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Le 18 juin dernier, l’Iran lance six missiles balistiques Zolfaqar sur des territoires contrôlés par l’Etat islamique, autour de Mayadin, dans l’Est de la Syrie. Depuis le début de la guerre civile syrienne, l’Iran intervient à travers une aide financière, un soutien militaire et des conseils stratégiques. Mais c’est la première fois que Téhéran lance un missile sur la Syrie, depuis son propre territoire. Les missiles n’ont pas précisément atteint leurs cibles, mais ces frappes portent un message politique conséquent. Officiellement, ils constituent une réponse aux attentats qui ont touché l’Iran le 7 juin dernier, ils visent donc directement l’Etat islamique et ses « soutiens ». Cependant, ils témoignent aussi des ambitions de Téhéran sur l’Est de la Syrie et sont une démonstration de la puissance iranienne dans la région.
Le 18 juin dernier, l’Iran « est entré dans une nouvelle phase de la lutte contre le terrorisme » (1), selon Allaedine Boroujerdi, le Président de la Commission des Affaires étrangères du Parlement iranien. Ce jour-là, les Gardiens de la Révolution annoncent avoir tiré six missiles à partir du territoire iranien en direction du nord et du sud de Mayadin. Ce territoire syrien, qui se trouve à 45 kilomètres au sud-est de Deir Ez-Zor, est sous contrôle du groupe Etat islamique.
Selon les informations des Gardiens de la Révolution sur leur site Sepahnews, l’attaque intervient en représailles aux attentats survenus à Téhéran le 7 juin dernier, au Parlement et au mausolée de l’imam Khomeiny. Revendiqués par l’EI, ils avaient entraîné la mort de 17 Iraniens. Les responsables avaient en partie combattu en Syrie auprès du groupe EI par le passé.
Les missiles envoyés par l’Iran viseraient donc directement l’organisation « takfiri » (2). Ils auraient causé la mort d’un « grand nombre de terroristes » et la destruction « d’équipements » (3) et « d’armes » appartenant à l’EI, selon les Gardiens de la Révolution. Les « soutiens » de l’EI sont aussi visés par ces attaques, selon ces mêmes autorités. Elles visent en premier lieu son grand rival régional, l’Arabie saoudite, accusée de soutenir l’Etat islamique, notamment dans l’organisation des attentats sur le sol iranien.
Par ailleurs, les autorités iraniennes sont actuellement en difficulté sur le plan interne ; suite aux attentats à Téhéran, leur impuissance avait été critiquée par les Iraniens. L’envoi de ces missiles vise ainsi à renforcer une popularité quelque peu effritée des autorités auprès de la population.
Parmi les missiles tirés le 18 juin, aucun n’a précisément atteint son objectif. Selon des sources israéliennes, seulement un ou deux missiles ont approché leurs cibles, atteignant des territoires à 50 et 150 mètres des objectifs visés. Sur un plan tactique, le bilan de cette attaque est donc mitigé (4).
Atterrir à 50 ou 150 mètres de l’objectif visé semble certes traduire une première opération plutôt correcte, pour des missiles qui ont parcouru 600 kilomètres. Cependant, selon Farzin Nadimi, les imprécisions de ces tirs vont amener les Iraniens à « remettre en question leurs appareils, dans le processus de construction et de contrôle » (5). L’Iran a donc fait preuve d’un certain potentiel, mais il est amené à améliorer ses capacités militaires dans le futur.
Par ailleurs, Téhéran a envoyé des missiles de moyenne portée. Le pays possède des missiles plus puissants, mais aussi plus dommageables. Leur usage aurait augmenté le risque de causer des pertes humaines civiles. Ainsi, même si ces missiles n’ont pas trouvé l’efficacité recherchée, ils sont probablement les plus adaptés au message de dissuasion iranien à l’encontre de ses ennemis, sans pour autant entacher son image en causant la mort de civils.
Les tirs de missiles iraniens interviennent dans un contexte de montée de tensions pour le contrôle du territoire Est syrien.
