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Revue Moyen-Orient, "Bilan géostratégique 2013", numéro 19

Par Valentin Germain
Publié le 02/09/2013 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Le numéro s’ouvre sur un entretien exclusif avec Gilbert Achcar, professeur à la School of Oriental and African Studies à Londres. Ce dernier s’interroge sur le relatif désengagement des Américains au Moyen-Orient, une région qui reste vitale pour eux, notamment en raison de l’engagement chinois. La puissance reste toutefois fragile, surtout depuis le début de la crise économique. Elle a néanmoins soutenu les révoltes depuis 2011 et les gouvernements qui en sont issus. M. Achcar rappelle également l’importance du Qatar, partenaire politique majeur dans la région. Il souligne aussi l’alliance entre Israël et les États-Unis, seul allié fiable dans le bassin levantin. Enfin, il revient sur les demandes de financement des États issus des révolutions et sur la difficulté de l’application des recettes néolibérales ainsi que leurs conséquences sociales désastreuses. L’entretien se conclut sur une note assez pessimiste quant à l’avenir de la région et sur l’impératif du développement des forces de progrès face à des solutions réactionnaires risquant de s’imposer.

Le dossier occupant la majeure partie du numéro est un atlas dressant le « Bilan Géostratégique » de 2013. Y figurent de nombreuses fiches pays et des cartes détaillées de la région. Ce Bilan débute par une analyse de Hamit Bozarslan, directeur d’étude à l’EHESS, portant sur l’entrée du Moyen-Orient dans un nouveau cycle de violence. Établissant un parallèle avec la décennie 1980, l’auteur met en lumière les dynamiques analogues avec les années 2010 : en Afghanistan, au Pakistan, au Sahel, dans le Sinaï au Yémen ou en Syrie. Cette violence politique s’accompagne d’une confessionnalisation exigeant violence et sacrifice. Il s’attarde également sur la double légitimité et le double blocage à l’œuvre en Égypte et en Tunisie : comment les partis au pouvoir peuvent passer de la révolution à la démocratie tout en conservant la mobilisation populaire et ses revendications. Enfin, la question de l’islam est abordée, entre un islamisme radical vivace et un « islamisme mainstream » socialement conservateur et économiquement libéral. Désormais au pouvoir, cet islamisme est mis à l’épreuve dans sa capacité à gouverner.

L’article suivant, de Stéphanie Pouessel, chercheuse à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, traite de la culture comme acteur de la transition tunisienne. Avec l’élection du parti Ennahdha accusé d’œuvrer à l’islamisation de la société, une opposition s’est constituée avec les deux coalitions du Front Populaire et de l’Appel de la Tunisie. Le milieu de l’art est engagé du côté de cette opposition. Depuis 2011, le documentaire est à l’honneur en Tunisie, abordant les thèmes des réfugiés, la place de la femme, les révoltes populaires, etc. Apparaît aussi une volonté d’apporter la culture en dehors de la capitale avec des projections dans tout le pays. Le mouvement culturel tente aussi de consolider la révolution de 2011, faisant pression pour une dissolution complète du gouvernement lié à Ben Ali. Dans ce contexte, la réponse des Salafistes est violente et des expositions sont saccagées. En témoigne aussi le meurtre de l’opposant Chokri Belaïd.

Thomas Serres, doctorant à l’EHESS, aborde ensuite le retour au-devant de la scène du Sud algérien. C’est de cette région que proviennent les hydrocarbures qui assurent l’essentiel des revenus à l’État, mais qui pourtant n’a que peu bénéficié de la rente. Sa population dénonce régulièrement cette situation où un déséquilibre s’établit avec le nord, accusé de spolier les ressources. La contestation est grandissante dans les wilayas du Sud et s’y ajoute désormais les offensives terroristes. En effet, en dehors de la mobilisation des chômeurs, la question sécuritaire attire l’attention du pouvoir algérien. Un rééquilibrage de la place du Sud est donc nécessaire et inévitable en raison de ces mutations urbaines et sociales.

Ce dossier s’achève sur une étude des réfugiés issus du conflit syrien par Laura Ruiz de Elvira Carrascal, docteur en science politique à l’EHESS et à l’université Autónoma de Madrid. La guerre en Syrie a pour première victime la population civile et dès le début des troubles, celle-ci a été prise pour cible par les autorités. Cela a entraîné des mouvements de population et donc l’apparition de déplacés au sein du pays, et de réfugiés à l’extérieur, au Liban, en Turquie, en Jordanie ou en Irak. En mai 2013, on compte ainsi 1,5 millions de réfugiés syriens. Des dispositifs humanitaires ont alors été mis en place pour répondre au problème avec trois types de structures : les associations syriennes, les structures liées à la diaspora et les organisations internationales travaillant avec ou sans l’aval du régime. Au Liban, deux camps officiels vont voir le jour tandis qu’en Jordanie, c’est déjà le cas. L’Irak accueille les réfugiés essentiellement au Kurdistan. En Turquie, depuis avril 2013, une loi sur le droit d’asile fixe pour la première fois un cadre légal sur la situation des réfugiés. Toutefois, le système a ses défaillances et de nombreux Syriens n’ont pas accès à cette aide. Enfin, le nombre croissant de réfugiés dans les pays voisins fait craindre le risque d’une déstabilisation de ces derniers.

