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L’ouvrage de la Documentation française analyse les années 2009-2010 au Moyen-Orient et au Maghreb et s’attache à montrer que sous l’apparente continuité de certaines situations, la région connaît des ruptures. Neuf articles illustrent cette problématique des « recompositions et stagnation » au Moyen-Orient.
Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff expliquent notamment que « les pesanteurs entravent l’action diplomatique internationale (…) à l’image de celles qui jouent tant sur la scène intérieure des différents pays qu’au niveau régional ». La question des élections de l’année 2009 tant au Maghreb qu’au Moyen-Orient est soulevée, ainsi que celle des guerres et des crises, qui laissent penser que « c’est donc, en apparence, la continuité qui prévaut une fois de plus dans cette région du monde, qui va du Maroc au Golfe ». Cependant, « cette continuité laisse pourtant entrevoir des évolutions notables, pas nécessairement pour le meilleur », notamment le recul du dialogue régional, la place de plus en plus importante laissée à la spéculation sur les événements à venir, le recul de l’autorité de l’Etat au profit des mouvements contestataires, le renouvellement limité de la manière de gouverner. Il n’en demeure pas moins que des évolutions ont marqué la région, en particulier les nouvelles orientations de la diplomatie américaine, avec la fin de la période néoconservatrice ; les limites de la supériorité militaire d’Israël face au Hezbollah et au Hamas ; l’émergence de la Turquie et de l’Iran comme « acteurs majeurs de la géopolitique régionale ».
Frédéric Charillon s’interroge ensuite sur l’évolution stratégique du Moyen-Orient, et sur les acteurs de cette évolution : « Lorsqu’il se trouve des acteurs pour prôner le changement, les structures mêmes du système régional défavorisent ces derniers, tandis qu’elles donnent une prime aux tenants du statu quo. Lorsque, à l’inverse, une opportunité s’ouvre pour une évolution du système régional moyen-oriental, il manque cette fois d’acteurs pour en prendre acte, et saisir avec hauteur et esprit de responsabilité l’ouverture qui se présente ». Les relations entre Israël et ses alliés, ainsi que la montée en puissance des diplomaties iranienne et turque sont étudiées au regard de ce constat, puis « l’interdépendance entre politique extérieure et marge de manœuvre extérieure ».
Alain Dieckhoff se penche pour sa part sur la situation en Israël à la suite de la guerre de Gaza (décembre 2008-janvier 2009), sur le plan politique avec le retour de Benyamin Nétanyahou à la tête d’un gouvernement de droite (élections législatives de 2009), sur les orientations diplomatiques du nouveau Premier ministre concernant les relations avec les Etats-Unis, et avec l’Iran. Sur cette question, il « a donné une claire indication de ses priorités dans la région. D’emblée, l’accent a été mis sur le risque majeur que ferait peser sur la sécurité nationale d’Israël la détention de l’arme atomique par un régime islamiste radical (au premier chef, l’Iran) ». Les difficultés que rencontre l’Etat Hébreu sont aussi analysées par Alain Dieckhoff, notamment les tensions avec la Turquie : « L’année 2009 a été une mauvaise année pour les relations turco-israéliennes, avec des mini-crises diplomatiques à répétition », ainsi que les conclusions du rapport Goldstone sur la guerre menée à Gaza.
La situation dans les Territoires palestiniens à l’issue de la guerre de Gaza est également évoquée par Aude Signoles, qui revient dans un premier temps sur cette guerre, « catastrophe humanitaire aux effets politiques incertains », qui « a fait ressurgir les discours sur l’urgence de la réconciliation nationale au sein de la population palestinienne » et la nécessité de former un gouvernement d’union. Mais plusieurs facteurs empêchent cette réconciliation nationale : les dissensions entre Fatah et Hamas, les demandes israéliennes en échange de la levée du bouclage dans la bande de Gaza, le décret présidentiel du 24 octobre 2009 qui décide d’organiser des élections dans les Territoires palestiniens, la présence de deux gouvernements, l’un dans la Bande de Gaza, l’autre en Cisjordanie. En outre, le Fatah, parti du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, connaît une crise de légitimité depuis la guerre de Gaza, tandis que, en dépit de certaines critiques, le Premier ministre Salam Fayyad est en pleine ascension politique.
Ignace Leverrier se penche sur la Syrie, dans le contexte de sa « réinsertion » dans la politique régionale et internationale : « Au cours de l’année 2009, les responsables syriens ont multiplié les déclarations annonçant ‘’la récupération par la Syrie de son rôle central dans la région’’. Le nombre des responsables étrangers de haut rang qui se succédaient à Damas démontraient que la ‘’Syrie était sortie de son isolement’’. L’observation était exacte, et le mouvement s’est poursuivi durant les premiers mois de l’année 2010 ». Cependant, « Au début 2010, la Syrie est sous observation de la communauté internationale. Les réconciliations amorcées n’ont pas été menées à leur terme, et elles restent réversibles ». Ainsi, la position de la Syrie sur la scène régionale et internationale est analysée de juillet 2000, date de l’arrivée de Bachar al-Assad à la présidence, à 2010, et en particulier ses relations avec l’Iran, le Liban, la Turquie, le Hamas. Celles avec les Etats-Unis, de George Bush à Barack Obama, et avec la France, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, sont également décryptées.
