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Le sultanat mamelouk s’impose en Égypte au milieu du XIIIe siècle et construit son pouvoir face à l’attaque mongole, qu’il parvient à contenir. C’est un nouveau type de régime politique, où le pouvoir est détenu collectivement par un groupe d’hommes renouvelé régulièrement et extrêmement soudé. Cette capacité d’auto-régénérescence fait du sultanat mamelouk le pouvoir politique parfait aux yeux d’un historien contemporain comme Ibn Khaldûn.
Les mamelouks sont à l’origine des esclaves originaires des steppes turques, dont les sultans ayyoubides avaient fait leur garde personnelle : mamlûk signifie en arabe « possédé », donc « esclave ». La première lignée mamelouke est celle des mamelouks bahrites : ils tirent leur nom du lieu où ils sont éduqués, c’est-à-dire l’île de Rûdha, sur le Nil – bahrite signifie « qui vient de la mer, du fleuve ». Ils y reçoivent une éducation intellectuelle, comportant une initiation aux sciences de la religion, et une éducation militaire très complète avec un entraînement quotidien. Lorsqu’ils atteignent l’âge de dix-huit ans, ils sont émancipés pour entrer dans la garde personnelle du sultan. Le but des sultans ayyoubides est de constituer ainsi un contre-pouvoir militaire face aux émirs, dont la fidélité, même s’ils sont théoriquement subordonnés au sultan, est souvent remise en cause. La seconde lignée mamelouke, qui règne à partir de 1382, est celle des mamelouks bourjites : ceux-là tirent leur nom de la citadelle (bûrj) dans laquelle ils vivent, à l’est du Caire, et ne sont pas turcs, mais circassiens ou géorgiens.
Lorsque le sultan d’Égypte, al-Sâlih Ayyûb, meurt en 1250 alors que Louis IX, à la tête de la septième croisade, est aux portes du Caire, ce sont les mamelouks qui prennent le contrôle et repoussent les Francs à Mansûra – ce nom est donné à la ville après la bataille et signifie « victorieuse ». Après avoir assassiné l’héritier ayyoubide, ils exercent pendant quelques temps une régence de fait, sous le couvert officiel de la veuve d’al-Sâlih, Chajar al-Durr. Le choc de l’irruption mongole, sous l’impulsion de Gengis Khan, fait émerger la figure de Baybars, qui remporte en 1260 la victoire décisive d’Ayn Djalout et préserve ainsi l’Égypte de l’attaque mongole, lui évitant le sort de Bagdad détruite en 1258. Baybars assied alors son pouvoir sur l’ancien empire ayyoubide, qui comprend l’Égypte, la Syrie et la bande côtière de la péninsule arabique, et reprend le titre de sultan. Il établit un principe dynastique et renforce sa légitimité en recueillant les derniers Abbassides, chassés de Bagdad par les Mongols, qui deviennent à partir de ce moment la caution religieuse du pouvoir mamelouk – caution d’autant plus forte que Baybars récupère la suzeraineté sur les lieux saints de l’islam, La Mecque et Médine. Cette légitimité religieuse est importante pour les Arabes, majoritaires dans le sultanat mamelouk ; mais l’autorité mamelouke n’aurait probablement pas été remise en cause, parce qu’en repoussant l’attaque mongole et en luttant contre les Francs, les mamelouks se posent en protecteurs des musulmans et, plus précisément, en défenseurs de l’islam sunnite de langue arabe. Or, c’est bien ce rôle de protection qui est traditionnellement dévolu au chef de l’Oumma, quel qu’il soit, et qui fonde la légitimité du pouvoir politique.
Le pouvoir est détenu collectivement par la « caste » des mamelouks. Le sultan est choisi en fonction de son prestige (militaire surtout) et selon un mode électif : la personnalisation du pouvoir est beaucoup moins importante que sous les Ayyoubides, puisque le sultan n’est finalement qu’un primus inter pares, au sein d’un pouvoir collectif. Les mamelouks sont une classe à part dans la société, exclusivement masculine et très fermée ; leur plus grande force est leur cohésion. Cette solidarité s’explique par le mode de constitution de la classe dirigeante, renouvelée régulièrement par « importation » d’esclaves venus des steppes turques, éduqués ensemble selon le système mis en place par les Ayyoubides et émancipés à 18 ans pour constituer le nouveau groupe mamelouk. Des liens étroits unissent donc les mamelouks, qui ont la même origine ethnique, ont reçu la même éducation et sont tous égaux. Comme un homme libre ne peut être un mamelouk, les enfants des mamelouks – qui, nés musulmans, ne peuvent être réduits en esclavage, suivant les préceptes du Coran – constituent une classe à part, celle des awlâd al-nâs, qui se mêle à la société arabe autochtone pour constituer une sorte de bourgeoisie, mais ne peut théoriquement pas accéder aux plus hauts postes. Ce système rend nécessaire l’importation de nouveaux esclaves pour renouveler la classe dirigeante, et évite la constitution de dynasties héréditaires : aux yeux d’Ibn Khaldûn (1332-1406), grand historien de l’époque mamelouke, cette capacité d’auto-régénérescence est la garantie de durabilité du pouvoir, et fait du système mamelouk le plus parfait des systèmes politiques puisqu’il est censé éviter la décadence qui touche inévitablement tout État.
Toutefois, ce système a ses limites. Il contribue d’abord à un climat de grande violence, avec de nombreuses « guerres de succession » et intrigues de palais : la pratique de l’assassinat est courante. Ensuite, le sultanat mamelouk entre en crise à partir du milieu du XIVe siècle : la mort du sultan al- Nâsir Muhammad, en 1341, ouvre une période de luttes entre ses fils – prétendants légitimes au trône – et les émirs. L’absence de règle de succession favorise en effet les luttes intestines, qui paralysent de fait le pouvoir, parfois pour longtemps.
Le sultanat mamelouk entre dans une période de déclin à partir de la seconde moitié du XIVe siècle, dans un contexte global de très grande instabilité : instabilité économique, avec les grandes épidémies de peste noire qui ravagent les populations, et instabilité politique, avec la menace que représente le grand chef mongol Tamerlan qui, reprenant à son compte l’héritage impérial de Gengis Khan, lance depuis son émirat de Transoxiane une nouvelle vague d’expansion mongole. C’est dans ces conditions que les mamelouks bourjites prennent le pouvoir, en la personne de Barquq qui est proclamé sultan en 1382. Leur règne n’amène pas d’apaisement : face au pouvoir montant des Turcs ottomans, le sultanat mamelouk finit par s’effondrer en 1517 sous les coups du sultan Sélim Ier, qui fait exécuter le dernier sultan mamelouk le 13 avril. L’Égypte et ses dépendances sont alors incorporées dans l’Empire ottoman.
Pour aller plus loin :
– Albert Hourani, Histoire des peuples arabes, Paris, collection Points Seuil, 1993.
Tatiana Pignon
Tatiana Pignon est élève en double cursus, à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, ainsi qu’à l’Université de la Sorbonne en Histoire et en langue. Elle s’est spécialisée en l’histoire de l’islam médiéval.
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