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Portrait de Bachar Mar-Khalifé, musicien franco-libanais

Par Bachar Mar-Khalifé, Mathilde Rouxel
Publié le 04/01/2021 • modifié le 04/01/2021 • Durée de lecture : 5 minutes

Bachar Mar-Khalifé

Crédits : Charbel Abi Semaan

Quel a été votre parcours ?

J’ai grandi dans une famille de musiciens. J’ai commencé le piano un peu avant 6 ans, alors que nous étions encore à Beyrouth. J’ai pris quelques cours particuliers. En 1989, nous sommes arrivés en France. Je suis entré au conservatoire de piano à Boulogne Billancourt, tout en suivant parallèlement mon père dans ses voyages pour ses concerts. Au fil de ceux-ci, je me suis pris de passion pour les percussionnistes. Je passais beaucoup de temps avec eux dans les loges, fasciné par ce mode de vie et ces instruments. Je me suis alors inscrit en classe de percussion au conservatoire - sauf qu’il ne s’agissait pas du tout des mêmes instruments, puisque ce sont les percussions d’orchestre classiques qui sont enseignées au conservatoire. J’en ai été un peu surpris, mais cela m’a aussi beaucoup plu. J’ai ainsi continué le piano et la percussion. J’ai reçu mes prix à Boulogne à 16 ans, puis j’ai un peu abandonné le piano pour entrer au CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique) à Paris en percussion.

À partir de ce moment-là, j’ai commencé à être très souvent en tournée en concert. Cela m’a appris beaucoup de choses sur la musique. J’ai commencé assez tôt à jouer dans des groupes aux influences variées, de la musique traditionnelle, contemporaine ou jazz. La vie de musicien est vouée à la rencontre avec d’autres artistes, et ce fut pour moi une étape importante de mon apprentissage.

Pourriez-vous revenir rapidement sur votre carrière d’artiste solo ?

Le déclencheur de ma carrière d’artiste solo a été la sortie de mon premier album en 2010. J’avais composé seul chez moi quelques chansons. Je n’avais pas alors l’ambition de les sortir. Le hasard a fait que je suis finalement allé en studio pour les enregistrer ; ce que je ne voulais être qu’une maquette à l’origine est finalement sorti en tant qu’album.
J’ai accepté de sortir l’album mais je ne souhaitais pas forcément faire de concerts ni d’entretiens avec la presse. Je voulais continuer ma vie de musicien. C’est au fur et à mesure que j’ai appris à prendre le rythme et à sentir que ce sont mes chansons qui allaient devenir ma priorité.
Je viens de sortir mon 5e album. Cela fait dix ans que, de concert en concert, je rencontre un public qui nous « complète » : en effet, lorsque les gens écoutent la musique, on a des réponses, en quelque sorte, à ces questions un peu existentielles.

Pourriez-vous nous parler de votre engagement dans votre art ?

L’élément essentiel de la musique – qui prend tout son sens dans des périodes comme la nôtre aujourd’hui où domine la distanciation – est le lien qu’elle crée avec les autres. La musique est pour moi comme une excuse pour aller vers les autres. La musique a ce côté magique ; on ne sait pas, en tant que musicien, qui va écouter ce qu’on crée ni dans quelles conditions : la musique fait son chemin toute seule. Elle arrive aux gens qu’il faut au bon moment. Je pense qu’il est primordial de préserver ce lien.

Je ne sais si au départ de la création, on peut avoir une vision très claire de ce qu’on cherche. Au fur et à mesure des années et des expériences, je sais de plus en plus pourquoi j’ai choisi la musique. Elle m’a offert ma liberté ; jouer, c’est comme avoir décidé de vivre libre. C’est une décision que j’ai prise.

Quel est votre rapport à la musique arabe ?

J’y ai un rapport complexe, comme pour chaque période de la musique. Je ne réfléchis pas la musique en termes de catégories géographiques mais la ressens plutôt en fonction de ce à quoi cela me renvoie dans la vie. La musique libanaise me renvoie à ma famille, à mon enfance, à l’amour que j’ai pour ce pays. Elle me rappelle une joie de vivre dans un rapport qui est très familial, très naturel. Certains souvenirs me viennent à l’esprit, je pense par exemple à ma mère qui chante toute la journée en préparant le café.

