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Pays d’ordinaire discret et stable, le sultanat d’Oman ne semble pas échapper à la vague de revendications populaires qui bouleverse le monde arabe depuis décembre 2010. Ce pays du Golfe qui contrôle le détroit d’Ormuz, où transite 40 % du pétrole acheminé par voie maritime, et allié des Etats-Unis, est dirigé depuis 40 ans par le sultan Qabous. Ces événements nous invitent à faire le point sur le long règne de ce sultan qui a transformé le pays.
En juillet 1970, Qabous bin Said al Said, âgé de trente et un ans, dépose, avec l’aide de la Grande-Bretagne, le sultan Saïd Ben Taïmour, son père, au pouvoir depuis 1932. La rupture se veut totale : le pays se dote d’un nouveau drapeau, d’un nouvel hymne national et est rebaptisé le « sultanat d’Oman » et non plus « le sultanat de Mascate et d’Oman ». Le pays rejoint alors rapidement la Ligue arabe puis l’ONU et entre dans une nouvelle phase de son histoire que les Omanais appellent « Renaissance ». Le jeune sultan affiche un nouveau style. Il souhaite être plus proche de son peuple. Son nom et son portrait animent dorénavant les rues et les places du pays, rompant ainsi avec l’isolement dans lequel se maintenait son père, en retraite depuis plusieurs années dans le palais de Salâlah dans le sud du pays.
Qabous bin Said al Said doit, tout d’abord, assurer l’unité nationale en pacifiant la région du Dhofar, à la frontière du Yémen, où les tribus se sont soulevées depuis plusieurs années et jusqu’en 1976.
Par ailleurs, en 1970, Oman est un des pays les plus pauvres au monde et manque cruellement d’infrastructures. Le pays compte, sur l’ensemble du territoire, seulement trois écoles et un petit hôpital. Avec dix kilomètres de routes goudronnées, les déplacements se limitent pour les Omanais à des excursions de plusieurs jours à dos de chameaux ou d’ânes pour vendre les productions de dattes au marché de la ville la plus proche. Seul le palais, le camp militaire de Ruwi et l’ambassade britannique sont alors équipés d’électricité. Le pays détient pourtant une importante source de revenue : le pétrole. L’or noir est découvert dans le pays en 1965 et est exporté pour la première fois en 1967. Toutefois, le sultan Saïd semble retissant à ouvrir son pays sur le monde et à investir dans de nouvelles infrastructures. Il gère les recettes du pays comme sa propre richesse, de manière assez opaque et personnelle. Qabous bin Said al Said va dès son arrivée au pouvoir lancer son pays dans un vaste programme de développement économique et social, transformant ainsi l’ensemble de la société omanaise.
A l’instar des monarchies du Golfe, Qabous bin Said al Said se base sur la manne pétrolière pour légitimer son pouvoir et consolider l’unité nationale. Oman détient cependant des réserves relativement faibles par rapport à ses voisins (le pays ne peut actuellement compter plus que sur dix ans de réserves) et au coût de production est assez élevé car difficilement accessible. Petit pays producteur, il n’a pas réellement les moyens d’influencer les cours et les prix du baril. Dans les années 1970, Oman peut toutefois profiter de la flambée des prix due aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 pour multiplier ses recettes et pour augmenter rapidement son volume de production. Les recettes de l’Etat passent ainsi de 140 millions de dollars en 1971 à 1,8 milliard en 1979 et sa production de 250 000 barils/jour en 1970 à 900 000 en 1999.
Grâce à ces revenus, d’importants chantiers sont immédiatement inaugurés en faisant appel à des travailleurs indiens, pakistanais ou bangladais. Entre 1970 et 1975, le nouveau gouvernement fixe le cadre juridique et met en place toutes les institutions publiques nécessaires à la bonne mise en œuvre d’un programme de développement. Mais c’est avec la création d’un Conseil pour le développement, en 1975, qu’un véritable plan de modernisation est établi. Différents plans quinquennaux sont rédigés pour répondre aux réels besoins de la société. Un réseau routier est élaboré, permettant ainsi d’intégrer les provinces les plus reculées aux principales villes, les ports sont équipés, des banques sont institutionnalisées, une centrale électrique est construite… L’armée est également modernisée. L’Etat crée ainsi une trentaine d’entreprises industrielles et commerciales entre 1975 et 1985. A partir des années 1980, l’augmentation des ressources en eau, le développement du monde rural et de l’agriculture, laissés jusque là à l’écart des investissements (alors que le secteur occupe les trois quarts de la population), devient la nouvelle priorité du gouvernement.
La chute du cours du pétrole à partir de 1986 et la réduction des revenus de l’Etat poussent le gouvernement à préparer le pays à l’après-pétrole et à diversifier son économie. La production de gaz et de diverses activités pétrochimiques sont alors mises en avant, l’agriculture et la pêche, secteurs traditionnels, sont valorisés. En dépit de ces mesures, l’industrie pétrolière représente aujourd’hui environ 65 % des recettes de l’Etat.
