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Réponse du Secrétaire général du Hezbollah au lendemain des explosions qui ont secoué le Liban

Par Yara El Khoury
Publié le 20/09/2024 • modifié le 20/09/2024 • Durée de lecture : 8 minutes

Portrait du Secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah.

AFP

Pour tous ceux qui, pour diverses raisons, attendaient ce discours, le préambule fut long, ce qui, chez le chef du Hezbollah, relève d’un exercice oratoire bien rôdé. Ayant bien pris la mesure de l’importance de chacune de ses apparitions, il ménage ses effets et met de la pompe dans des propos circonstanciés accompagnés de références religieuses. C’est ainsi qu’il adresse de longues félicitations aux musulmans pour le Maouled, la fête de la naissance du Prophète célébrée lundi, et aussi pour la célébration de la naissance de l’un des imams du chiisme duodécimain, Jaafar al-Sâdiq. De même, il prononce un éloge funèbre à la mémoire d’un érudit chiite pour le quarantième de son décès.

Puis dans le souci de clarté et de pédagogie qui le caractérise, il annonce une structure de discours en trois parties. Il aborde d’abord l’aspect humain et éthique de la vague d’explosions, remerciant l’État libanais et l’ensemble du secteur de la santé au Liban pour la promptitude et l’efficacité avec laquelle les blessés ont été pris en charge. Il salue la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge libanais, et aussi la réaction de la population civile libanaise, toutes communautés confondues et les leaders qui les représentent, qui ont fait taire toutes leurs dissensions pour afficher – du moins en apparence – une unité nationale d’autant plus précieuse pour lui qu’elle était totalement inespérée. Outre les gouvernements étrangers qui ont condamné les explosions et exprimé leur sympathie, il a remercié en particulier l’Irak, l’Iran qui a affrété des avions pour transporter des blessés au nombre desquels se trouvait son propre ambassadeur à Beyrouth, et la Syrie qui a accueilli des blessés dans les hôpitaux de Damas.

Sur le plan éthique, il a souligné le fait qu’Israël « a franchi les bornes et a dérogé aux règles non dites du conflit », en mettant en danger de manière délibérée des milliers de civils libanais, car les porteurs de bipeurs évoluaient au milieu de la population civile, et ils ont été touchés alors qu’ils se trouvaient dans la rue, dans des commerces et même des hôpitaux. Il prête à Israël la supposition qu’il existe près de 4 000 bipeurs utilisés par des membres du Hezbollah. Son intention était donc de tuer 4 000 personnes en une minute et de manière simultanée. Et si l’on combine les effets des deux opérations, l’intention était de tuer pas moins de 5 000 personnes. Il parle de « massacre » pour qualifier ce qu’il s’est passé, une vraie déclaration de guerre contre le peuple libanais. Beaucoup de bipeurs étaient éteints, ou loin de leurs propriétaires, ou ils ne leur avaient pas encore été distribués. Un peu plus loin dans le discours, il laisse entendre que les appareils qui ont explosés étaient anciens, les modèles nouveaux étant partis ailleurs, sans plus de précisions. Sans cela, et « sans l’intervention divine », le bilan humain aurait été, selon lui, bien plus lourd.

Passant au point suivant de son propos, il reconnaît que sa formation a été « victime d’une attaque d’ampleur inédite ». Venant de lui, l’annonce ne manque pas d’impressionner, mais il s’empresse de la relativiser quelque peu. Pour lui, le Hezbollah et les organisations qui tournent dans son orbite reconnaissent la supériorité technologique de l’État d’Israël qui bénéficie du soutien et du savoir-faire du monde occidental, et « ils savent très bien qu’ils se battent contre lui à armes inégales ». Et pourtant, bien que la frappe ait été importante et très dure, elle n’en relève pas moins de la logique de la guerre, où les belligérants peuvent subir tour à tour des retournements de fortune. Il annonce que des comités d’enquête ont été formés, et que les experts du Hezbollah tentent de remonter la filière de fabrication et d’acheminement des appareils. Il n’évoque aucune des pistes que les enquêtes menées par certains grands médias ont permis d’identifier dans les heures qui ont suivi les attaques, comme les sociétés taïwanaise et hongroise qui fabriquent des bipeurs. La volonté de ne pas communiquer sur ce sujet est claire, tout comme il est très probable qu’il faudra un certain temps aux enquêteurs du Hezbollah avant qu’ils ne soient en mesure de déterminer avec précision le modus operandi que ce qu’il s’est passé et qui a laissé pantois les plus chevronnés parmi les experts en opérations d’espionnage. Il est clair que l’enquête et ses conclusions revêtent une grande importance, mais il n’en demeure pas moins que, pour lui, l’opération ne peut venir que d’Israël, et en particulier du Mossad, une opinion qui fait une quasi-unanimité à travers le monde par ailleurs. Les raisons pour lesquelles Israël a mené une opération aussi spectaculaire relèvent, selon Nasrallah, des revers que l’Etat hébreu est en train de subir sur le front nord, décrété par le Hezbollah front de soutien à Gaza dès le lendemain des attaques du 7 octobre, afin d’alléger la pression sur Gaza et forcer Israël à répartir ses troupes entre plusieurs fronts, dont celui du Liban. Par son action, Israël a selon lui donné la preuve de l’efficacité de ce front, et donc de la justesse de la stratégie du Hezbollah menée en coordination avec l’Iran, l’Irak et les Houthis du Yémen, afin d’avoir en main toutes les cartes dont ils pourraient se servir lors des négociations qui visent à arrêter l’offensive israélienne sur Gaza.