Le dossier suivant, intitulé « dossier Géopolitique », aborde dans un premier temps le thème des ultra-orthodoxes en Israël avec un article de Nicolas Meunier et Juliette Simonin. Les haredim disposent d’un appui politique en Israël avec des partis comme le Foyer Juif. Bien que les haredim soient majoritairement opposés au sionisme, un accord a été établi entre l’État hébreu et ce mouvement en 1947 et depuis, ce dernier a su se saisir du jeu politique et est représenté à la Knesset. Pourtant, les laïques reprochent au mouvement de bénéficier des bienfaits étatiques sans contreparties : en effet, ils étaient dispensés jusqu’en 2012 d’accomplir leur service militaire. En outre, ils sont accusés d’être privilégiés et de toucher trop de prestations sociales. Concernant la politique étrangère d’Israël, les haredim sont traditionnellement éloignés de ces préoccupations mais certains appuient la politique de colonisation en se basant sur le droit biblique. La complexité du mouvement le rend toutefois éparse et l’avènement d’une théocratie est peu probable malgré une projection démographique favorable aux ultra-orthodoxes.

Myriam Ababsa, géographe associée à l’Institut français du Proche-Orient d’Amman, nous livre ensuite une réflexion sur les réformes à l’œuvre en Jordanie. Depuis le Printemps arabe, Abdallah II de Jordanie s’est lancé dans un processus de réformes mais doit composer dans un contexte à l’équilibre précaire. Le « contrat social » jordanien repose sur le fait que les réfugiés palestiniens sont considérés comme pleinement citoyens jordaniens (ils représentent 45 % de la population). Cette situation est rejetée par certains et à l’heure de l’arrivée de réfugiés syriens, et de manifestations pour l’amélioration des conditions de vie, on a pu craindre un écroulement du régime. Des réformes administratives ont ainsi été enclenchées. Soutenue par les puissances occidentales, la Jordanie tente de maintenir sa stabilité malgré des forces conservatrices de plus en plus présentes réclamant la réduction des pouvoir du roi.

Le dernier article du « dossier Géopolitique » traite des relations entre les Émirats arabes unis (EAU) et l’Iran. Ecaterina Cepoi, chercheuse à l’Université nationale de défense Carol Ier, à Bucarest, explique qu’appartenant à un Conseil de Coopération du Golfe pourtant frileux dans ses rapports avec l’Iran, les EAU sont historiquement l’un des premiers partenaires économiques avec la République islamique. Dubaï est l’émirat le plus proche des Iraniens tandis qu’Abou Dhabi, notamment en raison de ses relations avec les États-Unis, voit d’un mauvais œil ce partenariat. Alors que la fracture entre sunnisme et chiisme divise la région, les EAU se positionnent du côté du premier. Entre questions sécuritaires et économiques, les Émirats sont donc obligés de jouer sur plusieurs tableaux.

Le « dossier Géoéconomie » livre un article de Maxime Weigert, doctorant en géographie à l’Institut de recherches et d’études sur le tourisme, portant sur le tourisme au Maghreb après le Printemps arabe. Les événements de 2011 ont fait chuter le tourisme en Tunisie et au Maroc. Dans ces deux pays, l’offre touristique est standardisée et propose un tourisme de masse, que les États promeuvent pour ses vertus économiques. Mais on note également un rejet de ce tourisme « industriel » avec un développement du « tourisme durable » et d’un tourisme Sud/Sud. Désormais, pour les deux États maghrébins, les enjeux sont de sécuriser ce secteur.

Le dernier article de la revue porte sur le graffiti arabe et est écrit par Rana Jarbou, artiste saoudienne. Les slogans se sont échangés entre les différents pays pendant les révoltes du Printemps arabe : de la Tunisie à l’Égypte en passant par la Libye ou la Syrie, on a scandé « el shaab yourid isqat al nizam » (le peuple veut la chute du régime). Ces révoltes populaires ont également colonisés les murs des villes permettant aux manifestants d’exprimer une liberté contenue jusque-là et de rendre aux hommages aux disparus et martyrs. Les graffitis arabes ont ainsi mis en lumière cette idée d’imaginaire politique commun aux peuples arabes.

Publié le 02/09/2013


Valentin Germain est actuellement étudiant au Magistère de Relations Internationales et Action à l’Etranger de l’université Paris 1. Après avoir grandi au Maroc, il a étudié à Paris, notamment avec Nadine Picaudou, Pierre Vermeren et Khadija Mohsen-Finan. Passionné par le monde arabe et la Méditerranée, il a voyagé et vécu en Egypte, en Turquie et au Liban.


 


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