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Du 29 août au 1er septembre 1967, les dirigeants arabes se réunissent, pour la première fois depuis la fin de la guerre des Six Jours (5-10 juin 1967), à Khartoum, au Soudan. Devant l’ampleur de la défaite infligée par Israël aux armées égyptiennes, jordaniennes et syriennes, les dirigeants arabes choisissent de s’accorder sur une ligne politique et économique commune face à leur ennemi plus puissant que jamais. Ils proclament alors leur solidarité et leur refus catégorique de négocier et de reconnaitre l’Etat israélien. Ce sommet marque un tournant dans l’histoire du conflit israélo-arabe et annonce la montée en puissance de pays tels que l’Arabie saoudite et de leurs idées modératrices sur la scène régionale.
La victoire de l’armée israélienne, Tsahal, sur ses voisins égyptiens, jordaniens et syriens modifie profondément les rapports de force dans la région. Israël occupe dorénavant la bande de Gaza, le Sinaï, la Cisjordanie, le plateau du Golan et Jérusalem-Est qui est annexée par vote le 27 juin. L’étendue des conquêtes permet à Israël de multiplier son territoire par quatre et de s’assurer une certaine sécurité tout en menaçant directement Damas qui ne se situe plus qu’à 60 km. De plus, la facilité de Tsahal à défaire ses ennemis confère aux Israéliens un sentiment d’invincibilité et de supériorité sur un monde arabe profondément affaibli et humilié. Par ailleurs, sur fond d’affrontement Est-Ouest, les Arabes sont confrontés à leur division traditionnelle entre régimes « progressistes » ou « révolutionnaires » (Egypte, Syrie, Algérie, Irak et République du Yémen) et Etats conservateurs (Jordanie, Arabie saoudite, Koweït, Libye, Maroc, Oman, royalistes yéménites). La défaite place l’Egypte nassérienne et la Syrie, fortement diminuées militairement, politiquement et économiquement, dans des positions délicates alors que l’Arabie saoudite, qui n’a pas été directement touchée par le conflit, semble pouvoir tirer profit de la situation grâce à ses revenus pétroliers. Le roi Hussein de Jordanie craint, en outre, de voir sa légitimité remise en cause par l’importante population d’origine palestinienne que compte son royaume, amputé de la Cisjordanie, et qui continue à accueillir les réfugiés de la guerre. Diverses solutions sont alors envisagées et l’action diplomatique semble pour la première fois envisagée par le raïs égyptien Nasser qui cherche à reconstituer ses forces armées afin de récupérer les territoires perdus pendant la guerre de juin.
Avant l’ouverture officielle du Sommet dans la capitale soudanaise, plusieurs points commencent à être négociés entre différents chefs d’Etat. Le président égyptien, qui cherche à remplir ses caisses vidées par le conflit, tente de se rapprocher des monarchies pétrolières du Golfe. Les rapports entre Nasser et Faysal d’Arabie saoudite sont cependant très tendus. Le souverain saoudien, qui tente de valoriser la place de son royaume sur la scène régionale, n’apprécie aucunement les projets hégémoniques de Nasser, qu’il perçoit comme une menace. Leur rivalité se concrétise au Yémen du Nord, déchiré par une guerre civile. Nasser y soutient la lutte des partisans de la République, mise en place par un coup d’Etat en 1962, contre les monarchistes qui reçoivent une importante aide financière et militaire du régime saoudien. Durant l’été 1967, Nasser, conscient de la nécessité d’un compromis, préconise le retrait de ses troupes du Yémen contre la mise en place d’une union arabe face à Israël, tout en espérant obtenir le soutien financier dont il a besoin pour reconstituer son armée. Il assure parallèlement aux Etats conservateurs ne pas vouloir s’immiscer dans leur « système social ».
