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SPECIAL CRISE AU MOYEN-ORIENT ET AU MAGHREB : L’EGYPTE

Par Lisa Romeo
Publié le 04/02/2011 • modifié le 23/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

Egyptian anti-government protesters wave their national flag at Tahrir Square during a protest in Cairo on February 4, 2011. Tens of thousands of Egyptians massed for sweeping "departure day" demonstrations to force President Hosni Mubarak to quit after he said he would like to step down but fears chaos would result.

MOHAMMED ABED / AFP

La présidence de Moubarak durant trois décennies

La Constitution égyptienne prévoit que si le Président de la République venait à disparaitre, son Premier ministre serait chargé d’assurer la transition à la tête de l’Etat. Avec l’assassinat du Président Anouar Al-Sadate par des officiers de l’organisation islamiste al-Jihad le 6 octobre 1981, Hosni Moubarak, vice-président depuis avril 1975, est donc le candidat naturel pour le siège présidentiel. Cet ancien chef de l’armée de l’air est alors rapidement investi du pouvoir par le Parlement, avant de voir sa position confirmée, quelques jours plus tard, par référendum, avec 98,4 % de oui.

Malgré certains gestes, tel que la libération des opposants politiques emprisonnés par Sadate en 1981, le rétablissement du multipartisme et la lutte contre la corruption, le nouveau rais ne rompt pas entièrement avec la politique de son prédécesseur. Il choisit, notamment, de maintenir la politique d’ouverture économique (infitah) mise en place dans les années 1970, au bilan assez mitigé au début des années 1980. En outre, l’état d’urgence est rétablit en 1981.

Sur le plan régional, Hosni Moubarak ne remet également pas en cause les accords de paix signés avec Israël à la fin des années 1970. Il s’applique cependant à réintégrer son pays dans la diplomatie arabe et rompre avec l’isolement de l’Egypte dans la région depuis la signature du traité. Les contacts sont peu à peu rétablis avec les différents dirigeants jordaniens, irakiens et avec l’OLP et le siège de la Ligue des Etats arabes est finalement réimplanté au Caire, en 1990, après avoir été déplacé pendant une dizaine d’années à Tunis. Par ailleurs, Hosni Moubarak tend à améliorer les relations avec l’URSS tout en favorisant un certain rapprochement avec les Etats-Unis. Ainsi choisit-il d’engager son pays aux côtés des Américains contre le régime de Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe de 1990-1991 en déployant 30 000 soldats en Arabie Saoudite.

Son action dans la guerre permet à l’Egypte d’annuler la moitié de sa dette extérieure estimée à 53 milliards de dollars par les créanciers internationaux. En échange, l’Egypte doit passer des accords avec le FMI et la Banque Mondiale. Les mesures exigées par le FMI semblent relancer, pour un temps, l’économie du pays qui s’ouvre aux investissements étrangers et entreprend une vaste campagne de privatisation. L’économie se base alors sur la rente pétrolière, les revenus du tourisme et du canal de Suez ainsi que des transferts des travailleurs émigrés (domaines qui représentent environ 20 % du PIB). Toutefois, malgré un redressement certain, l’économie égyptienne reste fortement dépendante des fluctuations extérieures et la croissance profite de manière très inégale à la population. En effet, le chômage reste important et le pays manque de ressources alimentaires. Par ailleurs, la libéralisation de l’économie n’est suivie que de timides ouvertures démocratiques et le régime prend au fur et à mesure une tournure toujours plus autoritaire.

Le système politique égyptien

L’Egypte est une République depuis la Révolution des Officiers Libre de 1952 et l’arrivé au pouvoir de Gamal Abdel Nasser (1918-1970). Le cadre politique actuel est fixé par la Constitution de 1971 qui prévoit une place prédominante aux prérogatives du Président, lui octroyant notamment un fort pouvoir exécutif. Le président est élu pour un mandat de six ans renouvelable sans fin (Hosni Moubarak en est à son cinquième mandat). Jusqu’en 2005, son élection se faisait d’abord par suffrage indirect, à la majorité des deux tiers à l’Assemblée du peuple, puis par une ratification par référendum. Dorénavant, par un souci d’afficher un certain assouplissement et de répondre aux revendications de l’opposition et de l’opinion internationale, le vote se fait par suffrage universel. Le Président est chargé (mais la Constitution ne l’impose pas) de nommer un vice-président. D’une manière générale, il est responsable de l’essentiel des décisions et nomme l’ensemble des ministres et gouverneurs.

