Appel aux dons vendredi 29 mars 2024



https://www.lesclesdumoyenorient.com/2051



Décryptage de l'actualité au Moyen-Orient

Plus de 3000 articles publiés depuis juin 2010

vendredi 29 mars 2024
inscription nl


Accueil / Actualités / Analyses de l’actualité

Nucléaire iranien : genèse, modalités et conséquences d’un accord historique

Par Mohammad-Reza Djalili, Thierry Kellner
Publié le 07/10/2015 • modifié le 15/03/2018 • Durée de lecture : 20 minutes

AUSTRIA, Vienna : (From L to R) Chinese Foreign Minister Wang Yi, French Foreign Minister Laurent Fabius, German Foreign Minister Frank-Walter Steinmeier, European Union High Representative for Foreign Affairs and Security Policy Federica Mogherini, Iranian Foreign Minister Mohammad Javad Zarif, Head of the Iranian Atomic Energy Organization Ali Akbar Salehi, Russian Foreign Minister Sergey Lavrov, British Foreign Secretary Philip Hammond, US Secretary of State John Kerry and US Secretary of Energy Ernest Moniz pose for a group picture at the United Nations building in Vienna, Austria July 14, 2015. Iran and six major world powers reached a nuclear deal, capping more than a decade of on-off negotiations with an agreement that could potentially transform the Middle East, and which Israel called an "historic surrender".

AFP PHOTO / POOL / CARLOS BARRIA

Genèse de l’accord

L’accord conclu à Vienne le 14 juillet 2015 entre l’Iran et les pays du groupe P5 + 1 (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne) est l’aboutissement d’une négociation diplomatique longue et patiente, mais aussi erratique qui s’est étendue sur 12 ans. L’histoire détaillée de cette saga doit encore être écrite tant il demeure de zones d’ombres autour de ses différentes péripéties mais aussi de la place et du rôle exacts de chaque participant officiel et non-officiel à ce processus complexe. On peut toutefois d’ores et déjà tenter d’en exposer quelques éléments marquants.

Alors que le contexte international était déjà tendu par les événements du 11 septembre et leurs suites et la dénonciation de l’Iran comme un membre de l’« axe du Mal » par G. Bush dans son discours sur l’état de l’Union de février 2002, tout commence en août 2002 avec les révélations d’un groupe d’opposition, concernant l’existence de deux sites nucléaires inconnus : le site d’enrichissement de Natanz et le réacteur à eau lourde d’Arak. Quelques mois plus tard alors que l’administration Bush haussait le ton face à Téhéran, les États-Unis envahissaient l’Irak, un autre pays désigné comme membre de l’« axe du Mal », ce qui accroissait encore la tension régionale et faisait craindre à la République islamique de se voir encerclée par les forces américaines déjà présentes en Afghanistan et dans le golfe Persique. Dans ce contexte, en juin 2003, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) affirme avoir découvert sur le site de Natanz des taux d’uranium enrichi supérieurs aux normes civiles. L’organisation demande à Téhéran de prouver qu’il ne développe pas l’arme nucléaire, conformément à l’engagement qu’il a pris lors de la signature du TNP en 1968 sous le Shah. A la suite de pourparlers avec Hassan Rohani - ce dernier a été désigné négociateur sur la question nucléaire par le président Khatami -, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni vont obtenir en octobre 2003 l’engagement de l’administration Khatami de suspendre l’enrichissement d’uranium. Téhéran accepte de signer et d’appliquer le protocole additionnel au TNP qui permet des inspections inopinées de l’AIEA. Il gèle son programme nucléaire et accepte des inspections poussées de l’organisation internationale.

