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Pendant le dix-neuvième siècle, les Britanniques ont tenté de réussir deux tâches contradictoires. Intégrer Oman à leur empire informel, en raison de sa place stratégique sur la route des Indes, mais sans s’impliquer dans la politique intérieure du pays. Ils se sont donc assurés de la dépendance des dirigeants omanis en supprimant leurs sources de revenus traditionnelles (trafic d’esclaves et d’armes en provenance de Zanzibar, la colonie omanie d’Afrique de l’Est). Ils ont ainsi isolé le sultanat et fragilisé la position des dirigeants, en proie au mécontentement chronique des populations de l’arrière-pays. Les Britanniques ont progressivement dû s’impliquer militairement et plus seulement économiquement.
Les premiers contacts des Britanniques avec Oman datent du XVIIe siècle, lorsqu’en 1624 les navires de la Compagnie Anglaise des Indes Orientales (CAIO) accostent à Mascate, capitale omanie, alors sous contrôle portugais. En effet, depuis 1600, la Compagnie a obtenu du Parlement une charte l’autorisant à signer des traités, lever des armées et à déclencher des guerres pour ses propres intérêts partout dans le monde sans en référer au gouvernement anglais. Elle souhaite notamment s’assurer un comptoir sur le Golfe, proche de l’Océan Indien, lui permettant de sécuriser la route des Indes. Cependant, à cette époque, les contacts avec les sultans en place (les Ya’aribah) sont essentiellement commerciaux. S’ils acceptent de commercer avec les Britanniques, ils refusent de leur céder un comptoir.
Tout au long des XVIIIème puis XIXème siècles, les Britanniques cherchent à obtenir le droit d’être présents militairement à Oman car, à partir de Mascate, ils peuvent atteindre leurs objectifs majeurs : obtenir une paix maritime grâce à leur supériorité sur les mers et océans de la région ; exclure leurs rivaux occidentaux présents sur la côte arabe. Afin de parvenir à leurs objectifs, ils se battent contre les pouvoirs locaux opposés à leur présence et contre les rivaux occidentaux, avides de s’implanter sur place.
Mise à part l’autorisation de commercer dans les ports de la côte, les sultans successifs de Mascate (les Ya’aribah puis les Al Bu Sa’id) ont toujours refusé de donner de véritables droits commerciaux aux Britanniques. En 1798 cependant, le sultan Sultan bin Ahmad signe un traité avec un représentant de la CAIO. En effet, Napoléon qui vient d’envahir l’Egypte a entamé une correspondance avec le dirigeant de Mascate et cela ne plaît pas au gouvernement anglais. Les Britanniques décident alors d’inclure le littoral arabe dans la sphère d’influence du gouvernement du vice-roi des Indes. En 1800, le traité est renforcé et une représentation britannique à Mascate est établie. Les représentants, nommés par le vice-roi des Indes, envoient leurs rapports non pas à Londres mais au British Resident Persian Gulf (BRPG) en Inde.
Les relations entre le sultan et les Britanniques sont tendues. Dès 1803, les Britanniques l’enjoignent de ne pas commercer avec l’empire napoléonien et le menacent de bloquer toutes les importations omanies en provenance des Indes. Cette menace est d’autant plus efficace que, très vite, le sultan a besoin de l’aide militaire britannique contre les Qasimi, principaux pirates du golfe. Exceptionnellement, les Britanniques acceptent alors d’aider le sultan car les pirates nuisent également à leurs intérêts économiques, mais en règle générale, ils ne souhaitent pas intervenir dans les affaires intérieures du pays.