Le troisième et dernier point du discours est sans doute celui qui était le plus attendu par tous ceux qui s’interrogent sur la suite des événements. Hassan Nasrallah annonce sans ambages que cette attaque, aussi impressionnante soit-elle, n’a pas détruit les capacités de frappe ni la détermination de son parti, qui en sort renforcé et prêt à en tirer les leçons. En dépit des opérations qui se succèdent à un rythme soutenu depuis près d’un an, et qui ont coûté la vie à des centaines de combattants du Hezbollah et nombre de commandants de haut rang, la milice conserverait ainsi une structure de commandement intacte, et elle affiche une détermination inchangée. Son chef estime qu’Israël fait preuve d’une « forte méconnaissance » de la nature du milieu dans lequel vit le Hezbollah. Son objectif de dissocier le front libanais de celui de Gaza et de forcer le Hezbollah à arrêter ses opérations est voué à l’échec, et ce à la demande des combattants eux-mêmes, des blessés et de leurs familles. Au sujet de ces derniers, il dit que les slogans de revanche qui accompagnent les funérailles des « martyrs » l’émeuvent au plus haut point et l’obligent, et c’est en leur nom qu’il poursuit la lutte jusqu’à ce que l’offensive sur Gaza s’arrête. Car il ne s’agit pas d’une guerre à outrance ; Hassan Nasrallah en connaît bien les contours, il est conscient de l’infériorité d’une formation comme la sienne qui reste au demeurant une guérilla et qui agit en conséquence, misant sur le temps et l’affaiblissement des ressources de son puissant adversaire afin de le faire plier. Il parle d’une lutte de longue durée, des semaines, voire des années. Il est clair que le précédent du 25 mai 2000 qui a vu les troupes israéliennes se retirer de la zone de sécurité qu’elles contrôlaient depuis 1985 dans le sud du Liban le conforte clairement dans ce choix qu’il qualifie de « jihadiste et politique ».

Quant aux projets du gouvernement de Benyamin Netanyahu de transposer le combat de Gaza vers le nord d’Israël, avec pour objectif de ramener les populations de cette région chez elles, aux frontières avec le Liban, Hassan Nasrallah doute de la capacité d’Israël à les réaliser. Il met les dirigeants israéliens au défi de pouvoir le faire et il martèle que le seul moyen de ramener les habitants du nord d’Israël chez eux est d’arrêter la guerre contre Gaza et la Cisjordanie. Les opérations et les assassinats ciblés ne vont pas permettre à Israël d’atteindre ses objectifs. Quant à l’idée de recréer une ceinture de sécurité dans le sud du Liban, il l’appelle de ses vœux. Il brandit la menace qu’une invasion israélienne du Liban avec l’établissement d’une zone de sécurité ne va pas empêcher ses hommes de continuer à cibler les soldats israéliens et leurs chars sur le territoire israélien, par-delà ladite zone de sécurité. La ceinture de sécurité établie en 1978 et renforcée à partir de 1982 avait permis selon lui de circonscrire la lutte à la zone occupée en épargnant le nord d’Israël. Les combats se passaient sur le territoire libanais afin de libérer les régions occupées en forçant les troupes israéliennes à s’en retirer, ce qu’elles ont fini par faire le 25 mai 2000. Après 1992, à chaque fois que les populations du sud du Liban étaient visées, les combattants de la « résistance islamique » ciblaient de manière ponctuelle les colonies du nord d’Israël. Cette fois-ci, cela va être différent selon Hassan Nasrallah. Il promet que la ceinture de sécurité va se transformer en véritable bourbier pour l’armée israélienne, sans que cela ne lève la menace qui pèse sur les régions du nord d’Israël et il affirme que les dirigeants d’Israël sont en train de conduire leur pays à la catastrophe. In fine, il y aura une riposte, juste et dure, mais il choisit de ne pas en annoncer la date ni la forme qu’elle pourrait prendre. Tout ce qu’il consent à dire est qu’elle sera préparée dans le plus grand secret, au sein du cercle le plus restreint du Hezbollah.

S’il s’est félicité de l’union nationale réalisée au Liban à la suite des explosions massives qui ont touché de larges portions du territoire et qu’aucune voix discordante ne se soit démarquée, il dit avoir bon espoir que cette concorde nationale subsiste. Or, rien n’est moins sûr. L’élan de compassion exprimé au Liban à l’égard des victimes peut vite s’étioler, et il est probablement en grande partie entamé par les annonces qui ont été faites. Alors que le pouvoir libanais officiel réclame un règlement sur la base de la mise en application de la résolution 1701 du Conseil de Sécurité, ce qui revient à dissocier le front libanais de celui de Gaza, le patron du Hezbollah est loin de partager cet avis. Pour lui, un tel arrangement reviendrait à laisser Gaza à son sort et rendrait caducs tous les sacrifices consentis par le Hezbollah depuis près d’un an. Ne reste plus alors que la sombre perspective d’une guerre qui va continuer à épuiser les résidus de ressources dans un Liban déjà dévasté par une crise économique sans précédent et l’effondrement de son système bancaire, auxquels s’ajoutent les défis posés par la présence incontrôlée de réfugiés syriens et une vacance presque généralisée au sommet du pouvoir. Si le secteur de la santé a tenu bon cette fois-ci, et que les professionnels de la santé ont encore fait preuve de leurs capacités admirables, rien ne permet de prédire de leur solidité si la guerre venait à s’élargir. Et s’il est permis de penser que le Premier ministre israélien et son équipe entraînent leur pays vers une catastrophe, le Liban court aussi vers la catastrophe, au grand dam d’une population épuisée qui se sent totalement impuissante.

Publié le 20/09/2024


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


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