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Raphaël Millet est critique de cinéma, mais aussi producteur et réalisateur. Il a beaucoup travaillé sur le cinéma de la Méditerranée et d’Asie, et publie en 2017 aux éditions libanaises Rawiya un ouvrage bilingue (français/anglais) consacré à l’histoire du cinéma au Liban. Son étude remonte aux origines du cinéma au Liban, et met en lumière les liens qui tissent la cinématographie arabe à la cinématographie égyptienne, rendant ainsi hommage aux grandes productrices libanaises en Égypte dans les années 1930, comme aux cinéastes les plus récents de l’industrie, encore « bancale », du pays du Cèdre.
Il existe peu d’ouvrage qui retracent l’histoire du cinéma libanais. Après la publication – incontournable, car rare en son genre – de Hady Zaccak en 1996 (Le Cinéma libanais, Beyrouth, Dar el-Mashreq), peu nombreux sont les ouvrages qui ont tenté de dresser un panorama complet de la cinématographie libanaise depuis ses origines. Quelques ouvrages en arabes (comme ceux du critique Ibrahim al-Ariss) ont tenté l’écriture d’histoires du cinéma libanais, mais n’étaient pas accessibles aux non-arabophones ; depuis, les ouvrages s’intéressent principalement au cinéma de l’après-guerre civile (Élie Yazbek, Regards sur le cinéma libanais (1990-2010), Paris, L’Harmattan, 2012 ; Dima el-Horr, Mélancolie libanaise. Le cinéma après la guerre civile, Paris, L’Harmattan, 2016).
Le mérite de Raphaël Millet est de revenir aux origines du cinéma libanais et de s’attacher à rendre leur place dans l’histoire du cinéma à tous les cinéastes, « auteurs » ou populaires, qui ont fait le cinéma libanais.
Le livre, préfacé par l’écrivain et critique de cinéma libanais Walid Chmait, est enrichi par de nombreuses illustrations (souvent remarquables, à l’image de cette série de tickets de cinéma collectionnés depuis le début des années 1950) et d’entretiens menés avec des réalisateurs, des producteurs, des distributeurs.
Les premiers films tournés au Liban le furent en 1887 par Alexandre Promio pour le compte des Frères Lumière (1). On y voit des scènes de la vie courante dans le Beyrouth de l’époque, les hommes portant le tarbouche et les commerçants traversant à dos de chevaux les places publiques. Ce sont ensuite les films d’actualités de Gaumont ou de Pathé qui offrent des images de la ville phénicienne, avant que les réalisateurs locaux ne s’emparent de ces paysages urbains et ruraux pour en faire le cadre de leurs propres films – même si le « pionnier » du cinéma libanais est encore un Italien, Giordano Pidutti. Chauffeur de la famille Sursock, il est le premier à avoir produit, avec Les Aventures d’Élias Mabrouk (1930) et Les Aventures d’Abou el-Abed (1932), les premiers longs-métrages muets locaux.
Raphaël Millet s’attarde aussi sur la connexion égypto-libanaise au temps du muet, les Libanais, « levantins », ayant joué un rôle essentiel dans l’essor de l’industrie du cinéma égyptien, comme dans le théâtre quelques décennies auparavant. Très rapidement s’imposèrent au cœur de l’industrie des productrices venues au Caire depuis le Liban, à l’image d’Assia Dagher, née Almaza Dagher dans les montagnes de Tannourine dans une famille de maronites libanais. Elle fit en Égypte ses premiers pas en tant qu’actrice, et devint rapidement avec ses sociétés Al-Film al-Arabi et Lotus Film l’une des productrices les plus influentes de l’industrie, produisant Henry Barakat et Youssef Chahine. Sa nièce, Mary Queeny, la rejoint au Caire et fut l’égérie de nombre de ses films.
Le premier réalisateur libanais d’un film libanais fut Ali Al-Ariss, qui réalisa son film La Vendeuse de fleurs (Bayya’et al-Ward) entre 1940 et 1943. Les difficultés engendrées par les évolutions de la Seconde Guerre mondiale empêcha le film d’être achevé, mais Al-Ariss s’engagea rapidement dans la réalisation d’un autre film, Kawab, princesse du désert (Kawab ‘Amirat as-Sahra) en 1946. Bien qu’il ne reste aucune copie de ces films, ils sont dans l’histoire du cinéma libanais comme des films pionniers.
