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Au moment des « Printemps arabes », la géopolitique du Moyen-Orient est en ébullition. Ce manuel co-écrit par Tancrède Josseran, Florian Louis et Frédéric Pichon est le premier à se pencher sur la situation actuelle de la région. Plutôt que de proposer une étude du Moyen-Orient tel qu’on l’entend habituellement (pays de la côte orientale de la Méditerranée, Iran et péninsule arabique), l’ouvrage se propose d’interroger également les enjeux de l’Afrique du Nord.
Car au final, qu’est-ce que le Moyen-Orient ? Les auteurs reviennent sur l’histoire de ce concept aux contours flous pour justifier leur angle d’approche : en effet, ce « vaste ensemble qui va du Maroc à l’Iran » (p. 10) se trouve quelque peu unifié par « des raisons historiques (colonisation), culturelles (prégnance de l’arabité et/ou de l’islamité) et surtout géopolitiques (apparition d’un « arc de crises » s’étendant du Sahel au Pakistan) » (p. 10). Il ne s’agit pas pour autant d’inclure l’Afrique du Nord dans le Moyen-Orient, mais de reprendre, de manière plus pertinente, l’appellation anglo-saxonne « MENA (Middle East and North Africa) ». Ainsi, en huit chapitres, l’ouvrage aborde de manière dense et complète les différents aspects (géographiques, historiques et géopolitiques) de cette région pour en faire rejaillir les enjeux dans toute leur complexité.
C’est tout d’abord sur une présentation géomorphologique et démographique que s’ouvre cette étude : un espace découpé en plusieurs plateaux ou péninsules et partagé entre déserts (à l’intérieur) et montagnes (sur les pourtours), et qui a influé sur la population de la région et ses modes de vie. Le Moyen-Orient est donc une « région carrefour par excellence » (p. 28) de par sa situation à la jonction de trois continents (Europe, Asie, Afrique). La dernière sous-partie du chapitre rappelle le nombre de crises et de conflits que cette région connait, que ce soit au nord (différend Grèce/Turquie, problème kurde, antagonisme chiites/sunnites) ou au sud (à l’ouest, les conflits chrétiens/musulmans au Soudan et israélo-palestinien ; à l’est, la contestation du pouvoir au Bahreïn et la guerre civile au Yemen).
Les chapitres suivants évoquent l’histoire de la région, en rappelant dans un premier temps quelles sont les différentes religions qui s’y rencontrent (chapitre 2). Une certaine importance est donnée en particulier à l’Islam, présenté comme « l’unique facteur d’unité du monde oriental » (p. 31), notamment entre les aires ethnolinguistiques. En effet, après être revenu sur les fondements et l’histoire de cette religion, l’ouvrage s’intéresse à la dialectique entre désert et ville qui semblait insolvable : l’islam est utilisé comme un « ciment unificateur » (p. 34) pour contrôler ces populations citadines et bédouines. Mais au-delà de cette religion prédominante au Moyen-Orient, ce sont les autres religions du livre et leurs hérésies qui sont évoquées ; car la région se caractérise par un véritable « melting-pot confessionnel », à commencer par les deux branches de l’islam (chiisme et sunnisme) et ses minorités hétérodoxes (alaouites, druzes), mais aussi avec les juifs et la multiplicité des pratiques chrétiennes (coptes, syriaques, melkites et maronites…). Cette diversité du Moyen-Orient s’oppose d’ailleurs à l’unicité religieuse de l’Afrique du Nord où les foyers chrétiens ou les dissidences musulmanes se font rares.
Le chapitre trois se penche quant à lui sur l’histoire contemporaine de la région : revenant sur les concurrences entre les différents impérialismes occidentaux, les auteurs rappellent que ces présences étrangères sont aussi le fait d’une demande par des acteurs locaux qui cherchent à tirer leur épingle du jeu. De l’Empire ottoman à l’échec de la démocratisation des pays moyen-orientaux, en passant par le bouleversement de la Première Guerre mondiale et les luttes pour l’indépendance, ce sont les enjeux géopolitiques du XXe siècle qui sont interrogés.
Mais au fond, pourquoi cet intérêt du Moyen-Orient contemporain pour l’Occident ? Avant tout en raison de ses matières premières, et notamment l’or noir. Ce statut de fournisseur d’hydrocarbure aura pu enrichir certains de ces pays, mais il n’en demeure pas moins que la plupart sont marginaux au sein de la mondialisation : le modèle du « tout-pétrole » n’est en effet guère durable, car ces économies s’appuient uniquement sur des rentes de matières premières qui s’épuisent et ne se diversifient pas. Embourbés dans ce modèle, les pays du Moyen-Orient ne peuvent pour le moment pas aspirer à une participation totale à la mondialisation. C’est ainsi que les auteurs s’intéressent à la « malédiction de la rente » (chapitre quatre).