Pourtant, les négociations s’enlisent. Au bout de deux ans, c’est toujours l’impasse. L’élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2005 compromet cette esquisse d’ouverture. Le président iranien relance en effet le programme d’enrichissement d’uranium à Ispahan. Il déclare à la tribune de l’ONU que l’Iran a le droit de développer un programme nucléaire civil. L’AIEA transmet le dossier du nucléaire iranien au Conseil de sécurité de l’ONU. En rétorsion, Téhéran n’applique pas le protocole additionnel du TNP et suspend les inspections-surprises. Il procède à son premier enrichissement d’uranium. En 2006, l’ONU adopte sa première résolution (1737) imposant des sanctions contre l’Iran. Plusieurs autres viendront s’y ajouter au fil des années (rés.1747, rés.1803, rés.1929 …). Sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, la rupture paraît consommée : l’Iran poursuit l’enrichissement d’uranium et son manque de transparence est mis en exergue dans plusieurs rapports de l’AIEA. En 2008 pourtant, une rencontre réunit à Genève les représentants du groupe P5+1 (les États membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU + l’Allemagne) et l’Iran. C’est la première fois depuis trois décennies que des émissaires de Téhéran et de Washington discutent directement et officiellement. Mais la rencontre qui a soulevé de nouveaux espoirs ne donne aucun résultat. En 2009, la première usine de fabrication de combustible nucléaire en Iran est inaugurée à Ispahan. Les autorités annoncent avoir installé 7000 centrifugeuses à Natanz et Téhéran reconnaît posséder une usine d’enrichissement d’uranium à Fordow près de Qom.

C’est au final l’arrivée au pouvoir de Barack Obama qui va permettre une relance du processus de négociation. En mai 2009, le Président américain s’adresse au Guide suprême de la République islamique, Ali Khamenei, et se dit ouvert à une relance du processus diplomatique. A l’été, il propose à Téhéran de lui livrer l’uranium enrichi à 20 % dont le pays a besoin pour son centre de recherche médicale de Téhéran. En échange, il lui demande de remettre aux Occidentaux son stock d’uranium enrichi à 5 %. Après plusieurs mois d’efforts diplomatiques intenses, le groupe P5+1 et l’Iran se réunissent à Genève après 14 mois d’interruption pour relancer les négociations sur le programme nucléaire iranien. Les États-Unis, la Russie et la France proposent à Téhéran un accord prévoyant l’enrichissement de l’uranium iranien à l’étranger. Mais cette initiative échoue face au refus iranien. Téhéran invoque un manque de garanties et commence en février 2010 à produire de l’uranium enrichi à 20 % au grand dam des Occidentaux.

En avril 2010, une initiative surprise est lancée conjointement par la Turquie et le Brésil pour essayer de débloquer la situation. L’Iran, la Turquie et le Brésil concluent un accord sur le nucléaire, prévoyant le transfert d’uranium faiblement enrichi en Turquie, en échange de combustible destiné à son réacteur médical de Téhéran. Pour surmonter les craintes de Téhéran, Ankara propose de stocker sur son territoire l’uranium iranien et de le restituer en cas d’échec des négociations. Cette fois, c’est la partie américaine qui sabote le projet en annonçant un accord entre les grandes puissances en vue de nouvelles sanctions à l’encontre de l’Iran. Le dossier semble à nouveau bloqué. En juin 2010, une quatrième série de sanctions est votée par le Conseil de sécurité de l’ONU sous la résolution 1929. En juillet, des sanctions sont également adoptées par les États-Unis et l’Union européenne. En janvier 2011, de nouvelles discussions entre le groupe P5+1 et l’Iran piétinent à Istanbul et en mai, des sanctions renforcées sont votées par l’Union européenne et les États-Unis. En septembre et en novembre deux rapports de l’AIEA évoquent une « possible dimension militaire » du programme nucléaire iranien. Faisant suite à la publication de ces rapports de l’AIEA, Mahmoud Ahmadinejad déclare que l’Iran ne reculera pas « d’un iota » sur son programme nucléaire. En janvier 2012, l’Union européenne décide un embargo sans précédent sur le pétrole iranien. Il sera effectif au 1er juillet. Entre avril et septembre 2012, plusieurs rounds de négociations du groupe P5+1 sont organisés sans résultat à Istanbul, Bagdad et Moscou. Elles reprendront en février et avril 2013 à Almaty au Kazakhstan puis en mai à Istanbul. Toujours sans résultat.

