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Rouhollah Moussavi Khomeyni (1902-1989) : guide de la révolution iranienne

Par Ainhoa Tapia
Publié le 17/08/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

Khomeyni à Ponchartrain le 15 janvier 1979

JOEL ROBINE/AFP

1902-1927 : enfance et éducation

Rouhollah Moussavi Khomeyni nait le 24 septembre 1902 dans la province de Khomeyn, à l’est de l’Iran. Son père, ayatollah, tout comme son grand-père et son frère aîné, est tué dans des circonstances qui restent à ce jour non élucidées, moins de six mois après la naissance de Khomeyni. Ce dernier est élevé dans un milieu très religieux et matriarcal, par sa mère et sa tante Sadebeh qui, n’ayant pas d’enfants elle-même, élève ceux de son frère après sa mort. Elle a ainsi une influence majeure sur son neveu grâce à son charisme et éduque Khomeyni dans l’idée que toute action doit se soumettre à la loi islamique. Pour elle et plus tard son neveu, la religion et le pouvoir politique étant un ensemble indissociable, la tache d’un religieux chiite est de promouvoir la justice en défendant et en protégeant les faibles et les pauvres contre toutes les forces d’oppression, extérieures et intérieures. A sept ans, comme pour la plupart des garçons du pays à l’époque, elle envoie son neveu dans une maktab où il apprend à lire en se basant sur des textes tirés du Coran.

En 1918, à seize ans, Khomeyni perd sa mère et sa tante lors d’une épidémie de choléra. Il aurait souhaité étudier à Nadjaf dans l’actuel Irak, mais la chute de l’Empire ottoman l’en empêche. Il se rend alors à Ispahan, la principale ville religieuse de Khomeyn, où il étudie sous l’égide de l’ayatollah Haeri. Il suit ensuite celui-ci au début des années 1920 lorsqu’il enseigne dans la ville sainte de Qom. Khomeyni se tourne alors vers le mysticisme sous l’égide de Mirza Mohammaf Ali Shahabadi, un ascète, seul ayatollah de l’époque à s’opposer à la politique du shah.

1927-1961 : le début de sa carrière religieuse puis politique

En 1927, il obtient le titre d’ayatollah et commence à enseigner à Qom. Deux ans plus tard, à la suggestion d’un de ses amis, il épouse Qods-e Iran, sa seule compagne pour le restant de ses jours, à l’époque collégienne de quinze ans. Très vite, il rassemble une large audience lors de ses conférences et sa réputation grandit car, en plus d’être un grand théologien, il est un exemple d’élévation morale. Néanmoins, alors que la méthode d’enseignement traditionnelle consiste en un dialogue entre le professeur et ses élèves, Khomeyni énonce les diverses opinions avant de conclure par les siennes, en laissant peu de place à la discussion.

A l’époque, il préfère ne pas intervenir ouvertement en politique. Il ne critique ainsi pas publiquement la politique du shah pour mieux préparer les attaques contre ce dernier en privé. Ainsi, lorsqu’il s’estime prêt, au début des années 1940, il publie ses premiers écrits. Il y critique les mesures de laïcisation du régime. Cependant, ses principales cibles sont, en réalité, plus les religieux qui soutiennent le shah dans ses mesures d’occidentalisation du pays que le shah. Selon lui, le type de gouvernement en lui-même importe peu tant que celui-ci suit la sharia. Autrement dit, si le shah revient sur ses positions, Khomeyni n’exigera nullement son abdication. A l’inverse, les ayatollahs qui ont accepté un régime n’appliquant pas les lois du Coran n’ont aucune excuse selon lui.

Parallèlement à ses critiques, il se rapproche de l’ayatollah Sayyed Abolqassem Kashani, bien que celui-ci soit plus flexible que Khomeyni et plus prompt à s’éloigner de la ligne directrice dictée par les autorités religieuses de Qom et de Nadjaf. Par exemple, Kashani est le seul ayatollah à soutenir publiquement le Dr Mohammad Mossadegh lorsqu’il devient Premier ministre en 1951 et demande la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company. Khomeyni, lui, se méfie de l’anticléricalisme de certains des partisans de Mossadegh et est inquiet en particulier du tournant vers le communisme du Front National. Il n’intervient cependant pas publiquement lorsque Mossadegh est renversé par un coup d’Etat mené par le général Fazlollah Zhedi.

