religion. La statue du roi Ishqi-Mari – première découverte majeure qui fut le déclanchement de la compréhension générale du site – présente les caractéristiques traditionnelles des statues masculines de Mari mais s’en distingue aussi par son costume et sa coiffure, attributs traditionnels des rois guerriers de l’époque Dynastique Archaïque et des débuts de celles d’Akkad.

L’exemple du palais royal de Mari - auquel est dédié l’exposition-dossier du Louvre - qui appartient lui à la Ville II, présente de même l’adéquation de l’organisation architecturale et de la pratique du pouvoir. Ce palais, détruit, pillé et incendié par les troupes de Hammourabi de Babylone en 1760 avant notre ère, a conservé suffisamment de restes, d’objets, pour que l’on arrive à une compréhension globale de l’univers politique, social et artistique de ces palais amorrites du début du IIe millénaire, comme les 15 000 tablettes de textes administratifs, de correspondances royales, testaments précieux des dernières années du royaume. L’architecture de ce gigantesque palais est révélatrice de l’idéologie royale qui rapproche la personne du roi d’une divinité. On approche progressivement vers le grand sanctuaire royal, les représentations de ce dernier portent les insignes de la divinité, et la salle du trône obéit au même plan que les temples. Aussi, la « Peinture de l’Investiture » présente-t-elle des scènes figuratives où le souverain se trouve en relation avec des dieux. « Ce grand panneau, plus ancien que l’ensemble du décor du mur sud, était situé à droite de la porte ouvrant sur l’antichambre de la salle du trône. Il est encadré d’un feston qui évoque la bordure d’un tapis. Au centre, la déesse Ishtar, debout sur son lion, tend au roi l’anneau et le bâton, insignes du pouvoir ; des divinités de rang inférieur assistent à la rencontre. Au-dessous, deux déesses, semblables à la statue découverte dans le vestibule de la salle du trône, tiennent un vase d’où jaillissent des courants d’eau vive, symboles de fertilité ; de part et d’autre sont figurés des monstres gardiens, deux hauts palmiers chargés de dattes et deux grandes déesses Lama encadrent la scène. Cette composition originale, qui se démarque des frises traditionnelles, veut offrir une vision synthétique des trois espaces du secteur officiel : Cour du Palmier, vestibule et salle du trône au centre. C’est une évocation figurée du fondement divin du pouvoir royal garant de la prospérité du pays [4]. »

Ces deux expositions-dossiers proposent une belle mise en rapport entre des objets très précieux, aussi bien par leur beauté que par leur richesse historique, avec des documents d’archives : elles parviennent à distiller une sorte de plaisir archéologique sans cesse renouvelé. La recherche liée à ce site a duré en effet presque 80 ans, réinterprétant par de nouvelles trouvailles une tradition archéologique, afin de se diriger vers une connaisse plus juste de la civilisation. Tout récemment encore, face à l’extraordinaire fertilité de ce site, de nouvelles fouilles ont été réalisées entre 1997 et 2002 dans le secteur dit du temple d’Ishtar, en réalité en-dessous, au niveau de la Ville I, notamment pour confirmer certaines hypothèses de Parrot et ont permis d’établir une stratigraphie de l’ensemble du site.

« L’exposition montre aussi qu’après l’enthousiasme des premières découvertes, le travail s’est inlassablement poursuivi au fil des décennies, avec des résultats qui à chaque étape ont ouvert d’autres perspectives. La présence de l’effigie royale d’Ishqi-Mari au musée de l’Institut - un dépôt du musée d’Alep - est à l’origine du projet, porté avec enthousiasme par le département des Antiquités orientales du musée du Louvre et la Mission archéologique de Mari ; un projet qui s’inscrit évidemment dans la mission collective de la sauvegarde du patrimoine à l’origine de la construction de l’identité des peuples [5]. »

 Présentation de l’exposition http://www.youtube.com/watch?v=cXytjnq7xaA
 « Voués à Ishtar. Syrie, janvier 1934, André Parrot découvre Mari. » Catalogue de l’exposition, sous la direction de Sophie Cluzan et Pascal Butterlin, Beyrouth, Presses de l’Ifpo, 2014. Guides archéologiques de l’Institut français du Proche-Orient n°11. Ouvrage co-édité avec l’Institut du Monde arabe, avec la collaboration exceptionnelle du musée du Louvre et la participation de la mission archéologique française à Tell Hariri / Mari.

Conférences :
 Un colloque a eu lieu à l’auditorium du Musée du Louvre le samedi 22 février autour des expositions « Voués à Ishtar », Bilan de recherche sur un des monuments les plus importants de la Métropole. Sous la direction de Sophie Cluzan, conservatrice des Antiquités Orientales du Musée du Louvre.

 Quatre conférences sont données en accompagnement de l’exposition à l’Institut du Monde Arabe.
Celles-ci auront lieu dans la salle du Haut-Conseil, les vendredi 7, 21 et 28 mars, et le vendredi 4 avril, à 11h30.


Publié le 27/02/2014


Normalienne, Sixtine de Thé étudie l’histoire de l’art à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm et à l’Ecole du Louvre. Elle s’intéresse particulièrement aux interactions entre l’Orient et l’Occident et leurs conséquences sur la création artistique.


 


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