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« L’extraordinaire voyage d’un botaniste en Perse », voici une histoire tout à fait surprenante. Le travail de l’auteur de l’ouvrage, Régis Pluchet, débute en 2002 alors que l’André Michaux International Society organise un colloque en Amérique à l’occasion du bicentenaire du décès du botaniste français André Michaux (mars 1746 - octobre 1802). Au service de la monarchie française, l’homme part pour la Perse afin de fleurir les jardins royaux. Joignant dès lors un penchant pour la botanique, sans doute hérité de son ancêtre, un goût du voyage, une ancienne carrière journalistique et une soif historique, Régis Pluchet s’embarque également dans cette extraordinaire épopée. Le récit de Régis Pluchet est en effet à bien des égards envoutant.
Mêlant véracité historique et allégorie fictive, l’auteur narre l’aventure d’André Michaux en s’appuyant sur plusieurs sources. L’ouvrage est ainsi inspiré directement du Journal de mon voyage en Perse, écrit par André Michaux et de la seule étude effectuée à propos de ce voyage : le Voyage d’André Michaux, en Syrie et en Perse (1783-1785) (rédigé l’André Michaux International Society). L’auteur s’appuie également sur les informations relatives au Consul Rousseau, compagnon de voyage de notre herboriste et par ailleurs parent du célèbre philosophe français, et sur des récits de voyageurs de l’époque, comme par exemple les « Observations faites en Syrie et à Bagdad » extraites du Journal des savants de Joseph de Beauchamp, ayant également vécu vers la fin du XVIIIème siècle. Enfin André Michaux lui même se réfère à ses contemporains ou prédécesseurs pour la description des lieux traversés, comme par exemple pour Alep où il invite le lecteur de ses carnets de voyages personnels à se référer à l’Ecossais Alexander Russell et son Histoire naturelle d’Alep et des environs. Les compagnons de voyage de l’herboriste se voient également donner la parole.
Régis Pluchet plonge in media res le lecteur dans l’univers de la cours de Versailles au XVIIIème siècle, alors que Marie-Antoinette et Louis XVI sont sur le trône de France. Dans le contexte occidental de la guerre d’indépendance américaine (1775-1783) ayant provoqué des conflits intra-européens, Marie-Antoinette souhaite raviver l’allure de ses jardins, ceux du château de Versailles ainsi que ceux du petit Trianon. Parallèlement, le récit immerge l’anagnoste au coeur du monde oriental sur lequel règne la dynastie des Ottomans. C’est l’époque des capitulations, des fructueux échanges commerciaux entre les mondes occidental et oriental, comme en témoignent les initiatives de quelques explorateurs en quêtes de raretés végétales et animales. André Michaux est l’un d’entre eux. Il est né en 1746 près de Versailles. Fils héritier d’un laboureur et fermier au service du roi, André Michaux obtient son brevet de botaniste et de correspondant du Jardin royal des Plantes. C’est à ce titre que 2 février 1782 il quitte Paris jusqu’à Marseille pour entamer son voyage en Perse.
Itinéraire d’André Michaux en Syrie, Mésopotamie et Perse (étapes majeures : Alexandrette, Alep, Bagdad, Bassora, Bouchehr, Chiraz, Ispahan, Hamadan, Qazvin)
bleu ciel : aller ; bleu foncé : retour
Le récit suit chronologiquement les différentes étapes de son voyage ainsi que ses observations sur la flore, mais également la faune des régions traversées. André Michaux « chasse et herborise ». Lors des premiers pas de son personnage au Levant, Régis Pluchet cite ce dernier : « Je ne puis exprimer le plaisir que je me promettais alors en mettant pour la première fois le pieds et voyant la campagne, les collines et les montagnes couvertes de verdure et dans la plus belle saison pour herboriser ». Après une courte étape à Alexandrette, le botaniste voyage jusqu’à Alep où il séjourne environ six mois. André Michaux souligne le rôle de carrefour commercial de la ville, témoigne de sa situation politique au mains des pachas, mentionne également son climat religieux, mais surtout chasse et herborise, envoyant en France quelques trouvailles, comme « des oignons de différentes liliacées, dont les colchiques qui fleurissent ici au printemps, alors qu’en France il fleurissent à l’automne. » Le voyage jusqu’à Bagdad se fait en caravane. Les préparatifs pour le départ de celle-ci sont longs. Il faut en effet réunir assez de voyageurs et surtout un conducteur qui saura assurer un voyage calme en évitant les Arabes qui dépouillent « dans les plaines » et les Kurdes « dans les montagnes ». André Michaux traverse alors la Syrie, ses déserts mais également ses sites archéologiques antiques qu’il surnomme les « villages morts ». A cet égard, l’auteur souligne pour sa part que ces sites ont été classés au patrimoine mondial de l’UNESCO mais figurent désormais sur la liste du patrimoine classé en périls.