Pourtant, entre temps, le 21 mars 2013, le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, a déclaré qu’il n’était « pas opposé » à un dialogue direct avec Washington. Alors que rien ne semble avancer sur le dossier, en coulisse, un canal diplomatique parallèle s’est en fait activé depuis la fin de l’année 2011 où John Kerry, alors président de la Commission sénatoriale des Relations étrangères, a pour la première fois présenté l’idée de discussions directes avec Téhéran lors d’un entretien secret à Mascate avec le Sultan d’Oman, Qaboos bin Said Al Said. Ce dernier qui entretient de bonnes relations à la fois avec Téhéran et Washington accepte à nouveau de jouer les facilitateurs entre les deux pays, un rôle qu’il a revêtu dès 2009 quant il a transmis à la Maison blanche, les noms des prisonniers que Téhéran souhaitait voir libérer des États-Unis pour tester la bonne volonté du président Obama. Alors que Mahmoud Ahmadinejad continue de gesticuler, une première rencontre entre responsables américains et iraniens se déroule discrètement à Mascate en juillet de 2012 (1). Elle est suivie d’une rencontre secrète à Oman en mars 2013 entre le n°2 du département d’État, William Burns, le principal conseiller diplomatique de Joe Biden, Jake Sullivan et une petite équipe d’experts techniques d’une part et des négociateurs iraniens, dont Majid Ravanchi, d’autre part. Son but, modeste au départ, est d’explorer la possibilité d’une discussion bilatérale portant sur le nucléaire. Le rôle d’Oman va se poursuivre jusqu’à la fin 2014/début 2015. Le sultanat facilite la tenue de plusieurs réunions de négociations entre Américains et Iraniens et transmet également des messages contenant des termes importants des négociations directes entre les États-Unis et l’Iran. Ces négociations bilatérales secrètes vont contribuer à poser les fondations de ce qui deviendra l’accord provisoire de Genève en novembre 2013. Elles étaient destinées dans l’esprit de Washington à renforcer les négociations au sein du groupe P5+1 (2).

Outre l’existence de ce canal confidentiel, c’est aussi la modification du contexte politique en Iran qui permet à la situation d’évoluer positivement. L’élection du modéré Hassan Rohani à la présidence iranienne permet l’accélération du processus. Elu en juin 2013, Rohani, ancien négociateur sur le nucléaire de 2003-2005, connaît parfaitement le dossier et jouit de la confiance du Guide Suprême. Il affirme dès sa prise de fonctions être prêt à des « négociations sérieuses ». En septembre, il assure à la tribune de l’ONU que l’Iran ne représente « pas une menace ». Il rencontre François Hollande et parle au téléphone avec Barack Obama, un premier échange à ce niveau depuis 1979. Des contacts entre hauts représentants américains et iraniens se multiplient, avec par exemple en septembre 2013, une rencontre mouvementée entre le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, et le secrétaire d’État John Kerry, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU (3). En octobre suivant s’ouvrent de nouvelles négociations entre l’Iran et le groupe P5+1 à Genève alors que de hauts responsables américains et iraniens continuent de se croiser à différentes occasions. Au cours des négociations, l’administration américaine, et particulièrement John Kerry, a développé une relation très étroite avec ses homologues européens. Cette synergie, à laquelle il faut ajouter l’appui russe et chinois à des moments clés du processus, vont permettre aux négociateurs de surmonter divers obstacles techniques et politiques (4). Au cours de cette phase, la France va s’illustrer par sa fermeté, notamment au début du mois de novembre 2013 (5). L’Union européenne, présente depuis le début du processus, joue pour sa part un rôle clé lors de ces négociations avec des personnalités majeures comme Catherine Ashton, Helga Schmid puis dans la phase suivante Federica Mogherini (6). L’accord provisoire conclu le 24 novembre 2013 entre Téhéran et les pays du P5+1, sera un premier pas inédit vers un règlement. Un gel provisoire du programme nucléaire iranien et une levée partielle des sanctions internationales contre Téhéran sont décidés.