L’Irak est traité par Michel Goya, qui explique : « Au début des années 1990, les interventions armées occidentales avaient surtout pour objet de rétablir une stabilité politique dans les pays en crise. Avec l’opération ‘’Liberté pour l’Irak’’, lancée en mars 2003, les Américains ont franchi une étape nouvelle non pas en voulant rétablir l’ordre là où régnait le désordre, mais en cherchant à remplacer une situation stable considérée comme hostile par une autre, plus favorable à leurs intérêts ». L’auteur analyse ainsi l’évolution de la présence américaine en Irak, les opérations menées, les actes de résistance de la population irakienne et les relations avec l’armée irakienne, de 2003 à 2010.
Farhad Khosrokhavar fait le bilan de la situation en Iran, dans le contexte des crises auxquelles le pays est confronté, sur le plan interne, dans ses relations avec l’Occident et avec les pays arabes. Sur le plan interne, la crise fait suite aux élections de juin 2009, qui doivent être « replacée(s) dans une longue succession d’événements remontant à la prise du pouvoir par le président Khatami ». Avec l’Occident, la crise est liée au dossier nucléaire. Si l’arrivée à la présidence américaine de Barack Obama a permis de « rompre avec (la) politique d’intransigeance (de Georges W. Bush), afin d’obtenir des résultats concrets dans ce dossier nucléaire (notamment au sujet de l’enrichissement de l’uranium par Téhéran) », cette politique s’est cependant « avérée décevante ». Les relations avec les pays arabes connaissent également une évolution, car « la politique de M. Ahmadinejad est en rupture avec celle qu’avait inaugurée le président réformateur Mohammad Khatami. Celui-ci avait tenté de nouer des relations diplomatiques avec l’Egypte, de rassurer les pays arabes qui craignaient la montée en puissance de l’Iran dans la région et d’améliorer ses relations avec l’Occident ». L’auteur explique en quoi l’orientation diplomatique régionale de M. Ahmadinejad a provoqué une détérioration des relations avec une grande partie des Etats de la région.
Au Koweït, Laurence Louër analyse le système politique qui « est l’un des plus ouverts du monde arabe ». Un retour par l’histoire permet de comprendre pourquoi le pays s’est doté d’un système politique pluraliste. Néanmoins, l’auteur explique que « tout comme la dynastie régnante est un hégémon social inachevé, le Parlement est une institution tronquée, dont les pouvoirs sont essentiellement négatifs : le Parlement peut bloquer les décisions prises par l’émir mais ne peut légiférer de manière indépendante ». En outre, en dépit des évolutions : accès des femmes aux droits politiques, redécoupage des circonscriptions, changement à la tête de l’Etat, nouveaux députés élus lors des élections de 2009, les relations entre le Parlement et le gouvernement restent conflictuelles.
Jean-Noël Ferrié se penche sur la situation au Maroc, où le souverain Mohammed VI règne depuis dix ans. Les facteurs de mutations sont nombreux au cours de cette décennie, notamment sur le plan politique. Après un rappel concernant le mode de régime, l’auteur explique que la « conflictualité politique » s’est résorbée, que le roi s’est « attaché à promouvoir le caractère pluraliste des sources de l’identité berbère », et que des réformes ont été entreprises, même si dans certains domaines (système sanitaire, protection sociale, justice, enseignement), elles n’ont pas eu la même avancée. En outre, « la question de l’évaluation des réformes et de leur portée est plus problématique, (…) parce que (les réformes) mêlent des actions immédiates et des actions différées, une efficacité visible mais locale et une efficacité espérée et globale, la conservation de ce qui est et la préfiguration de ce qui doit être ».
Une chronologie de Siham Djebbi présente les événements de la région, du 1er juin 2009 au 28 février 2010.
Sommaire
– Du Maghreb au Golfe : rupture des configurations, résistances des pratiques, par Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff
– Proche-Orient : un paysage stratégique sans stratège ? par Frédéric Charillon
– Israël dans l’après-guerre de Gaza, par Alain Dieckhoff
– Lendemains de guerre dans les Territoires palestiniens, par Aude Signoles
– Les limites de la réinsertion de la Syrie dans le jeu régional, par Ignace Leverrier
– Le désengagement de Gulliver ? Le surgé et la stratégie américaine de sortie du conflit irakien, par Michel Goya
– L’Iran en 2009 : crise avec l’Occident, crise intérieure, par Farhad Khosrokhavar
– Koweït : un système politique pluraliste en crise, par Laurence Louër
– Maroc : la première décennie de Mohammed VI, par Jean-Noël Ferrié
Chronologie Afrique du Nord-Moyen-Orient, par Sihem Djebbi
Sous la direction de Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Entre recompositions et stagnation, la Documentation française, collection Mondes émergents, 2010, 179 pages.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
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