Partie en septembre d’Alep, la caravane arrive fin novembre 1785 à Bagdad. Le récit relate avec précision l’ambiance générale de la ville, les couleurs des vêtements, l’allure des femmes qui se « voilent dans les rues que pour la forme et souvent s’en dispensent. Elles portent un anneau d’or à l’une des narines ». La température est également précisée, ainsi que les alentours de la ville. En outre, notre botaniste a la chance de visiter « Nimrod » située à quelques kilomètres de Bagdad.
Une fois arrivés à Bassora, André Michaux et ses compagnons de route découvrent les tensions déjà existantes entre les différentes populations autour du fleuve du Chatt-el-Arab, et sont par la suite capturés par « les Arabes ». Après les négociations, André Michaux peut reprendre son voyage, direction la Perse.
Le botaniste et sa caravane entrent dans Chiraz, la ville des poètes mais également « l’une des villes qui cultive l’art des jardins persans, censés préfigurer ceux du paradis ». André Michaux s’étonne devant l’importance du réseau de canaux qui permet l’irrigation des jardins, ainsi que du raisin « parce qu’il était sans pépin ». Là encore le botaniste découvre les sites antiques, dont le palais de Persepolis brulé lors de la conquête d’Alexandre Le Grand. Comme pour Bagdad, le lecteur est ainsi baigné dans l’atmosphère des villes perses, des odeurs, des couleurs, des événements et drames politiques : l’Iran est en effet déjà convoité par l’Occident.
Ainsi, le récit mêle harmonieusement à la fois la visite de la Perse, le ressenti du personnage ainsi que la fiction dorée et les remarques historiques de l’auteur. De plus, d’un point de vue botanique, l’ouvrage identifie les découvertes d’André Michaux. En effet, c’est par exemple « sur la plus haute montagne entre Chiraz et Ispahan » que le botaniste découvre « un petit rosier à l’odeur très agréable et portant des feuilles munies de redoutables aiguillons, mais donnant de très belles fleurs jaunes rehaussées d’un point rouge vif à la base », se nommant Rosa Monophylla, puis plus tard renommée Rosa simplicifolia ou Rosa persica Michaux.
Puis c’est le chemin du retour. Lors de son arrivée à Paris, André Michaux est accompagné de « deux demoiselles de Numidie, des oiseaux qui abondent aux rives du Tigre et de l’Euphrate », qu’il offre en cadeau au frère du roi, grâce auquel il a obtenu le financement de son voyage. André Michaux aurait rapporté environ quatre cents espèces nouvelles de plantes, en herbier, en graine, en terre… de son voyage en Perse. Il fournit également les consignes et conseils pour apprivoiser ces plantes orientales. Outre les plantes, André Michaux a rapporté son voyage des animaux, mais également des matériaux archéologiques « des copies d’inscriptions anciennes, des médailles, des pierres précieuses, […] des manuscrits »… Reconnaissant, le roi Louis XVI lui offre un brevet qui fait de lui le botaniste du roi de France, et lui alloue des subventions pour ses travaux. Revenus en France trop tard pour s’embarquer avec La Pérouse pour faire le tour du monde, et dépendant malgré lui des « événements politiques », c’est-à-dire de l’indépendance des Etats-Unis, André Michaux s’embarque pour l’Amérique. En effet, « désireux de neutraliser en France des arbres forestiers d’Amérique du Nord, [le frère du roi] proposa de m’envoyer dans cette partie du monde. » Dès lors, « trois mois après mon retour d’Asie, j’embarquais pour l’Amérique ».
Ainsi s’achève l’« extraordinaire voyage d’un botaniste en perse ». Cependant, le travail d’André Michaux a perduré et perdure encore de nos jours : son fils, François-André Michaux, reprend son travail en Amérique du Nord après sa mort à Madagascar où il avait créé un jardin botanique. De plus, ayant rapporté une abondance de graines et de plantes, certaines espèces poussent encore chez nous comme la Michauxia ou l’orme du Caucase. Ainsi, son héritage est infiniment précieux. De façon symbolique, la Rosa persica Michaux subsiste et lui rend hommage.
Régis Pluchet, L’extraordinaire voyage d’un botaniste en Perse, André Michaux 1782-1785, Paris, Privat, 2014.
Louise Plun
Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.
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