Mais l’obtention d’un accord définitif ne sera pas une tâche aisée. Il faudra encore un an et demi de négociations techniques complexes et fastidieuses - aussi entre membres du groupe 5+1 qui ne partageaient pas le même point de vue - pour aboutir à Lausanne, le 2 avril 2015, à un accord-cadre portant sur les principaux paramètres d’un compromis final et finalement, à la conclusion de l’accord du 14 juillet 2015 (7). Les négociations seront sur le point de capoter au moins cinq fois au cours des neufs derniers mois du processus (8). Pour résumer l’état d’esprit qui a présidé aux discussions durant cette période, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif déclarait avec humour que « The Americans are much better carpet merchants than any Iranian could dream of ! », ce à quoi répondait un haut fonctionnaire du département d’État américain, les Iraniens « are quite good at trying to get you to pay for what you got-twice » (9). Mais l’histoire ne s’arrête cependant pas là, puisque l’accord courrait encore le risque d’être bloqué au Congrès des États-Unis, par l’opposition des républicains et l’action de certaines organisations juives pro-israéliennes comme l’Aipac (10). Ce scénario ne s’est pourtant pas réalisé et l’administration Obama peut maintenant se concentrer sur la mise en œuvre de l’accord du 14 juillet. Pour obtenir ce résultat, il semble que le rôle du lobbying directe et indirecte des Européens (la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, mais aussi le représentant de l’UE à Washington), parallèlement à celui des diplomates russe et chinois, auprès des membres du Congrès ait été particulièrement important. Sans cette activité, il n’est pas sûr que l’administration Obama aurait pu l’emporter (11).

Contenu de l’accord du 14 juillet 2015 et de sa mise en application : les points principaux

L’accord sur le programme nucléaire iranien, conclu le 14 juillet 2015, entre Téhéran et le groupe P5+1, entériné par la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations unies le 20 juillet, ouvre de nouvelles perspectives sur le plan régional et international à la République islamique. Bien entendu, il faut attendre l’issue des vérifications menées par l’AIEA - l’organisation doit rendre son rapport le 15 décembre prochain - pour voir la suspension progressive des sanctions qui pèsent sur l’économie iranienne. Une partie importante de ces sanctions devront en principe être suspendues dans le courant l’année 2016.

Cet accord se compose d’un texte principal et de cinq annexes (12). C’est un document de 159 pages qui comporte des dispositions très détaillées, surtout si on le compare à l’accord qui avait été conclu avec la Corée du Nord sous l’administration Clinton. Son objectif principal est de s’assurer que le programme nucléaire iranien est « pacifique ». Pour ce faire, il met en place les restrictions indispensables pour garantir que le temps nécessaire à la production de la quantité suffisante d’uranium enrichi pour fabriquer une arme atomique soit d’au moins un an et ce pendant une durée de dix ans. Il s’agit de donner le temps à la communauté internationale de réagir au cas où l’Iran déciderait de se lancer dans la fabrication d’une telle arme. Pour atteindre cet objectif, l’accord qui reconnaît à Téhéran le droit à l’enrichissement de l’uranium et prévoit la mise en place d’une coopération dans le domaine du nucléaire pacifique (Civil-nuclear cooperation Annexe III), plafonne pendant dix ans à 5 060 (contre 19 000 aujourd’hui) le nombre de centrifugeuses dont il disposera. Seuls les modèles les plus anciens sont autorisés. Téhéran ne pourra enrichir l’uranium qu’à 3,67 % pendant quinze ans et sur le seul site de Natanz. Les stocks d’uranium enrichi seront strictement limités. Pendant quinze ans, il ne pourra pas conserver sur son territoire plus de 300 kg d’uranium enrichi à moins de 3,67 % sous forme d’UF6 (hexafluorure d’uranium). Le site de Fordow sera transformé en centre d’études nucléaires, physiques et des technologies. Le réacteur de la centrale à eau lourde d’Arak sera modifié sous le contrôle du P5 + 1 et de l’AIEA pour ne pas pouvoir produire du plutonium à vocation militaire. Pendant toute la durée de l’accord et même au-delà pour certaines activités, un régime renforcé d’inspections est appliqué. L’AIEA pourra vérifier pendant vingt ans le parc de centrifugeuses et pendant vingt-cinq ans la production de concentré d’uranium. L’Iran s’engage par ailleurs à mettre en œuvre et à ratifier le Protocole additionnel qui permet des inspections intrusives de l’AIEA. Les inspecteurs de l’organisation pourront accéder aux sites militaires « si nécessaire et sous certaines conditions », au terme d’une procédure « de dialogue entre le ‘P5 + 1’ et l’Iran ». Au final, non seulement les inspecteurs auront le droit de visiter n’importe quel site qu’ils jugent suspects mais toutes les étapes du cycle du combustible et de la filière d’approvisionnement nucléaire de l’Iran sont monitorées. L’esprit de l’accord, étant basé sur la vérification plutôt que sur la confiance, il s’agit selon les observateurs des modalités d’inspection nucléaire les plus intrusives jamais conçues. Téhéran autorise de plus une enquête sur son programme nucléaire passé.