Les pays producteurs de pétrole s’affirment par ailleurs sur la scène régionale en utilisant, pour la première fois, leur ressource naturelle comme une arme dans le conflit israélo-arabe. Bien conscient de l’importance de l’Or noir pour les économies occidentales, ils décident de mettre en place, pendant la guerre, un embargo sur les exportations de pétroles vers les alliés d’Israël. Si l’initiative a été de très courte durée, nombreux sont ceux qui y voient un moyen de pression conséquent pour faire plier les « impérialistes ». L’Irak, pays producteur, décide alors d’organiser une conférence à Bagdad du 15 au 20 août sur le thème de la guerre économique. Son gouvernement propose à ses pairs de bloquer pendant trois mois le pompage et de n’exporter ensuite le pétrole que vers des Etats qui ne soutiennent pas l’Etat hébreu. Les Etats pétroliers refusent cependant fermement de telles mesures qui pénaliseraient grandement leur propre économie. Les discussions sont alors remises au sommet de Khartoum qui doit réunir, du 29 août au 1er septembre, l’ensemble des dirigeants arabes.
Hormis le président algérien Boumediene et la Syrie qui, marquée par un courant gauchiste, refuse de traiter avec les régimes « bourgeois » jugés responsables de la défaite, l’ensemble des chefs d’Etat arabes se déplace dans la capitale soudanaise pour y discuter de la politique économique et militaire que chaque pays devra suivre dans la lutte contre Israël et la récupération des territoires occupés. L’idée d’un embargo pétrolier et d’une guerre économique évoquée à Bagdad est officiellement abandonnée. Le monde arabe délaisse ainsi l’unique outil de pression dont il dispose alors pour amener les Etats-Unis et la Grande-Bretagne à obliger Israël à se replier sur ses frontières du 5 juin. L’Arabie saoudite, la Libye et le Koweït s’engagent cependant à reverser 20 % des revenus pétroliers aux pays victimes de la guerre et de favoriser leur reconstruction économique et militaire. L’Egypte bénéficiera donc de 95 millions de livres anglaises par an et la Jordanie de 40 millions. Le principe de solidarité économique se met alors progressivement en place dans le monde arabe. Le Caire confirme par ailleurs son intention d’évacuer rapidement ses troupes du Yémen. Le sommet marque ainsi un tournant dans les relations entre l’Egypte et l’Arabie saoudite mais également entre conservateurs et progressistes. Le régime saoudien, jusqu’à présent peu investi dans le conflit, décide de redoubler d’effort dans la lutte contre Israël. Il ne peut en effet pas tolérer que la troisième ville sainte de l’Islam, Jérusalem, soit occupée.
La résolution finale de Khartoum réaffirme alors l’unité du monde arabe qui s’engage à « liquider les séquelles de la guerre » et à récupérer les territoires occupés. Son troisième point proclame la « non reconnaissance d’Israël, le refus de la reconnaissance de cet Etat et de la négociation avec lui et la réaffirmation des droits du peuple palestinien sur son pays ». C’est donc ce triple refus (refus de la paix, de la négociation et de la reconnaissance d’Israël) que retiendra l’Etat hébreu pour maintenir un statu quo. Derrière l’intransigeance de la résolution du sommet, on décèle toutefois la victoire des courants plus modérés. En effet, la résolution n’empêche pas l’initiative politique. Le roi Hussein de Jordanie cherche même à nouer des contacts discrets avec Israël et nombreux sont ceux qui préfèrent une action politique à une action armée. Mais la fermeté des deux camps bloque rapidement l’option diplomatique et les tensions reprennent de plus belle. Israël débute sa politique de colonisation des territoires occupés, compliquant d’autant plus les possibilités de résolution du conflit. La résolution 242 de l’ONU du 22 novembre, acceptée par l’Egypte, la Jordanie, le Liban, le Soudan, la Libye, le Maroc et la Tunisie mais refusée par l’Arabie saoudite, l’Algérie, l’Irak, le Koweït, le Yémen du Nord et du Sud, la Syrie et les Palestiniens, marque la fin de la solidarité arabe. L’heure est finalement au durcissement.
Bibliographie :
– Georges Corm, Le Proche-Orient éclaté (1956-2010), Paris, Gallimard, 2010.
– Pierre Hazan, La Guerre des Six Jours, la victoire empoisonnée, Bruxelles, Editions Complexe, 1989.
– Nadine Picaudou, Les Palestiniens, un siècle d’histoire, Bruxelles, Editions Complexe, 2003.
– Pierre Razoux, La Guerre des Six jours (5-10 juin 1967), du mythe à la réalité, Paris, Ed. Economica, 2004.
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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