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Oeuvre d’Orient, Revue Perspectives et Réflexions, N°3 - 2015

Par Louise Plun
Publié le 04/09/2015 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Dans le contexte particulier que représente l’année 2015 pour les chrétiens d’Orient, le Numéro 3 de la revue Perspectives et Réflexions est consacré aux chrétiens d’Orient victimes de génocides, que ce soit au cours des siècles et années écoulées, ou aujourd’hui même. En effet, s’employer à parler du génocide, « c’est stimuler la vigilance. Ce qui s’est produit peut se reproduire, et hélas nous voyons un nouveau drame se dérouler en Syrie et en Irak » témoigne Mgr Pascal Gollnisch, vicaire général de l’Ordinariat des catholiques orientaux de France et directeur général de l’Oeuvre d’Orient depuis 2010. Dès lors, 2015 présente deux enjeux distincts pour ces peuples : « sur le plan de la mémoire, elle fait état des blessures » explique dans l’éditorial Antoine Fleyfel, mais elle relance également la question du devenir de ces minorités, victime des actes du groupe terroriste Etat islamique.

Dans une premier temps, Maxime Yevadian, historien et enseignant à l’Université catholique de Lyon et Lyon II, revient sur l’histoire de l’Arménie, fondamentalement déterminée, précise t-il, par la géographie de cette « île de montagne », puisque au cours des siècles, « maîtriser le plateau arménien a signifié disposer d’une position dominante sur tout le Proche-Orient ». L’historien retrace le parcours et l’histoire de cette zone géographique depuis la Haute Antiquité, en passant par l’âge classique, le Moyen Age et l’époque moderne, jusqu’au XIX et XXème siècle pour terminer avec les enjeux de la période contemporaine. Vers 295 de notre ère, le christianisme devient religion d’Etat en Arménie, cette religion devient dès lors « la clé de voûte de édifice spirituel, culturel et politique arménien ». Ainsi, l’auteur présente le christianisme comme la source d’inspiration de ce peuple, sa force, « les éléments de sa
Régénération » ainsi que de son épanouissement au cours des siècles. Maxime Yevadian rappelle les éléments fondamentaux de cette civilisation : son alphabet, son architecture dont l’âge d’or sera atteint avec les églises à carré tétraconque et niches diagonales et dont l’exemple le plus représentatif est l’église Sainte-Hripsimée, son attachement à « une christologie rigoureuse et équilibrée » alors que les débats christologiques (sur la nature du Christ) s’enflamment depuis le concile de Nicée de 325. L’auteur évoque ensuite la présence musulmane, seljoukide, puis ottomane sous le sultan Abdul Hamid II et enfin l’arrivée au pouvoir en 1908 du Comité Union et Progrès des Jeunes turcs. C’est sous le gouvernement des « Trois Pachas » (Enver, Talaat et Djemal), que le massacre de la communauté arménienne turque débute en avril 1915. Au total, plus d’1,5 million d’Arméniens sont victimes du génocide, alors appelé « massacres ». La Deuxième Guerre mondiale puis la soviétisation de l’Arménie, indépendante seulement deux ans entre 1918 et 1920, « cristallisent » la question arménienne. « Aujourd’hui, le conflit est gelé » précise Maxime Yevadian. Alors que la communauté arménienne est actuellement divisée entre deux Etats distincts dans le Caucase du Sud et la communauté arménienne de la diaspora, « cette nation millénaire vit actuellement un moment clé de son existence », conclut l’auteur.

A la suite de ce panorama historique, Marc Varoujan, docteur en psychologie sociale diplômé de l’EHESS et professeur à l’Université catholique de l’Ouest (UCO) revient sur le génocide en tant que procédé réfléchi. L’auteur en décrit notamment les étapes, ainsi que l’implication du régime des Jeunes turcs et sa volonté de mettre fin à un empire multinational suivant une idéologie unioniste puisque, selon les mots de l’auteur, « le plateau arménien [représentait] une « tâche » sur la voie du panturquisme », c’est-à-dire un nationalisme turc virulent, visant à atteindre l’union des peuples turcophones au sein d’une identité géographique nommée Touran. Il s’agissait donc bien d’un « génocide moderne » correspondant à la définition que donne la Convention de 1948 : le « massacre de masse d’un groupe visé « en tant que tel » pour des critères ethniques ».