Les premiers films de studios réalisés au Liban étant généralement considérés comme de mauvaises copies de l’industrie égyptienne, l’étude du cinéma libanais porte habituellement sur ce qui fut baptisé le « nouveau cinéma libanais », né de la situation instable des années 1970 et d’une nouvelle génération d’artistes partis faire leurs études à Paris. Pour Raphaël Millet, il est important de s’attarder aussi sur ce qu’il appelle « l’âge d’or du cinéma libanais », un cinéma de studio qui émerge dans les années 1950 après l’indépendance du pays en 1946. Les années 1950 furent aussi celles de l’émergence de nombreux festivals internationaux – notamment le célèbre festival de Baalbeck. Cette effervescence culturelle s’est traduite dans le milieu du cinéma par le développement des studios. Raphaël Millet avance donc l’idée de la naissance d’un véritable « cinéma national » porté par une « véritable industrie » pendant presque vingt ans, de 1957 au déclenchement de la guerre civile en 1975 (p. 79). Il cite Georges Sadoul, qui présentait le Liban comme un « pays surdéveloppé » en termes de fréquentation cinématographique, Beyrouth étant devenue une plateforme de distribution incontournable pour les majors internationales. Il cite les films des frères Badrakhan, de Georges Kahi, du prolifique Mohamed Melmane ou de Georges Nasser, qui avec Illa Ayn (Vers l’inconnu) porta le premier film libanais de l’histoire au festival de Cannes en 1957.
Il s’intéresse ensuite aux films réalisés en réaction contre la défaite israélienne, en faveur des fedayin palestiniens et de la résistance (Christian Ghazi, Gary Garabedian, Rida Myassar), à la génération de l’avant-guerre civile (Rméo Lahoud, Georges Chamchoum, Samir Khoury) puis à la génération ayant commencé à filmer durant la guerre civile (Borhane Alaouié, Maroun Bagdadi, Jocelyne Saab, Randa Chahal Sabbag, Heiny Srour), plus connue car plus étudiée.
Au lendemain de la guerre, on assiste à ce que Raphaël Millet baptise « l’art du renouveau » : une nouvelle génération de cinéastes face à Beyrouth en ruines, qui tente de recomposer avec un pays qui s’est effondré sous leurs yeux d’enfants. C’est l’époque aussi où s’ouvrent les premières écoles de cinéma dans le pays, enjoignant une nouvelle jeunesse à s’emparer des images. Il évoque ainsi le travail de Philippe Aractingi, de Danielle Arbid, de Danielle Labaki, de Ziad Doueiri mais aussi de Mohamad Soueid, de Jean-Claude Codsi, d’Akram Zaatari, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, de Samir Habchi, de Ghassan Salhab, de Eliane Raheb et bien d’autres.
Même s’il propose quelques analyses esthétiques des films qu’il présente, Raphaël Millet concentre son étude sur l’écriture d’une histoire également politique et économique du cinéma libanais. Il s’intéresse au rôle des exploitants, retrace l’histoire des célèbres ciné-clubs qui firent entrer au Liban les grands films de la cinéphilie occidentale. Il met en avant la question de la production et de la distribution des films, ce qui lui permet d’ouvrir son propos au rôle qu’ont tenu les Libanais dans d’autres industries cinématographiques (notamment l’industrie égyptienne, où s’illustrèrent de grandes figures libanaises comme Assia Dagher, productrice majeure de l’industrie du cinéma égyptien des années 1930 aux années 1950, née au début du XXe siècle dans les montagnes libanaises). Il s’intéresse aussi aux films tournés au Liban par des cinéastes d’ailleurs : des Égyptiens comme Henri Barakat, qui, fuyant le régime de Nasser au milieu des années 1950, a réalisé au Liban un film comme Safar Barlek (1966), mais aussi des internationaux, comme Jean Epstein, qui tourna en 1933 à Beyrouth La Châtelaine du Liban, Guy Hamilton, qui tourna au Liban au lendemain du premier choc pétrolier de 1973 un James Bond avec Roger Moore, L’Homme au pistolet d’or (1973), ou encore Volker Schlöndorff, qui réalisa en pleine guerre civile Le Faussaire (1981) – sur lequel travaillèrent d’ailleurs de nombreux Libanais, qui poursuivirent par la suite leur carrière dans le cinéma, à l’image de Jocelyne Saab qui fut son assistante sur le plateau. Il évoque aussi le film que le réalisateur algérien Merzak Allouache réalisa en 1998, Alger-Beyrouth pour mémoire, signe, lui aussi, d’un renouveau du cinéma dans le pays au lendemain des conflits.
L’ouvrage de Raphaël Millet cherche à proposer une histoire complète, tant du point de vue de l’histoire de la production, de la distribution, qu’en termes esthétiques et thématiques, de ce que fut l’histoire du cinéma au Liban. Résultat d’un travail de longue haleine, Le Cinéma au Liban propose une synthèse importante pour les amateurs du cinéma mondial.
Raphaël Millet, Le cinéma au Liban / Cinema in Lebanon, Beyrouth, Rawiya, 2017, 464 pages.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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