Par ailleurs, le pouvoir législatif est partagé en dans chambres : l’Assemblée du peuple (Majlis al-Chaab) et le Conseil consultatif (Majlis al-Choura) mis en place par amendement en 1980. L’Assemblée du peuple est composée de 454 députées dont 444 sont élus au suffrage universel pour un mandat de cinq ans, les 10 autres sont directement choisis par le président. La deuxième chambre se compose de 264 membres dont un tiers est nommé par le chef d’Etat, les autres sont renouvelés par moitié tous les trois ans, au suffrage universel. Son rôle est essentiellement consultatif. Un amendement de la Constitution a été fait en 2007 pour afficher plus d’équilibre entre les différentes instances, attribuant, par exemple, la validation du budget à l’Assemblée. Mais le pouvoir reste pour l’essentiel fortement centralisé.

En outre, le Parti national démocrate (PND) du président domine largement la vie politique du pays, obtenant, à chaque élection législative, une majorité écrasante des sièges du Parlement. La montée d’une forme d’opposition forte est étroitement surveillée malgré l’assurance d’une certaine liberté d’expression. De nombreuses lois régularisent la formation de parti politique. Il faut, par exemple, pour constituer son parti, obtenir l’aval du comité des Partis politiques ou de la Cour des partis politiques composés de personnalités proches du gouvernement. En outre, il n’est pas autorisé par la Constitution de faire la grève et une association peut être dissoute par le ministère des Affaires sociales depuis 2002. Les faibles taux de participations aux scrutins démontrent le désintérêt d’une bonne partie de la population pour des élections souvent décrédibilisées par divers recours à la fraude, à des intimidations et à des violences.

Le rôle de l’armée

Composée d’environ 500 000 hommes, l’armée égyptienne entretient d’importants rapports avec le régime et y joue un rôle non négligeable depuis le début de la république. Tous les chefs d’Etat sont d’ailleurs issus de ses rangs et son développement a été justifié par les longues années de guerres avec Israël. Depuis plusieurs décennies, son matériel est progressivement modernisé en remplaçant le matériel soviétique par des équipements américains. Aujourd’hui son importance se trouve concurrencée par les services de renseignement chargés de contrer d’éventuels problèmes d’insécurité et le combat contre l’islamisme, placé sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur, ne fait plus réellement partie de ses fonctions. Cependant, malgré une certaine démilitarisation du régime, le poids de l’armée reste très présent dans le pays et de nombreux poste clés de l’administration lui sont réservés, comme des charges de gouverneurs.

De plus, elle détient de nombreuses entreprises agricoles, pharmaceutiques ou encore d’aménagement urbain sur l’ensemble du territoire. Les officiers bénéficient par ailleurs de nombreux avantages tels qu’un accès facilité au logement alors que le manque d’habitat constitue un réel problème de société en Egypte. Enfin, sa gestion jouit d’une certaine autonomie par rapport au pouvoir. Le maintient de nombreux avantages à l’armée permet ainsi d’assurer au régime une certaine tranquillité, considérant que cette dernière n’aurait pas d’intérêt réel à se retourner contre lui et a même permit de consolider sa position en écrasant, à plusieurs reprises, les mouvements insurrectionnels. L’armée apporte donc une certaine légitimité au pouvoir.