Pourtant, à la mort de Sultan bin Ahmad en novembre 1804, ils sont contraints d’intervenir dans les querelles dynastiques et de soutenir la candidature du fils de Sultan, Sa’id, qui leur est favorable. Cependant, une fois le nouveau sultan en place, ils s’éloignent de la politique intérieure omanie, allant jusqu’à refuser la proposition d’alliance que Sa’id leur fait en 1806. Néanmoins, lorsque l’activité française se renforce dans la région en 1807, ils se rapprochent de Sa’id et à la suite de la perte de l’île Maurice (alors nommée Ile de France) par Napoléon, ils ne prennent pas leurs distances avec Sa’id, en raison de la menace des pirates Qasimi. Une expédition conjointe se déroule en 1809 durant laquelle Sa’id tente de renforcer son autorité dans les zones éloignées de Mascate mais les escarmouches continuent jusqu’à l’expédition de 1819-1820 qui se conclut par le Traité Général de Paix Maritime [1] imposé par les Britanniques. Ce traité est renouvelé périodiquement jusqu’à ce qu’il devienne perpétuel en 1853.
Cependant, si les Britanniques acceptent d’aider militairement Sa’id, ils lui refusent la reconnaissance officielle qu’il demande en 1806. Ils refusent également d’intervenir dans la politique locale, en particulier lors de l’opposition avec les Saoudiens qui souhaitent prêcher le Wahhabisme au nord du pays alors que les Omanis sont des Ibadhistes [2]. Les Britanniques en revanche ont pour politique de limiter la marge de manœuvre du sultan et ils le font en interdisant le trafic d’esclaves et d’armes dont la famille royale tirait en grande partie ses revenus. Ainsi, en septembre 1822, un traité est signé par le sultan interdisant la vente d’esclaves aux chrétiens de Zanzibar. Puis en 1845, un nouveau traité interdit tout trafic d’esclaves entre les possessions omanies en Afrique de l’Est (Zanzibar) et Oman, et permet aux Britanniques de fouiller tout navire arrivant à Oman pour vérifier que le traité est respecté. Enfin en 1873, un dernier traité interdit l’arrivée d’esclaves à Oman et ferme les marchés à esclaves. Cette progressive sévérité des traités met en évidence l’influence grandissante des Britanniques et en 1856, à la mort de Sa’id, cette influence se précise. En effet, les Britanniques président officiellement à la séparation définitive entre Oman et Zanzibar en 1861, avec un sultan dans chaque pays.
A partir de 1872, Oman devient de facto un protectorat britannique, même s’il ne l’est pas encore officiellement. Ainsi en 1891, les Britanniques font promettre au sultan Faysal bin Turki de ne jamais céder de territoire omani à des Occidentaux autres que Britanniques, afin qu’ils ne puissent s’approprier les matières premières du sous-sol d’Oman. En effet, depuis 1877, des traités commerciaux ont été passés avec d’autres pays occidentaux, en particulier la Hollande, mais ils ne s’appliquent pas à l’exploitation des matières premières du sous-sol.
Longtemps, la société de la bande côtière nommée Mascate a été séparée des terres intérieures nommées Oman. Mascate a toujours été une société maritime alors qu’Oman est le domaine des confédérations tribales. Certes, il y a toujours eu des échanges commerciaux et culturels entre les deux mais, il s’agissait néanmoins de deux sociétés distinctes. Quant à la religion du pays, depuis le VIIIe siècle, il s’agit de l’ibadhisme, une branche de l’islam séparée du sunnisme et du chiisme qui considère que l’Etat islamique original a été corrompu par le califat et veut recréer un Etat pur. Les Omanis élisent donc théoriquement, parmi tous les hommes adultes, un imam qui peut être déposé s’il s’éloigne des principes islamiques. Cependant, dans les faits, il est choisi au sein de certaines familles et groupes tribaux, le titre devenant souvent héréditaire. En règle générale, l’imam se désintéresse de l’intérieur, plus pauvre, pour se concentrer sur Mascate. C’est ce qui est appelé « le cycle de l’imamat [3]. », cycle auquel les Britanniques mettent fin en s’installant progressivement à Oman. En effet, au lieu que les Omanis s’unissent contre la nouvelle menace britannique, Londres va protéger les sultans Al Bu Sa’id de Mascate contre les forces de l’arrière-pays. Les Al Bu Sa’id, après avoir été déposés par les forces de l’imamat entre 1868 et 1871 (en 1868, les tribus de l’arrière-pays élisent un imam pour « purifier l’islam » de l’influence étrangère. Une armée descend ainsi sur Mascate et prend la ville d’assaut), reprennent leur trône en 1871 avec l’aide britannique. C’est le passage à un protectorat de facto et l’entrée dans l’« empire informel ».