En effet, si Khomeyni refuse de devenir un nouveau Bashani, incompris par les hautes autorités religieuses de Qom et Téhéran, il est également trop jeune pour devenir marja-e taqlid, « modèle d’inpiration », c’est-à-dire le plus haut rang accordé à un ayatollah, et ainsi choisir sa propre voie. Il évite donc d’intervenir dans le domaine politique jusqu’à obtenir son rang de matja-e taqlid en 1961, à la mort de son mentor, l’ayatollah Borujerdi.

1961-1979 : le renversement du shah et la révolution islamique

Si l’ayatollah Borujerdi considère que la religion est dépendante de la coopération des ayatollahs avec le shah, Khomeyni estime pour sa part que la foi ne peut s’imposer que par la confrontation avec le régime séculier. C’est pourquoi lorsque le shah lance sa « révolution blanche » en 1962, Khomeyni choisit d’entrer en politique. L’accord du droit de vote aux femmes s’opposant, selon lui, aux préceptes du Coran, lui sert de prétexte. Il envoie alors une lettre au shah lui exposant ses revendications mais ce dernier n’y prête pas attention, de même que le Premier ministre lorsque Khomeyni s’adresse également à lui.

Néanmoins, Khomeyni devient chaque jour plus influent car il sait s’entourer. Il s’allie en particulier aux chefs des principaux bazars du pays. En outre, il tente de séparer le shah de ses appuis parmi la communauté religieuse. Toutes ces manœuvres politiques lui permettent de faire fermer les bazars de Téhéran et de Qom, la capitale et la principale ville sainte du pays, pour organiser le 23 janvier 1963 un grand rassemblement s’opposant au référendum que le shah organise afin de recueillir l’avis de la population sur ses réformes. Cependant, les forces gouvernementales réagissent à ce rassemblement par la force, ayant pour conséquence de radicaliser davantage les positions de Khomeyni et de ses partisans.

Le 3 juin, il prononce un discours dans lequel il critique le shah, Israël et les Etats-Unis. Il est arrêté deux jours plus tard, le 5 juin et la loi martiale est déclarée dans tout le pays. Des centaines de manifestants continuent cependant à descendre dans les rues, en particulier à Téhéran et à Qom, pour protester contre cette arrestation considérée comme un abus de pouvoir. Commencent alors plusieurs semaines de grève dans la plupart des bazars du pays et le gouvernement se voit obligé de relâcher Khomeyni. Il est alors assigné à résidence sous surveillance de la Savak, les services secrets iraniens. Mais cet éloignement de la scène politique ne limite pas son influence sur la population. Et, le 22 octobre 1964, lors du pèlerinage dans la ville de Qom pour l’anniversaire de la naissance de Fatimah, la fille du prophète, plusieurs pèlerins se réunissent devant la résidence de Khomeyni. Il apparaît d’ailleurs à sa fenêtre et déclame un sermon. Il est alors exilé en Turquie, à Barsa. Cependant, les bonnes relations entre la Turquie et le gouvernement du shah ne permettent pas aux Turcs de garder un ennemi si notoire du régime sur leur territoire. Khomeiny est donc envoyé en Irak, tout d’abord à Bagdad le 6 octobre 1965, puis dans la ville sainte chiite de Nadjaf. Là, il entreprend de discuter avec les principaux mollahs sur l’utilité de se mêler de la politique mais l’ayatollah Hakim, le plus respecté d’entre eux, refuse d’intervenir dans les affaires iraniennes. Khomeyni choisit donc de se tourner vers les étudiants iraniens à l’étranger (en France, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne…). En effet, ceux-ci, malgré des sympathies politiques plutôt gauchistes, sont très opposés au régime du shah et se rapprochent de Khomeyni dans un premier temps.