Le régime de Hosni Moubarak, les Frères musulmans et la menace islamiste

Le régime égyptien ne jouit pas, contrairement à certains de ses voisins, d’une légitimité religieuse et fait l’objet de nombreuses critiques de la part de certains courants islamistes. Tout au long des années 1990, le territoire a été la cible de plusieurs attentats terroristes d’origine islamiste (au Caire en avril 1996 et en septembre 1997, à Louxor en novembre 2007, à Charm el-Cheikh en juillet 2005). Les attaques sont dirigées en partie contre des touristes, fragilisant ainsi l’activité touristique, une des principales ressources du pays. Pour répondre à ces menaces, Hosni Moubarak renforce le système sécuritaire et maintient l’état d’urgence qui octroie au gouvernement le droit d’arrêter une personne de manière arbitraire. Des grandes vagues d’arrestations et de répressions sont alors mises en œuvre, n’hésitant pas dans de nombreux cas à recourir à la torture et aux exécutions. Le mouvement islamiste Gamaa Islamiya finit ainsi par proclamer un cessez-le-feu et présente ses excuses au peuple égyptien à la fin des années 1990. L’état d’urgence reste cependant en vigueur et la lutte contre le radicalisme religieux sert rapidement de prétexte au gouvernement pour verrouiller l’ensemble du système politique, en interdisant, par exemple, la formation de partis politiques sur une base confessionnelle (amendement de la Constitution en 2007), tout en obtenant une certaine approbation de la part des puissances occidentales. Il s’agit notamment de neutraliser la principale force d’opposition des Frères musulmans.

La confrérie islamiste des Frères musulmans, interdite mais tolérée dans les faits, a su affirmer sa position au sein de la société égyptienne au fil des années. Lors des élections législatives de 2005, qui ont été marquées par une certaine ouverture politique, les Frères musulmans, en tant que candidats indépendants, ont réussi à obtenir 88 sièges à l’Assemblée du peuple, soit six fois plus qu’au scrutin précédent, devenant ainsi la principale force d’opposition du pays. Ce succès est toutefois rapidement suivi d’une vague d’arrestation et les élections suivantes confortent largement la position du PND, après l’appel au boycott de la confrérie, dénonçant de nombreuses irrégularités dans le déroulement du scrutin. D’une manière générale, l’absence de réel programme alternatif au régime mis en place par le Président Moubarak assure jusqu’à présent la prédominance du PND.

La crise actuelle

Cependant, depuis le 25 janvier 2011, le peuple égyptien se mobilise massivement dans les rues du Caire et des principales villes du pays, appelant au départ immédiat de Hosni Moubarak, anticipant ainsi les élections de septembre qui devaient décider de l’éventuelle succession de ce dernier à la tête de la nation. Le problème du coût élevé de la vie, du chômage ainsi qu’une aspiration à une plus grande liberté poussent d’autant les Egyptiens à réclamer un changement de régime.

Face à ce soulèvement, le président nomme un nouveau gouvernement le 29 janvier et il désigne Omar Souleiman, directeur des Services de renseignements généraux, comme vice-président, après trente ans de vacance de ce poste. Ces mesures ne calment cependant pas les ardeurs de la rue qui appelle alors à une plus grande mobilisation. Des centaines de milliers d’Egyptiens se rassemblent alors mardi 1er février place Tahrir au Caire tandis que l’armée assure qu’elle ne recourra pas à la force contre la foule, reconnaissant la légitimité des revendications. L’ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Mohammed El-Baradei apparait alors comme une figure de l’opposition susceptible de rassembler le mouvement tandis que Hosni Moubarak assure qu’il ne se représentera pas aux prochaines élections présidentielles mais ne quittera pas le pouvoir dans l’immédiat, malgré les appels de la diplomatie américaine à son allié d’assurer dès à présent une transition diplomatique.

Par ailleurs, des affrontements violents entre pro et anti Moubarak éclatent le 2 février au Caire. Le Président Moubarak déclare, à la télévision américaine, ne pas vouloir quitter ses fonctions immédiatement, craignant que son pays ne sombre dans le « chaos ».

Le départ éventuel de Hosni Moubarak pose l’incertitude de sa succession. Quoi qu’il en soit, le soulèvement tunisien a un impact certain sur l’ensemble du monde arabe, réactivant le sentiment de solidarité entre les différents peuples de la région autour de l’aspiration à la liberté.

Bibliographie :
Joseph Confavreux, Alexandra Romano, Egypte, histoire, société, culture, Paris, La Découverte, 2007
Alain Gresh, Dominique Vidal, Les 100 clés du Proche-Orient, Paris, Hachette Littératures, 2006
Henry Laurens, Vincent Cloarec, Le Moyen-Orient au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2005
Sophie Pommier, Egypte, l’envers du décor, Paris, La Découverte, 2008
Presse : Le Figaro, Le Monde

Publié le 04/02/2011


Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.


 


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