Le cinquième chapitre évoque les rivalités entre les différents pays de la région pour accéder au statut de leader. Plusieurs puissances du Moyen-Orient, non arabes, tendent à affirmer une certaine domination : l’Iran, la Turquie et Israël, sur lesquelles les auteurs reviennent longuement un à un. Chacun de ces Etats cherche le soutien de puissances tutélaires, comme la Russie ou les Etats-Unis, alors que les pays arabes « démographiquement dominants au Moyen-Orient » mais « géopolitiquement dominés par leurs voisins turc, iranien et israélien » (p. 114) tentent de retrouver, à l’image de l’Egypte et de l’Arabie saoudite, leur indépendance et leur grandeur. Ce qui ne sera pas chose facile, tant ils doivent d’abord régler leurs problèmes internes.
Car loin d’être pacifiée, la région est au contraire placée « sous le signe de Mars » (chapitre six). Les conflits que connaissent Moyen-Orient et Afrique du Nord sont longuement traités par les auteurs de l’ouvrage : conflits frontaliers (Israël/Palestine, Chypre), guerres civiles (Irak, Damas ou Yémen), luttes pour l’indépendance (Kurdes, Sahara Occidental, Kabylie) sont ainsi autant de problématiques actuelles auxquelles le chapitre se consacre en rappelant leur histoire, leur évolution et leurs enjeux. La menace des terroristes islamistes (comme le soulignent les auteurs, rappelons qu’il ne faut pas pour autant assimiler terrorisme et islamisme) est finalement évoquée, car elle « plane aujourd’hui sur tous les Etats de la région, dont aucun ne peut prétendre qu’il n’en a pas été au moins une fois la victime. » (p. 148)
L’impact des crises au Moyen-Orient ne saurait cependant s’intéresser à la région seule : au contraire, comme tend à le démontrer le septième chapitre, il s’agit là d’un « épicentre de la géopolitique mondiale ». En effet, le Moyen-Orient se trouve « au cœur d’enjeux planétaires » (p. 149), tels que les enjeux symboliques, culturels et religieux (la « ville trois fois sainte » de Jérusalem notamment) et les enjeux énergétiques et économiques (comme cela est développé au quatrième chapitre). C’est pourquoi cette région occupe une place toute particulière dans la politique extérieure des grandes puissances mondiales : les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Europe et l’Amérique latine, dont les points de vue, très divers, et les stratégies, souvent en concurrence les unes avec les autres, sont analysées.
La problématique de la mondialisation est également évoquée (chapitre huit) : le quatrième chapitre annonçait déjà que la région restait marginale au sein de la mondialisation et n’en était pas une actrice à part entière au sein du processus ; le dernier chapitre quant à lui met en évidence que le Moyen-Orient tente de s’affirmer de manière croissante sur la scène mondiale. Car cette région a des atouts à faire valoir : une situation stratégique (comme cela a été montré dès le premier chapitre), mais aussi une puissance financière (avec les pays du Golfe) et médiatique (la chaîne qatarie Al Jazeera, véritable « CNN arabe ») non négligeable. Cette ambition de certains des Etats du Moyen-Orient (Turquie, Iran, Israël, Arabie saoudite) à s’intégrer dans la mondialisation est analysée en deuxième partie de chapitre, car il s’agit là de pays qui « n’hésitent plus à faire entendre leur voix et à se mêler directement aux affaires du monde » (p. 159).
En outre, des annexes, des documents statistiques, des cartes et un « glossaire des termes arabes, hébreux et turcs » (pp. 181-186) plus que profitables complètent cet ouvrage. Les trois auteurs proposent ainsi une analyse des enjeux actuels d’une région en ébullition. Au-delà du (géo)politique, c’est aussi au prisme d’études des sociétés, des ethnies, des religions et de l’économie que le Moyen-Orient est analysé : un spectre large et complet qui informe et questionne le lecteur.
Tancrède Josseran, Florian Louis, Frédéric Pichon, Géopolitique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord – du Maroc à l’Iran, Paris, Presses Universitaires de France, 2012, 188 pages.
Delphine Froment
Agrégée d’histoire et élève à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, Delphine Froment prépare actuellement un projet doctoral. Elle a largement étudié l’histoire du Moyen-Orient au cours de ses études universitaires, notamment l’histoire de l’Islam médiéval dans le cadre de l’agrégation.
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