En revanche, la musique arabe classique, d’excellence, est arrivée plus tard. Très jeune, je n’écoutais pas Oum Kalthoum – on doit apprendre à l’écouter. Sa musique est le référent d’une culture qui nécessite une éducation. C’est comme le jazz : plus on est éduqué jeune à ce genre de musique, plus facilement on y a accès. Je pense toutefois que tout le monde a accès à cette musique savante arabe – ce n’est pas parce que je suis né à Beyrouth que je peux écouter mieux cette musique. Voilà le rapport que j’entretiens par rapport à cette musique, qui était la première.

Vous avez enregistré cet album au Liban, en décembre 2019. Que représente-t-il pour vous ?

J’ai effectivement enregistré mon dernier album au nord de Beyrouth, dans la montagne. Le pays était dans la rue depuis deux mois déjà. Il y avait beaucoup d’énergie. Tout était concentré vers les lendemains. C’était très galvanisant de voir tous ces gens se rassembler – c’est une chose qui arrive rarement au Liban.

Nous avions prévu d’aller enregistrer l’album au Liban bien avant le soulèvement. Quand les événements ont débuté, nous nous sommes interrogés sur la pertinence ou non d’y aller. Je venais avec des amis de France, et je me sentais responsable de les ramener à leurs familles.
On a tous tenu bon, et aujourd’hui, avec le recul, je pense qu’on a eu beaucoup de chance de le faire : le monde s’est fermé juste après (en raison de la pandémie de coronavirus, NDLR).

Au Liban, nous avons vécu un peu loin des mobilisations, étant dans un village à la montagne. Mais en allant tous les jours acheter le pain à l’épicerie, nous constations que les prix grimpaient ; il y avait une ambiance d’effondrement tout autour de nous.

La musique doit faire partie de notre réalité. Même si on transforme beaucoup de choses, la musique naît de quelque part. Mon souhait d’enregistrer cet album dans cette maison venait aussi d’une histoire à raconter. Il était important pour moi d’avoir l’âme de cette maison et de ne pas être en studio. Nous n’avions pas les mêmes moyens techniques qu’en studio, et avons été confrontés aux problèmes d’électricité qui se coupe régulièrement, le citerne d’eau qu’il faut remplir pour se laver les mains, etc.

Pouvez-vous revenir sur un souvenir de votre carrière qui compte pour vous ?

Je souhaiterai raconter le moment que j’ai vécu juste avant de monter sur scène pour la première fois en solo pour chanter mes propres chansons. C’était en 2011 à la Gaîté Lyrique.
Je m’étais habillé dans la loge et j’attendais le coup d’envoi pour jouer pour la première fois mes chansons. Je n’avais jamais chanté devant un public. Je me suis demandé ce que je faisais là, je regrettais l’idée absurde d’avoir dit oui à ce projet fou : je ne suis pas chanteur, et je suis trop timide.
J’avais toutefois un peu anticipé cet état : pendant la balance j’avais tourné le piano, j’étais presque dos au public. Ça m’a sauvé. J’ai fait mon concert tout seul dans ma tête, mais après chaque morceau, les gens applaudissaient. J’ai compris que la musique n’existe pas seule dans sa tête, elle existe à partir du moment où les gens l’écoutent. C’était une nouvelle leçon.

Publié le 04/01/2021


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


Bachar Mar-Khalifé, venu en France à six ans avec sa famille dans les années 1980, est le fils de Marcel Khalifé, chanteur libanais, poète et joueur de Oud. Toute son enfance comme son adolescence ont baigné dans la musique : le piano, le jazz, le hip-hop, les percussions et le répertoire traditionnel libanais, notamment lié aux poèmes du Palestinien Mahmoud Darwich. Bachar Mar-Khalifé travaille avec le chef Lorin Maazel ou la chanteuse Jeanne Cherhal avec qui il se produit à la Cité de la musique en novembre 2017 dans un hommage à Barbara.


 


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