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En septembre dernier, Jordi Tejel, accordait aux Clés du Moyen-Orient un entretien dans lequel il revenait sur l’histoire des Kurdes en Syrie et sur la manière dont ils se situaient dans la guerre civile. Après avoir établi son autorité sur une grande partie des zones de peuplement kurde du pays, le Parti de l’Union Démocratique (PYD pour Partiy Yekîtiya Democrat en kurde), « branche » syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK pour Partiya Karkerên Kurdistan) entretenait des relations difficiles avec les autres composantes de l’échiquier politique kurde réunies au sein du Conseil national kurde de Syrie (CNKS) et soutenues par les autorités kurdes d’Irak, Massoud Barzani, le Président du Gouvernement régional kurde (GRK) en tête.
Des risques d’affrontements entre les deux grandes tendances étaient à craindre. Si la situation de leurs rapports ne s’est pas améliorée, qu’ils restent déséquilibrés et en faveur du PYD-PKK, d’autres tensions prévisibles ont éclaté au cours des dernières semaines. Elles opposent depuis la fin du mois d’octobre, au fil d’affrontements armés réguliers les Unités de défense du peuple (YPG pour Yekineyen Parastina Gel) du PYD et des éléments islamistes affiliés ou non à l’Armée syrienne libre (ASL). Des combats ont déjà eu lieu à Alep et dans des localités proches de la frontière turque aux cours des deux derniers mois. S’il est souvent négligé par la majeure partie des médias dans leur traitement du conflit, ce deuxième front potentiel est susceptible d’être déterminant dans le dénouement du conflit.
Le PYD est globalement perçu par l’opposition syrienne comme un appui du régime. Les liens historiques forts entre l’Etat syrien et le PKK qui ont été tissés sous Hafez el-Assad auraient en effet été réactivés dans le contexte du conflit actuel. Afin de concentrer ses forces sur Alep, Damas et le reste du pays, Bachar el-Assad dont les relations avec la Turquie se sont récemment détériorées, aurait abandonné aux forces du PYD, au cours de l’été 2012, la majorité des zones de peuplement kurde situées au nord. Certaines localités sont aujourd’hui directement gérées par les structures partisanes du PYD, qui y appliquent les règles de « l’autonomie démocratique », le mode de gouvernement préconisé par le PKK. Quand les fonctionnaires du régime n’ont pas quitté les lieux, comme c’est le cas à Qamishli, au nord-est, ils sont impuissants et laissent toute latitude aux militants du PYD. Les combattants de l’ASL tendent être présentés par le PYD comme des agents de la Turquie, qui soutient l’opposition, et considérés comme infiltrés par des factions islamistes. L’objectif du PYD est donc de conserver ses emprises territoriales en en interdisant l’accès à l’ASL tandis que la Turquie aurait entrepris d’utiliser certains groupes armés affiliés à l’opposition syrienne pour menacer la position du PYD, établi juste derrière sa frontière méridionale.
A cette situation complexe qui s’inscrit dans le contexte de rapports de force régionaux et dépasse le seul terrain syrien, s’ajoutent les divisions internes à la scène politique kurde. Le PYD la domine mais n’y est pas hégémonique. La totalité de la population n’est guère acquise à sa cause et le non-respect des accords de partage du pouvoir passés début juillet 2012 à Erbil entre le PYD et le CNKS, n’a pas amélioré ses relations avec les autres formations kurdes. Le CNKS, malgré le soutien que lui apporte le Président du Gouvernement régional kurde, reste faible et ne tient pas le rapport de force militaire avec le PYD. Massoud Barzani dont les troupes mobilisées font déjà face à l’armée fédérale irakienne à Kirkouk et dans les territoires disputés entre Bagdad (qui se serait rapproché du PKK) et le GRK, ne peut se permettre de se lancer dans une surenchère vis-à-vis du PYD, aussi bien sur le plan politique que stratégique. Les déserteurs kurdes syriens qui ont été formés par les forces militaires du GRK au Kurdistan d’Irak n’ont d’ailleurs pas passé la frontière. Son accès leur reste interdit par le PYD et ils ne pourraient de toute façon pas rivaliser avec les effectifs des YPG.