L’Etat islamique multipliant les défaites, il perd de plus en plus de terrain dans l’Est du pays. Les protagonistes du conflit syrien, comme l’Iran, se concentrent actuellement sur ces territoires, se disputant leur contrôle. Des milices iraniennes, ainsi que les forces du régime syrien, progressent actuellement vers l’Est (6). Le 23 juin, l’armée syrienne est entrée dans la région de Deir Ez-zor (7), à 45 kilomètres de Mayadin et à l’Est du pays, et elle se rapproche de sa capitale éponyme. Cette région est convoitée, car la majorité des réserves de pétrole syriennes s’y trouve. Par ailleurs, elle est proche de l’Irak ; elle permet d’établir un lien stratégique entre Bagdad, Damas et Beyrouth. Lancés en concertation avec la Syrie, les missiles tirés depuis le territoire iranien permettent donc de soutenir l’avancée de l’allié syrien. Ils indiquent aussi aux ennemis de Téhéran que l’Iran est capable de frapper la Syrie depuis son territoire. Les territoires à l’Est de la Syrie sont convoités par d’autres acteurs du conflit, comme les Forces démocratiques syriennes, composées de combattants kurdes et arabes et soutenus par la coalition internationale, dont les Etats-Unis, ou encore certains groupes rebelles soutenus par l’Arabie saoudite ou la Turquie. En lançant ces missiles depuis son territoire, l’Iran envoie à message à ces groupes ; s’ils ont pour ambition de reprendre les territoires de l’Est syrien à l’EI, ils seront à portée des missiles iraniens. Selon Allaedine Boroujerdi, ces tirs montrent « que nous [Iraniens] sommes capables de frapper (directement) les terroristes à plusieurs centaines de kilomètres de distance », le mot « terroriste » ne s’arrêtant pas aux combattants de l’Etats islamique.
Au-delà d’une course aux territoires à l’Est de la Syrie, les tirs iraniens traduisent une démonstration de force à l’encontre des ennemis régionaux, et des Etats-Unis.
Téhéran avertit par là qu’il est capable de viser des positions à 600 kilomètres de son territoire. Ce message s’adresse aux rivaux de l’Iran dans la région, mais en premier lieu aux Etats-Unis.
L’Etat islamique affaibli, les Etats-Unis constituent une plus importante menace pour les Iraniens en Syrie. Soutiens des Forces démocratiques syriennes, composées principalement de combattants Kurdes syriens et de combattants arabes proches de l’Armée syrienne libre, les Etats-Unis, par leur force financière et militaire, constituent un rival de taille pour le contrôle de territoires syriens convoités par Damas et son allié iranien. Selon Fouad Izadi, analyste en Relations internationales à l’Université de Téhéran, l’Iran souhaite aussi envoyer un message aux Américains : « Le Sénat américain vient de voter une loi pour imposer de nouvelles sanctions contre l’Iran qui visent notamment le programme balistique du pays et le message est que l’Iran, dans sa lutte contre le terrorisme, a besoin de ses missiles » (8). D’autre part, il y a un mois, l’Iran annonçait avoir construit une troisième usine souterraine pour fabriquer des missiles. Téhéran montre donc clairement qu’il n’est pas prêt à se plier aux exigences américaines.
L’envoi des missiles iraniens témoigne aussi d’une démonstration de force auprès de ses ennemis régionaux. En première ligne, l’Iran vise l’Arabie saoudite. Téhéran accuse en effet son rival régional de financer l’EI en Syrie. Si les flux d’argent sont très difficiles à suivre dans la région, en Syrie, les soutiens financiers sont plus transparents, et il semblerait que l’Arabie saoudite ne finance par l’EI dans le pays. Cependant, le message envoyé par Téhéran aux Saoudiens ne se restreint pas au territoire syrien. Les deux géants s’opposent ainsi indirectement dans l’ensemble des conflits de la région. L’Iran souhaite donc montrer qu’il peut atteindre des positions ennemies à plusieurs centaines de kilomètres, et notamment le territoire saoudien lui-même.
Un autre acteur régional est indirectement visé par les missiles iraniens : Israël. En effet, le Premier ministre Netanyahou a exprimé son inquiétude suite aux tirs iraniens, face aux cadres de son parti, le Likoud : « l’armée et les forces de sécurité surveillent continuellement l’activité de l’Iran dans la région », « cette activité porte également sur les tentatives (iraniennes) de s’installer en Syrie et, bien sûr, de transférer des armes sophistiquées au Hezbollah » (9) libanais. Les dernières semaines, l’Iran a fait grande publicité de ses capacités militaires dans le domaine. Le pays a développé un programme balistique et possède des missiles dont la portée peut atteindre les 2000 kilomètres, et donc Israël. Ainsi, les Iraniens chercheraient à dissuader une attaque aérienne israélienne sur le territoire syrien. Depuis le début du conflit syrien, Israël a mené plusieurs raids aériens parfois meurtriers en Syrie. La plupart d’entre eux visaient des positions ou du matériel du Hezbollah, milice chiite libanaise, alliée des Iraniens. Ainsi, l’Iran n’ignore pas qu’Israël possède le système de défense antimissile le plus développé de la région. Cependant, Téhéran gagne à faire comprendre à l’Etat Hébreu qu’il est à portée de ses missiles.