Les Britanniques ont détruit l’empire omani en séparant Oman de Zanzibar et en interdisant la vente d’esclaves et d’armes mais ils ne souhaitent pas pour autant un sultan trop faible, ce qui impliquerait leur intervention en politique intérieure. Cependant, les nouvelles attaques tribales qui se déroulent entre 1877 et 1883 contraignent la flotte britannique à bombarder les forces de l’imamat qui tentent de prendre Mascate d’assaut. En 1895, après une nouvelle attaque des forces de l’imamat, ils interviennent également. La situation s’apaise jusqu’en 1913. A cette date, un nouvel imam, Salim bin Rushid al-Kharusi, est élu. L’armée des Indes est alors envoyée pour protéger Mascate de 1915 à 1920 contre les forces d’al-Kharusi qui assiègent la ville. En 1920, les Britanniques l’emportent finalement. Le sultan Taymur bin Faysal souhaite profiter de cette victoire britannique pour augmenter son pouvoir sur l’arrière-pays mais les Anglais envisagent un accord à l’amiable avec l’imamat afin d’éviter de nouvelles attaques coûteuses pour leur armée. Différentes menaces à l’encontre des forces de l’imamat permettent la signature d’un traité à Sib [4] en 1920. Ce traité définit les relations entre l’arrière-pays et Mascate pour trente ans, l’idée principale étant que les deux zones commercent l’une avec l’autre.
Oman devient dès lors un pays isolé, ce qu’il n’était pas jusqu’alors, les Britanniques l’ayant privé de ses sources traditionnelles de revenus (trafic d’esclaves et d’armes avec Zanzibar). Mascate se dépeuple et se transforme en un port mineur. Enfin, la production cotonnière de l’arrière-pays ne peut concurrencer celle des Indes et les Britanniques ne prennent pas en charge la pauvreté qui s’installe, n’ayant pas de réels intérêts dans l’arrière-pays. Cette situation évolue à partir des années 1920 avec la prospection pétrolière et le début des premières routes aériennes.
Lire également sur Les clés du Moyen-Orient :
- Sultanat d’Oman dans les années 1920 : l’empire informel
Bibliographie :
– Article « Oman » de l’Encyclopedia Universalis.
– Francis Owtram, A modern history of Oman : formation of the state since 1920, Cambridge, Londres, 2004.
Ainhoa Tapia
Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.
Notes
[1] Signé par toutes les puissances maritimes du Golfe, pirates Qasimi inclus.
[2] Branche de l’islam n’appartenant ni au sunnisme ni au chiisme.
[3] A un moment donné, pour faire face à une menace extérieure, il devient nécessaire d’unir les tribus pour former un Etat fort, on élit alors un imam. Cependant, rapidement, une fois la menace écartée, l’imam se désintéresse de l’arrière-pays pauvre pour se concentrer sur les côtes où s’accumulent les richesses. Or, ce désintérêt pour l’arrière-pays finit par amener le mécontentement populaire et la déposition de l’imam. Le conflit pour choisir un nouvel imam permet souvent à une puissance extérieure d’envahir de nouveau le pays. Il y a donc alors réélection d’un nouvel imam qui unit tous les Omanis pour contrer les forces étrangères et le cycle recommence.
[4] Ville portuaire de grande envergure au nord de la côte omanie.
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