Les affrontements prévisibles entre les forces du PYD et certaines composantes de l’opposition armée au régime de Bachar el-Assad ont commencé le 26 octobre 2012 dans le quartier kurde d’Achrafieh à Alep. Une dizaine de personne a alors été tuée tandis que les deux camps se sont livrés à des centaines d’enlèvements réciproques (1). Opportuns du point de vue du régime syrien, ces premiers affrontements ont rapidement cessé. Les deux parties ont publié des déclarations conciliantes à leurs égards respectifs, rappelant leur appartenance commune à l’opposition et leur objectif partagé de faire chuter Bachar el-Assad. Ces positionnement officiels, quelle que soit leur valeur réelle, se sont traduits concrètement par un retour aux conditions régulant initialement les rapports entre l’ASL et le PYD : le PYD ne nuira pas à l’ASL tant que ses membres ne s’aventurent pas dans le zones placées sous son contrôle.
Ce retour à la paix armée est cependant bref. Les affrontements reprennent au courant du mois de novembre et cette fois-ci à la frontière turque, dans la ville de Ras el Eyn/Serakaniye (nom arabe/nom kurde). Venus de la localité jumelle, située du côté turc de la frontières, des éléments armés appartenant à des groupes islamistes entrent dans la ville, conduisant au retrait des membres des YPG vers les quartiers à majorité kurde tandis que des combattants de l’ASL circulent dans les quartiers à majorité arabe. Le 11 au 13 novembre, la ville est bombardée par l’aviation syrienne, tuant de nombreux civils et militants armés tandis que la population quitte les lieux pour fuir vers la Turquie toute proche. Ces troubles participent d’un accroissement continu des tensions dans les zones frontalières depuis l’été 2012 que l’installation prochaine de missiles Patriot de l’OTAN à la frontière turco-syrienne ne contribuera pas à freiner.
En Syrie, l’évolution de la question kurde est à la fois un facteur déterminant de la crise en cours à l’échelle du pays et l’une des multiples composantes d’une problématique transfrontalière et régionale. La détérioration du conflit armé livré par le PKK à l’armée turque en Turquie même au cours des derniers mois est liée à la situation qui prévaut au nord de la Syrie. Ce qui se produit à sa frontière sud relève pour la Turquie d’enjeux de politique intérieure et l’objectif de sa politique est d’empêcher le PYD de sacraliser une partie du territoire syrien. A cet égard, la Turquie soutiendrait des groupes islamistes liés à une ASL de plus en plus hétérogène en les chargeant de déstabiliser les zones contrôlées par le PYD aux moyens d’interventions transfrontalières lancées depuis la Turquie. Le PYD et le PKK mettent l’accent sur ce qu’ils présentent comme une alliance entre Ankara et des fondamentalistes contre l’autonomie des Kurdes de Syrie.
Si une telle alliance existe réellement, c’est cependant plus vers le PKK qu’elle se dirige que vers la seule idée d’une autonomie kurde dans le pays. La quasi-indépendance des Kurdes en Irak a, à titre d’exemple, cessé d’être perçue comme une menace par Ankara qui y exerce aujourd’hui une influence très forte. La persistance d’une telle situation de tension pourrait cependant exposer les populations très mixtes de la région à subir les conséquences d’un conflit communautaire. Se posant en rempart contre la double menace présentée par l’armée turque qui masse ses troupes à la frontière et les groupes islamistes arabes, le PYD pourrait renforcer son emprise sur la société kurde tandis que les notables arabes avec lesquels il compose encore sont susceptible de rechercher le soutien de groupes armés de liés à l’ASL pour éviter de se placer sous la protection d’une quelconque autorité kurde. Si les Kurdes ont intégrés dès le départ la révolution syrienne, que nombre d’entre eux agissent en tant que citoyens syriens, si les tensions entres Kurdes eux même demeurent très fortes également, un tel développement, nécessairement déterminé par des rapports extérieurs, n’est pas à exclure.
Note :
(1) http://www.jamestown.org/programs/gta/single/tx_ttnews[tt_news]=40221&cHash=76a6154321d72e1033f9fb9a652d3bcd)
Allan Kaval
Journaliste, Allan Kaval travaille sur les politiques intérieures et extérieures de la Turquie et de l’Iran ainsi que sur l’histoire du nationalisme et des identités minoritaires au Moyen-Orient.
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