L’article suivant, de Phjlippe S. Sukiasyan, membre de l’Institut Supérieur d’Etudes Oecuméniques et de l’Institut Catholique de Paris, retrace la situation de l’Eglise arménienne après la confiscation de la République arménienne (1918-1920), pendant la soviétisation de l’Arménie entre 1920 et 1938. Il évoque également la découverte ou restitution d’archives ecclésiales de l’époque, puis leur classification et traduction. Joseph Yacoub, de l’Université catholique de Lyon, évoque également l’histoire de l’après génocide.

Tigrane Yégavian, membre de l’Institut catholique de Paris, s’intéresse quant à lui à la diaspora arménienne étendue au fils des années sur l’ensemble du Machreq ainsi qu’aux conséquences du génocide de 1915 sur cette minorité transnationale et sa vitalité. L’auteur aborde ensuite l’après génocide et la décision des minorités arméniennes de demeurer en Orient, dans l’espoir et l’attente d’un éventuel retour en Arménie. Toutefois, explique l’auteur, le traité de Lausanne de 1923 retire tout espoir d’indépendance arménienne, et les rescapés choisissent d’embrasser la citoyenneté de leur pays d’adoption. Ces derniers font face dans les années suivantes aux conséquences de la guerre froide, à la polarisation engendrée par la lutte des deux blocs, engendrant nombre de tensions au sein de la communauté arménienne, à l’image de la situation au Liban. Le pays constitua en effet un véritable « poumon de la Diaspora ». Bien que témoin de « l’âge d’or », c’est-à-dire une grande prospérité, des Arméniens dans cette région, le pays va également devenir un « laboratoire du nationalisme arménien et du militantisme politique en diaspora, mais aussi un terreau révolutionnaire ». L’auteur évoque ensuite les dérives terroristes engendrées par ce phénomène, que le peuple arménien libanais « paiera cher ». A l’inverse, la Syrie demeure dans l’esprit arménien comme une véritable « Mère diaspora ». En effet, la prospérité et la protection de la communauté arménienne correspondaient à l’intention de Hafez al-Assad, à partir de 1970. L’auteur retrace ensuite la situation de la diaspora arménienne en Irak, en Egypte, en Jordanie et dans la Péninsule arabique.

Joseph Alichoran, chargé de cours à l’Institut national des langues et civilisations (INALCO) aborde ensuite le cas de « ces ‘autres’ victimes méconnues et oubliées du génocide de 1915 » : les Assyro-Chaldéo-Syriaques, qui selon lui ont été les grands oubliés de la mémoire génocidaire. En effet, sur environ 400 000 membres avant la Première Guerre mondiale, 150 000 ont survécu au génocide de 1915. Il rappelle ainsi les étapes de ce génocide parallèle.

Christian Lochon, directeur honoraire des études au CHEAM, propose un article consacré aux chrétiens d’Irak et plus particulièrement à ceux du nord du pays, concentrés autour de Mossoul, de la plaine de Ninive et enfin ceux du Kurdistan irakien. L’auteur évoque d’abord leur histoire, qui, à la suite de l’évangélisation de la Mésopotamie au IIème siècle après JC, fut rythmée par la domination musulmane, omeyyade puis abbasside et enfin ottomane. Suit la courte monarchie du roi Fayçal, le coup d’Etat ba’thiste, la prise de pouvoir de Saddam Hussein, l’invasion américaine et ses conséquences : l’enracinement dans la région du groupe terroriste Etat islamique. L’auteur aborde les particularités de ces minorités chrétiennes, des différentes régions, villes ou villages au sein desquels elles se sont développées.

Antoine L. Bustany, médecin psychiatre président de l’Ordre des médecins au Liban, revient pour sa part sur La Grande Famine au Mont-Liban - où vivaient en grande majorité (80%) des chrétiens maronites et des druzes - qui s’est déroulée pendant la Première Guerre mondiale.

Pour conclure, cette revue fait à la fois acte d’information, de mémoire et de témoignage mais aussi de prévention et d’alerte face à l’oubli et à l’indifférence. Les auteurs appellent ainsi les lecteurs à ne pas oublier, à ne pas se taire, puisque, selon les mots d’Elie Wiesel, « en niant l’existence d’un génocide, en l’oubliant, on assassine les victimes une seconde fois. »

Publié le 04/09/2015


Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.


 


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