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Retour sur les représentations lunaires dans l’Orient ancien et médiéval à l’occasion de l’exposition proposée au Grand Palais du 3 avril au 22 juillet 2019 : « La Lune : du voyage réel aux voyages imaginaires »

Par Florence Somer
Publié le 15/04/2019 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Mesopotamie. Stele representant le soleil, la lune et l’eau. Inscription cuneiforme. 3000 av. JC. Provenant de Babylone. Musee national iranien, teheran. Iran 153-028010

©PrismaArchivo/Leemage / AFP

La Lune et le temps

Plus douce et plus facilement observable, la Lune offre, par son cycle, un moyen d’établir un calendrier saisonnier et agraire ; elle permet de répondre au besoin fondamental de l’homme de mesurer le temps. Ses phases de 29,5 jours (1), déjà utilisées par les Sumériens, permettent de déterminer les temps de veille, de semages, de récolte et le moment du départ des caravanes ou des campements nomades. Les astronomes se reposent également sur l’étude du cycle lunaire en relation avec celui du soleil pour déterminer l’avènement des éclipses, signes présageant du temps humain par excellence. Ainsi le cycle de Saros, théorisé à la période babylonienne, révèle que la configuration Terre-Lune-Soleil revient à l’identique au bout de 18 ans et 11 jours, permettant de prédire les prochaines occultations d’un astre par l’autre. L’importance des crues du Nil au solstice d’été pousse également les prêtres astronomes égyptiens à se pencher sur l’étude des phases lunaires, lui préférant néanmoins celle du cycle solaire, mathématiquement plus facile à prédire même si l’étude de l’astre lumineux en lui-même s’avère plus compliquée.

Pour faire concorder le cycle lunaire et la révolution solaire autour de la terre, l’astronome athénien Méton (Vème ACN) invente le cycle qui portera son nom, à savoir un espace de 19 ans au terme duquel les lunaisons reviennent au point de départ qui fut le leur. Les premières 12 années sont constituées de 12 mois et le 7 années suivantes, de 13 mois afin de faire coïncider les cycles.

Le cycle lunaire est également utilisé tant en astronomie qu’en astrologie indienne et védique (2) et est composé de 28 (ou 27) Nakshatras, maisons lunaires correspondant à une division de 13°20’ de l’écliptique. Son point de départ se situe, comme celui du calcul de l’année iranienne, à la première étoile du Bélier. Le temps étant le principe de création et de destruction par excellence, présidant à la naissance et la mort de toute chose, la connaissance des états de Lune, qui aide à le quantifier est devenu essentielle à la vie terrestre.

La Lune et les mythes

Des représentations issues de l’Antiquité aux créations imaginée de l’art contemporain, l’astre lunaire accompagne notre représentation de l’inconnu et de l’infini. Pour dompter son image, à la fois omniprésente et lointaine, les Assyro-Babyloniens, les Grecs, Indiens, Persans et Arabes l’ont dotée d’un caractère divin, tout comme les autres astres visibles selon un modèle géocentrique : Vénus, Mars, Vénus, le Soleil, Saturne et Jupiter. Les planètes représentent à la fois les dieux, les démons et leurs mouvements ; elles offrent une clef de compréhension de la magie de l’univers dans lequel nous vivons. Si les autres astres peuvent, notamment dans la tradition mazdéenne, être représentés comme changeants et instruments du principe du mal, la Lune, comme le Soleil, possède des vertus bienfaitrices. Elle est avant tout symbole de fertilité, de fécondité et d’abondance. Elle est représentée par les Sumériens sous la forme d’un taureau, personnification du dieu Sīn ou Nanna, traversant le ciel à bord d’une barque. Le Soleil est son fils et les ziggourāt, dont celle de Our, sont autant d’observatoires astronomiques voués notamment à sa compréhension.

Pour les Grecs, la Lune abrite en ses phases trois divinités : Artémis est celle du croissant ; Séléné, la Lune pleine ; Hécate le nouveau croissant. Le modèle de la perfection du cosmos proposé par Pythagore et Platon, transmis aux astronomes d’Orient, a longtemps fait considérer la Lune comme une sphère parfaite, en réponse à son caractère divin. De même, la théorie de l’excentrique fixe suppose que l’astre lunaire, comme tout autre, possède une trajectoire circulaire autour de la terre. La terre n’occupe pas le centre de l’orbite décrite par les planètes, ce qui explique que la planète apparaît plus ou moins clairement selon la distance qui la sépare de la Terre. Ce mouvement rétrograde des planètes constaté sur un modèle géocentriste (3) a produit des théories permettant de l’imaginer comme celle de l’épicycle.
La Lune est le témoin de la clarté d’esprit, de l’éthique et des pensées pures ; c’est elle qui, la nuit, surprend le voleur ou les actes du malin.

Les cultes monothéistes rejetteront la divinité de la Lune qui protégeait les voyages nocturnes des caravanes, Jéricho, la Lune en hébreu, est le premier site détruit par les Hébreux sortant du mont Sinaï et le Dieu Hubal est proscrit de La Mecque. Par contre, dans d’autres lieux plus reculés, les temples dédiés à la Lune ont survécu plus tardivement comme celui de Harrān (Carrhae) en Turquie.