Mais, ces contacts ne suffisent pas et son exil se prolongeant, son influence diminue en Iran. Il se sert alors de la mort de son fils Mostafa dans d’étranges circonstances le 23 octobre 1977, pour revenir sur le devant de la scène, sans pour autant revenir en Iran, le shah ne le permettant pas. Comme son exil en Irak ne lui convient, il choisit de suivre un autre de ses fils, Ahmmad, en banlieue parisienne à Neauphle-le-Château le 12 octobre 1978. Les 10 et 11 décembre, son influence ayant de nouveau atteint une large proportion de la population iranienne, lors des cérémonies religieuses de Tasua et d’Ashura, des marches pacifiques exigeant l’abdication du shah se déroulent dans tout le pays. Des milliers de personnes descendent dans les rues et Khomeyni estime qu’il s’agit là de la réponse au référendum souhaité par le shah : le peuple ne veut plus de lui. Cependant, les représailles du gouvernement, en particulier lors du célèbre « vendredi noir » sur la place Jabeh à Téhéran, ont pour conséquence un cycle de violence. Le 16 janvier, le shah doit quitter le pays. Le 1er février, Khomeyni rentre alors triomphant à Téhéran.

1979-1989 : l’époque de la république islamique

Au moment de son retour au pays, Khomeyni est un modèle, un symbole pour la population iranienne. Le 1er mars 1979, il prononce un discours dans lequel il déclare vouloir rompre avec la civilisation occidentale, affirmer la suprématie des valeurs de l’islam, maintenir l’unité du peuple pour reconstruire le pays sur de nouvelles bases, augmenter la vigilance contre les ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur et instaurer une république islamique. Un référendum sur cette question est organisé les 30 et 31 mars. 97% de la population y répond favorablement. En septembre 1979, l’ayatollah Taleghani, chef des religieux modérés, meurt, laissant le champ libre à Khomeyni pour diriger le pays selon ses souhaits. Ainsi, par exemple, les relations avec les Etats-Unis deviennent très rapidement difficiles lors de la prise en otages des employés de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran le 4 novembre 1979. Cet événement marque d’ailleurs le début du règne de la terreur avec une augmentation des arrestations et des exécutions, peu après que Khomeyni ait obtenu « par référendum » le titre d’imam ou « guide de la révolution », lui donnant la quasi-totalité des pouvoirs. Ainsi, malgré l’élection de Bani Sadr à la présidence de la république le 27 janvier 1980, c’est Khomeyni qui dirige le pays. Bani Sadr est lui-même vite évincé du pouvoir en juin par décision des Majles, les chambres parlementaires, sur demande de Khomeyni. Khomeyni place en effet au pouvoir ses collègues ayatollahs, les considérant seuls capables de suivre la sharia, la loi islamique, sans se laisser corrompre par l’Occident. Il utilise également la guerre contre l’Irak de Sadam Hussein pour fortifier l’unité nationale à travers le patriotisme. Il fait ainsi de cette guerre sa croisade contre le sécularisme et la modernisation à l’occidentale et ce, aux dépens des finances du pays. Cette politique provoque en 1982 une tentative de coup d’Etat contre lui de la part d’un ayatollah plus modéré. La guerre prend fin le 18 juillet 1988, la défaite iranienne devenant de plus en plus évidente, la population ne soutenant notamment plus ce conflit sanglant. Khomeyni accepte la fin des combats, à contrecœur, sous peine de perdre ses soutiens à l’intérieur du pays.

Khomeyni, malade depuis le printemps 1988, meurt le 3 juin 1989, laissant sa place à l’ayatollah Ali Khamenei. Le 6 juin, des obsèques nationales mobilisent des milliers de personnes dans le pays, et sont comparées à celle de Nasser en Egypte.

Bibliographie :
 Article “Khomeyni” de l’Encyclopédia Universalis.
 Moin Baqer, Khomein : the life of the Ayatollah, Londres, 1999.
 Montazam Mir Ali Asghar, The life and times of Ayatollah Khomeini, Londres, 1994.

Publié le 17/08/2012


Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.


 


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