Depuis 1990, l’Etat cherche à faire entrer son économie dans la mondialisation en essayent de la désétatiser afin de diminuer ses dépenses. La privatisation est donc encouragée, les initiatives privées protégées. Une entreprise peut dorénavant, par exemple, appartenir intégralement par des firmes étrangères. La diversification de l’économie est donc aujourd’hui nécessaire au gouvernement pour maintenir les acquis sociaux de ces quarante dernières années.
Cette modernisation économique entraine une très nette amélioration du niveau de vie : l’accès gratuit aux soins est dorénavant assuré, l’espérance de vie, qui ne dépassait pas les 46 ans dans les années 1960, a augmenté de 25 ans et la mortalité infantile a diminué de près d’un tiers en dix ans.
Le système éducatif a également connu une véritable révolution. Plus d’un quart du budget est dédié à l’enseignement. On trouve aujourd’hui à Oman plus d’un millier d’écoles publiques et privées. Une université nationale (université du Sultan Qabous) est également inaugurée en 1986 et forme aussi bien garçons que filles. A Oman, plus de 55 % de la population a moins de 24 ans. De nouveaux jeunes diplômés arrivent ainsi tous les ans sur le marché du travail. Mais la demande excédant l’offre, de plus en plus d’Omanais éprouvent des difficultés à trouver un emploi et le chômage ne cesse de croitre, provoquant ainsi des tensions sociales. Une politique d’« omanisation » du personnel a été mise en œuvre ces dernières années pour tenter de pousser les entreprises à préférer employer des Omanais plutôt que des travailleurs immigrés, souvent mieux formés et moins coûteux. Des quotas leur sont ainsi imposés. Par ailleurs, les développements que la société omanaise a connus ont engendré une transformation dans les modes de consommation. Les nouvelles générations, qui n’ont pas connu la pauvreté de l’époque du sultan Saïd, veulent plus de responsabilité et plus d’ouverture et ce, notamment, dans le domaine politique.
En effet, si il y a un domaine pour lequel le sultan Qabous s’est montré assez retissant à libéraliser, c’est bien le domaine politique. Le sultanat d’Oman est une monarchie absolue. Il n’existe pas dans le pays d’institution susceptible de modérer véritablement son pouvoir et Qabous bin Said al Said cumule les fonctions de chef d’Etat, chef de l’armée, Premier ministre, ministre des Affaires intérieures, des Finances et de la Défense. Les partis politiques sont interdits, la liberté d’expression fortement contrôlée. Tous les secteurs clés relèvent donc de ses prérogatives et les lois sont promulguées par décrets royaux. A partir d’octobre 1981, il instaure un Conseil consultatif d’Etat composé de 44 membres nommés qui ont, comme son nom l’indique, un rôle purement consultatif. En 1992, un Majlis al-Shura est également créé. Ses membres sont d’abord nommés, puis, à partir de 1994, élus par suffrage indirect. Les femmes sont alors également autorisées à participer au Conseil. Les institutions y sont codifiées ainsi que les principes de succession (le sultan Qabous, fils unique, n’a pas eu d’héritier) par la Loi fondamentale de 1996 qui fait office de Constitution. La base électorale s’élargit peu à peu et le suffrage universel direct est d’usage depuis septembre 2003.
Depuis le 18 février 2011, des marches appelant à plus de liberté politique et à plus de partage du pouvoir législatif ont eu lieu dans plusieurs villes du pays. Les revendications prennent également un caractère social (plus d’emplois, augmentation des salaires…). Des affrontements, entre les forces de l’ordre et des manifestants, après l’attaque d’un poste de police à Sohar, à 200 kilomètres au nord de la capitale omanaise, Mascate, ont fait au moins deux morts le 27 février. La police a tiré avec des balles en caoutchouc sur les 250 manifestants qui se sont rassemblés sur le rond-point de la terre, rebaptisé « rond-point de la réforme ». La personne du sultan n’est pas remise en cause ici alors que le départ de certains ministres considérés comme corrompus est demandé. Un remaniement ministériel a été finalement annoncé le 8 mars ainsi que la création de 50 000 emplois et des aides aux chômeurs. Le sultan a également décidé, 13 mars dernier, d’octroyer des pouvoirs législatifs au Conseil.
Bibliographie :
Marc Lavergne, Brigitte Dumortier (dir.), L’Oman contemporain, Etat, territoire, identité, Paris, Editions Karthala, 2002.
Bruno Le Cour Grandmaison, Le Sultanat d’Oman, Paris, Editions Karthala, 2000.
Rémy Leveau, Fréderic Charillon (dir.), Monarchies du Golfe, les micro-Etats de la péninsule arabique, Paris, La Documentation Française, 2005.
Articles de presse : Le Figaro, Le Monde
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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