Avant l’invention du télescope qui a permis des observations lunaires précises au début du XVIIème s., la Lune était à la fois ce lointain réel et cet imaginaire proche et nécessaire. L’épopée de Gilgameš narre son affrontement céleste avec le Dieu Lune. Lucien de Samosate (v.120), le rhéteur satirique syrien, fait de la Lune une parodie terrestre. Dans les Histoires vraies, il est projeté sur la Lune par un ouragan. Sur la Lune, il se fait le compagnon du roi Endymion et le voit battre les Sélénites conduit par le roi Phaéthon. Malgré l’insistance d’Endymion, Lucien ne l’accompagnera pour fonder une nouvelle colonie sur l’étoile du matin et il revient sur la mer terrestre afin de continuer ses voyages. Lucien reprend le voyage lunaire comme thème unique dans l’Icaroménippe ou le voyage au-dessus des nuages où, de la terre à la Lune, il franchit 3 000 stades étalonnés en parasanges (4). Il est l’ami interrogeant Ménippe (5) sur les moyens d’accéder à la Lune, lui qui a conversé avec Zeus.

La lune et les sciences

L’exploration scientifique, de Galilée aux expéditions lunaires du XXe siècle a mené un changement de perspective drastique en permettant d’investiguer le ciel jusqu’en ses planètes les plus lointaines.

Au XIXème s., les récits pseudo-scientifiques ou de sciences-fictions imaginent la vie sur la Lune, sa face ronde qui sourit ou des êtres qui l’occupent. Au XXème s., la course technologique et politique entre les Etats-Unis et l’URSS précipite les voyages vers l’idéal lunaire. On imagine l’émotion des scientifiques qui, pour la première fois, pouvaient contempler, depuis la Lune, leur Terre. Cet astre bleu lumineux et fragile. Devant la beauté de son image, pensaient-ils qu’il faudrait un jour, pas si lointain, se battre pour en préserver la diversité et la richesse ?

La lune et l’art

Dans l’exposition présentée au Grand Palais, les œuvres de Chagall, Man Ray, Dali, Miro, Rodin, Valloton, Morellet, Delvaux,… traitent de la Lune dans tous ses états en tant que personnage central ou témoin privilégié des scènes de vie terrestres diverses illustrant l’amour naissant, les guerres intérieures et extérieures, les interrogations nées des songes ou la mélancolie.

La littérature ou le cinéma s’emparent d’une vie rêvée sur la Lune pour illustrer des revendications sociales et culturelles autres et dénoncer celles qui asservissent ou abrutissent les terriens. Sous prétexte de réflexions pseudo-astronomiques concernant l’astre le plus proche de son habitat, le penseur s’empare de la compréhension des mouvements cycliques de l’astre lunaire pour contester les mouvements jugés normaux, absurdes ou dégradants à l’œuvre dans la société. Sur la Lune, point d’asservissement, de différences sociales flagrantes, de dirigeants vils et indifférents au bien commun. Ou, aux antipodes, la servilité poussée à l’extrême engendre l’ordre social « idéal » car déshumanisé.

Quant aux poètes, la clarté et la forme observable changeante de la Lune leur offrira une inspiration infinie à travers le temps et l’espace.

Pour l’illustrer, ce quatrain de l’astronome Omar Khayyam (1048-1131) :

« Tantôt douce, tantôt amère, c’est la vie.
Peu importe le lieu où notre verre est plein.
Partout la Lune, là où nous buvons du vin,
Sera pleine, en croissant, évidente ou ravie (6) ».

Notes :
(1) 29,5 jours 12 heures 44 minutes et 3 secondes.
(2) Et notamment synthétisé dans le Vedanga Jyotisha.
(3) Hormis Aristarque de Samos (IIIème s. ACN) qui calculera les dimensions de la Terre grâce à la Lune et énoncera le caractère héliocentrique du système solaire, les astronomes grecs ne remettront pas en cause le système géocentrique.
(4) Mesure perse correspondant à 5200 mètres.
(5) Sans doute inspiré du philosophe cynique Ménippe de Sinope ou Ménippe de Gadara, contemporain de Théophraste, qui vécu entre le IVème et le IIIème siècle ACN.
(6) Omar Khayyam : Quatrains, Hâfez : Ballades, poèmes choisis et présentés par Vincent Monteuil, édition bilingue, la Bibliothèque persane, Sindbad, 1983, Paris, p. 82.

Références :
https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/la-lune
https://data.bnf.fr/12262613/lucien_de_samosate_icaromenippe_ou_le_voyage_aerien/
http://www.uoh.fr/front/document/1f6acf6e/4af8/480c/1f6acf6e-4af8-480c-adb3-1627f813f491/index.html
https://www.persee.fr/doc/mom_0151-7015_2006_mel_35_1_2437
https://www.universalis.fr/encyclopedie/geocentrisme/4-l-imbroglio-des-excentriques-et-epicycles/

Publié le 15/04/2019


Florence Somer est docteure en anthropologie et histoire religieuse et chercheuse associée à l’IFEA (Istanbul). Ses domaines de recherche ont pour cadre les études iraniennes, ottomanes et arabes et portent principalement sur l’Histoire transversale des sciences, de la transmission scientifique, de l’astronomie et de l’astrologie.


 


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