Les tirs de missiles en provenance du territoire iranien le 18 juin dernier traduisent, au-delà d’une action de représailles contre l’Etat islamique, une démonstration de force de l’Iran à l’encontre de ses ennemis. Téhéran souhaite envoyer un message fort de dissuasion à l’encontre de ses rivaux dans la région. Ce lancement intervient aussi dans un contexte de montée des tensions pour le contrôle des territoires délaissés suite au recul de l’Etat islamique. Ces tensions s’observent aussi actuellement dans le sud du territoire syrien, dans la région d’Al-Tans, à la frontière avec l’Irak et la Jordanie. L’Iran a récemment déployé plusieurs milliers de soldats du Hezbollah libanais et des milices afghanes et irakiennes dans ces territoires. Il y a deux semaines, Téhéran a annoncé que pour la première fois, des milices chiites d’Irak et de Syrie se sont rencontrées à un point de la frontière irako-syrienne, dans cette même région. Ainsi, à travers l’ensemble de sa politique actuelle en Syrie, l’Iran a pour ambition de constituer un corridor de l’Irak au Liban, et de couper le possible axe d’influence nord-sud que les Etats-Unis souhaitent construire avec les Forces démocratiques syriennes (10).
Notes :
(1) « Tir de missiles en Syrie : un ‘message’ de l’Iran à ses ennemis », La Croix, Le 19 juin 2017, consulté le 1er juillet 2017 (en ligne), URL : http://www.la-croix.com/Monde/Tir-missiles-Syrie-message-Iran-ennemis-2017-06-19-1300856103
(2) Signifiant « excommunication », takfiri est le terme employé pour désigner les partisans du takfirisme, dont la fondation remonterait à 1971 lors d’une scission avec les Frères musulmans. Les takfiris considèrent « chrétiens, juifs, polythéistes, mais aussi chiites ou musulmans appartenant à un autre courant de l’islam, comme mécréants et donc susceptibles d’être mis à mort ». HOFFNER Anne-Bénédicte, « Islamiste, Salafiste, Takfiriste… Glossaire pour tenter d’y voir claire », La Croix, Le 9 décembre 2015, consulté le 2 juin 2017 (en ligne), URL : http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Islamiste-salafiste-takfiriste-Glossaire-pour-tenter-d-y-voir-clair-2015-12-09-1390887
(3) http://www.rfi.fr/moyen-orient/20170618-iran-tir-missiles-bases-groupe-etat-islamique-ei-syrie-gardiens-revolution-att
(4) NADIMI Farzin, « Iran Missile Strikes Reveal Potential Military Weaknesses », The Washington Institute, Le 22 Juin 2017, onsulté le 1er juillet 2017, URL : http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/iran-missile-strikes-reveal-potential-military-weaknesses
(5) NADIMI Farzin, « Iran Missile Strikes Reveal Potential Military Weaknesses », The Washington Institute, Le 22 Juin 2017, consulté le 1er juillet 2017, URL : http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/iran-missile-strikes-reveal-potential-military-weaknesses
(6) STARR Barbara, « US risks being dragged into regional war with Iran in Syria », CNN, Le 23 juin 2017, consulté le 2 juillet 2017 (en ligne), URL : http://edition.cnn.com/2017/06/23/politics/syria-iran-us-trump-war/index.html
(7) « Syrie : l’armée entre dans la province de Deir Ezzor », RFI, Le 24 juin 2017, consulté le 2 juillet 2017 (en ligne), URL : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20170623-syrie-armee-entre-province-deir-ezzor
(8) « Tir de missiles en Syrie : un ‘message’ de l’Iran à ses ennemis », La Croix, Le 19 juin 2017, consulté le 1er juillet 2017 (en ligne), URL : http://www.la-croix.com/Monde/Tir-missiles-Syrie-message-Iran-ennemis-2017-06-19-1300856103
(9) « Tirs de missiles en Syrie : l’Iran envoie un message à ses ennemis », RFI, Le 19 juin 2017, consulté le 2 juillet 2017 (en ligne), URL : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20170619-tirs-syrie-iran-envoie-message-ennemis
(10) FRACHON Alain, « En Syrie, Trump contre l’Iran », Le Monde, Le 30 juin 2017, consulté le 2 juillet 2017 (en ligne), URL : http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/29/en-syrie-trump-contre-l-iran_5153031_3232.html
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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