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SPECIAL CRISE AU MAGHREB ET AU MOYEN-ORIENT : LA LIBYE (1969-2000)

Par Lisa Romeo
Publié le 04/03/2011 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 4 minutes

La mise en place du système kadhafiste

Le 1er septembre 1969, un groupe de jeunes officiers, les « officiers unionistes libres », dirigé par un bédouin d’une trentaine d’années de la tribu des Kadhadefah, originaire du désert de Syrte, le lieutenant Mouammar Kadhafi (qui s’attribuera ensuite le titre de colonel), occupe, sans effusion de sang, le siège du gouvernement, la direction de la police et de la radio. Ce coup d’Etat militaire met ainsi fin au régime monarchique du roi Idris Ier (1951-1969) et instaure la République arabe libyenne. Réunis dans un Conseil du commandement de la révolution (CCR), les putschistes annoncent les nouvelles orientations, fortement marquées par le nassérisme, du nouveau régime : unité arabe, lutte contre l’exploitation, le sous-développement, le colonialisme en construisant une société socialiste (soit absence d’exploitation et réappropriation des richesses nationales) fondée sur les valeurs du Coran. Le 12 décembre 1969, la Proclamation constitutionnelle reprend ces différents principes et considère le CCR comme la plus haute instance du pouvoir. L’organisme est chargé de mettre en œuvre ces orientations, d’assurer la sécurité intérieure et de choisir les membres civils du gouvernement. Kadhafi en devient le président, fonction qu’il cumule avec celles de commandant en chef des forces armées, de Premier ministre et de ministre de la Défense. Il s’impose, peu à peu, comme l’homme central du nouveau régime. Sur le modèle nassérien, une organisation politique unique est créée : l’Union socialiste arabe.

Rapidement, un certain décalage se fait alors sentir entre les officiers unionistes et les ministres civils, généralement issus de la bourgeoisie ou de la bureaucratie de l’Ancien Régime. Ces derniers appellent en effet à la mise en place d’un système démocratique en Libye et considèrent la volonté d’unité arabe comme secondaire. Plusieurs complots sont démasqués.

Voyant sa position toujours plus menacée, Kadhafi radicalise son idéologie. Le 15 avril 1973, lors d’un discours à Zouwâra, il lance une « révolution » dite populaire, annonçant sa volonté de s’appuyer dorénavant véritablement sur le peuple dans le cadre de la défense de la culture arabo-islamique.
Un programme en cinq points est alors présenté : épuration des « malades » (opposants à la volonté de la « majorité », les communistes, marxistes et les Frères musulmans sont directement visés ici), suspension des lois en vigueur, défense populaire et liberté aux masses, révolution administrative et attaque contre la bourgeoisie et la bureaucratie et enfin révolution culturelle (de nombreux ouvrages importés font l’objet d’un autodafé). Dorénavant, la révolution est celle des masses (« jamâhîr ») en opposition aux « réactionnaires ». Kadhafi délaisse donc, à partir de 1973, son alliance avec la bourgeoisie nationaliste, qui l’avait soutenu lors du coup d’Etat de 1969, pour s’appuyer sur les couches défavorisées, rurales et tribales, jusque là assez marginalisées et qui retrouvent ainsi un certain intérêt dans le régime kadhafiste. Le régime prend donc une tournure nettement plus populiste et autoritaire, s’éloignant définitivement du modèle nassérien.

Le système politique de la Jamahiriya

La république libyenne est finalement remplacée par la Jamahiriya, « Etat des masses » ou « régime des masses ». Si le discours de Zouwarah marque le début de cette orientation, ses institutions sont réellement définies à partir de 1975, puis entre 1976 et 1979 avec la publication du Livre vert par Kadhafi. Cet ouvrage, qui se divise en trois tomes, reprend les solutions des problèmes démocratiques, économiques et sociaux de la « troisième théorie universelle » et explicite sa doctrine. La première partie du Livre vert dénonce fortement la démocratie représentative et les partis politiques, le suffrage universel ainsi que le système parlementaire qu’il considère comme trompeur et comme non-représentant de la volonté du peuple et des intérêts de la nation. C’est donc contre ce modèle que Kadhafi propose un système de démocratie directe, interdisant tout parti politique.

Plusieurs congrès populaires se réunissent, où hommes et femmes adultes peuvent, une fois par an, discuter et approuver les orientations politiques et budgétaires élaborées par Kadhafi et ses proches. Il existe des congrès populaires de base et des congrès populaires des municipalités. Leurs délégués se retrouvent au sein du congrès populaire général où ils doivent rapporter les différentes résolutions prises, décider de la paix et de la guerre, approuver les traités, choisir le président de la cour des comptes, de la cour suprême, le procureur général et le directeur de la banque centrale.

On trouve parallèlement à ces différents congrès des comités populaires chargés de l’exécutif, qui doivent s’assurer de l’application des décisions des congrès populaires. Il existe des comités à différentes échelles : comités populaires locaux, des sections de municipalités. Leurs secrétaires constituent des comités populaires généraux spécialisés (équivalent d’un ministère). L’essentiel des orientations est décidé par le secrétariat du congrès général du peuple et du comité populaire général et par Kadhafi, laissant aux structures locales des prérogatives finalement assez limitées et cantonnées à des domaines précis. On peut également noter que leurs compétences ne sont pas strictement définies malgré quelques tentatives d’institutionnalisation dans les années 1990.

En 1979, Moammar Kadhafi et les autres membres du CCR se retirent de ces institutions gestionnaires. Ils restent cependant très présents dans le fonctionnement de l’Etat libyen grâce au contrôle de l’armée, de l’appareil de sécurité et à travers les comités révolutionnaires. Kadhafi devient d’ailleurs, à partir de 1980, le « Guide de la révolution ». Ces comités révolutionnaires sont chargés de défendre et de contrôler la révolution en orientant et stimulant les congrès populaires. Ses adhérents sont généralement issus de milieux défavorisés et réussissent, grâce à ces instances, à obtenir des avantages qui garantissent au Guide une certaine fidélité. Les membres de ces comités sont souvent également présents dans les congrès et comités populaires affirmant toujours plus l’influence des chefs de la révolution.

A partir de 1987, face aux difficultés de son régime, Kadhafi tente une ouverture politique en libérant des prisonniers politiques et en adoptant la Charte verte des droits de l’homme qui octroie une certain nombre de garanties juridiques et différentes réformes, portant progressivement la Libye vers un Etat de droit. Toutefois, les violences de la répression actuelles prouvent que le chemin de la démocratie et de la garantie à la protection et à la liberté, n’est pas encore achevé.

Bibliographie :
Juliette Bessis, La Libye contemporaine, Paris, Editions L’Harmattan, 1986.
Danielle Bisson, Jean Bisson, Jacques Fontaine, La Libye, à la découverte d’un pays, tome 1, Identité libyenne, Paris, L’Harmattan, 1999
Moncef Djaziri, Etat et société en Libye, Islam, Politique et modernité, Paris, Editions L’Harmattan, 1996
Alain Gresh, Dominique Vidal, Les 100 clés du Proche-Orient, Paris, Hachette Littératures, 2006

Publié le 04/03/2011


Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.


 


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