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Reportage photo en Afghanistan : dans la mosquée bleue, cœur battant de la stratégique Mazâr-i-Sharif

Par Ines Gil
Publié le 26/10/2022 • modifié le 23/11/2022 • Durée de lecture : 4 minutes

Mosquée bleue, Mazâr-i-Sharif, Afghanistan.

Crédit photo : Ines Gil

Dans le centre de Mazâr-i-Sharif, jusqu’à tard le soir, les rues vivent au rythme des petits commerçants. Le long des artères qui entourent la mosquée, des chariots remplis de fruits charnus font de l’œil aux passants. Ils sont postés devant des petits restaurants de cuisine locale. La fumée des brochettes d’agneau inonde l’espace. Ces bouiboui ne payent pas de mine, mais la viande y est d’une qualité sans égal. A chaque coin de rue, on entend des « clac, clac » résonner dans les airs. Ce sont les vendeurs de glaces -tradition de Mazâr- qui remuent leurs produits sucrés.

En comparaison avec certaines localités du sud et de l’est de l’Afghanistan, Mazâr-i-Sharif, perchée dans le nord du pays, est réputée libérale. Mais comme souvent en Afghanistan, l’espace public appartient aux hommes. Ils sont tous habillés d’un Kurta, le vêtement traditionnel masculin qui cache les formes du corps. Sous la République islamique (2001-2021), certains jeunes portaient des jeans et des tee-shirts, mais depuis l’arrivée des talibans, ils ont troqué la mode connotée ‘’occidentale’’ pour les habits locaux. Même pour les hommes, en Afghanistan, les vêtements sont une affaire politique.

Telles les branches d’une étoile, toutes les artères animées partent de l’extérieur pour rejoindre un point central, le cœur de la ville, la mosquée bleue. L’enceinte des lieux s’étend sur des centaines de mètres carrés. Créant une énergie singulière, la mosquée renforce l’animation de la ville. Pourtant, paradoxalement, une fois passés les murs du lieu de culte majestueux, le temps est suspendu. Le bruit du bazar [le marché] semble lointain. Il n’est plus question d’argent, de commerce, de gourmandises. L’espace appartient à un autre monde.

Crédit photo : Ines Gil

Bijou architectural

Selon une croyance locale, le site renferme l’un des lieux de sépulture réputés de ʿAlī ibn Abī Ṭālib, cousin et gendre du prophète Mohammad. Il comprend une série de cinq bâtiments séparés, le sanctuaire est au centre et la mosquée à l’extrémité ouest pour que les musulmans puissent prier en direction de La Mecque (Arabie saoudite).

Crédit photo : Ines Gil

Selon la légende, il y a plusieurs siècles, un mollah (érudit de l’islam) du Moyen-Orient fait un rêve selon lequel les os de ʿAlī ibn Abī Ṭālib, reposeraient dans ce qui est aujourd’hui le nord de l’Afghanistan. Captivé par cette histoire, Ahmad Sanjar, sultan de l’Empire seldjoukide de 1118 à 1157, construit le sanctuaire d’Ali à l’emplacement de l’actuellle Mazâr-i-Sharif.

Crédit photo : Ines Gil
Crédit photo : Ines Gil

Un siècle plus tard, Genghis Khan fait sa poussée vers l’ouest. Quand il atteint Mazar-i-Sharif, il détruit le sanctuaire. En 1481, le sultan Husayn Mizra reconstruit le site avec une structure grandiose, sous la forme d’une mosquée bleue géante qui a perduré jusqu’à aujourd’hui.

Crédit photo : Ines Gil

Les bâtiments sont entourés de jardins, où les fidèles peuvent flâner ou s’asseoir sur des petits bancs qui parsèment les lieux.

Crédit photo : Ines Gil

Grâce à ses édifices spectaculaires, le lieu attire de nombreux pèlerins venus de tout le pays et de la région, mais aussi des touristes, admiratifs de ce bijou architectural.

Crédit photo : Ines Gil

Sans aucun doute, la mosquée joue un rôle positif pour Mazâr-i-Sharif. Elle favorise le dynamisme économique de la ville, qui jouit déjà de quelques avantages. La province de Balkh est une des régions les plus fertiles d’Afghanistan. Irriguée par la rivière Balkh, Mazar-i-Sharif, sorte d’oasis de verdure au milieu d’un environnement aride, produit du coton, du blé et des fruits.

Une ville stratégique

Durant les vingt années de guerre entre le pouvoir local soutenu par la coalition internationale et les talibans (2001-2021), Mazâr-i-Sharif a été un peu plus épargnée par les combats que le reste du pays. Plutôt acquise au gouvernement central, la ville est restée éloignée du mouvement taliban.

Crédit photo : Ines Gil

Multi-ethnique, elle est habitée par des populations tadjiks, turkmènes et ouzbeks. Mazâr-i-Sharif est connue pour faire preuve d’un certain libéralisme, des artistes et des activistes femmes ayant marqué la localité de leur empreinte.

Son dynamisme économique est aussi favorisé par la proximité avec l’Ouzbékistan. La localité est un point de passage privilégié pour le commerce avec le pays voisin. Historiquement, avant la chute de l’URSS, sa position frontalière avec l’Ouzbékistan soviétique faisait de la province du Balkh, et spécifiquement de sa capitale, un symbole de l’amitié entre Afghans et Soviétiques. Lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS (1979), Mazâr-e-Charif était le principal centre logistique de l’armée rouge. En 1987 et en 1988, deux protocoles de coopération ont été signés entre Balkh et l’Ouzbékistan soviétique, pour une valeur dépassant 1 million de roubles.

Plus tard, dans les années 1990, Mazâr-i-Sharif, « capitale » de la coalition du Nord, résiste rudement à l’avancée des talibans. La prise de la ville par le mouvement fondamentaliste en 1997 marque la mainmise des ‘’étudiants en théologie [1]’’ sur la quasi-totalité du pays [2].

Après le lancement de l’opération Enduring Freedom, la chute de l’Emirat islamique et le départ des talibans en 2001, c’est le général Abdul Rachid Dostom qui règne sur Mazâr-i-Sharif. Ce seigneur de guerre ouzbek, réputé cruel, a reçu son entraînement militaire en URSS dans les années 1980. Il était monté en grade dans l’armée de Najibullah, où il s’était illustré contre les moujahidins [3].

Le 14 août 2021, de nouveau, Mazâr-i-Sharif est une des dernières localités à tomber aux mains des talibans. Le lendemain, le 15 août, ils s’emparent de Kaboul et contrôlent de facto la totalité du pays.

Publié le 26/10/2022


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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