En contrepartie, les sanctions adoptées par l’UE et les États-Unis à son encontre et visant les secteurs de la finance, de l’énergie et du transport seront levées dès la mise en œuvre par l’Iran de ses engagements, attestée par un rapport de l’AIEA. Cela devrait être fait au début de 2016. La même procédure sera suivie pour lever les six résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies contre l’Iran depuis 2006. Les mesures liées à la lutte contre la non-prolifération nucléaire contenues dans ces résolutions sont cependant maintenues pendant dix ans ou jusqu’à ce que l’AIEA ait attesté du caractère exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien. Si Téhéran ne respecte pas de manière significative l’un ou l’autre de ses engagements, les sanctions seront remises en place quasi-automatiquement grâce à un mécanisme dit de « snapback ». Ce dernier restera en vigueur pendant dix ans, mais les cinq membres permanents du Conseil de sécurité se sont déjà engagés par écrit à le prolonger par une nouvelle résolution qui le maintiendra pour une durée de cinq années supplémentaires. Les sanctions relatives aux missiles balistiques et aux importations d’armes offensives sont également maintenues. Le transfert de matériels sensibles pouvant contribuer au programme balistique iranien est interdit pour une période de huit ans (sauf autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU), de même que la vente ou le transfert de certaines armes lourdes de et vers l’Iran pendant cinq ans (également sauf autorisation du CS de l’ONU). Enfin, le détail de la mise en œuvre de l’accord est prévu à l’Annexe V. On relèvera que les incitations pour l’Iran à se conformer à ses engagements sont beaucoup plus convaincantes dans cet accord que dans le cas de celui conclu avec la Corée du Nord. L’accord du 14 juillet établit les protocoles de vérification et des mécanismes pour traiter des violations potentielles, ce qui n’était pas le cas avec Pyongyang. Renier ses engagements a été relativement indolore pour la Corée du Nord, ce qui ne serait pas le cas pour Téhéran.

Accueil et conséquences de l’accord sur le nucléaire

En Iran

En Iran, l’accord sur le nucléaire a été bien accueilli, comme prévu, par les factions modérées et réformistes du régime et surtout par une majorité de citoyens (13) comme l’ont démontré les scènes de liesse qui se sont déroulées un peu partout dans le pays à l’annonce de sa conclusion (14). De nombreux membres de la diaspora iranienne à l’extérieur du pays s’en sont aussi réjouis. L’opinion iranienne y voit une occasion historique pour le pays de sortir de son isolement diplomatique et aussi de relancer son économie durement touchée par les diverses sanctions adoptées dans le cadre du dossier nucléaire. Avec la signature de l’accord du 14 juillet, les perspectives économiques de l’Iran pourraient en effet s’éclaircir quelque peu. Au-delà du momentum que fournit le vent d’optimisme qui a soufflé avec la signature de cet accord, plus concrètement, une partie des avoirs iraniens gelés à l’étranger pourraient être libérés, un montant qui varie de 50 à 150 milliards de dollars selon diverses estimations. Téhéran a laissé entendre qu’il se préparait à ouvrir une « nouvelle page » dans ses relations économiques avec le monde. La National Iranian Oil Company (NIOC), prévoit ainsi de lancer des appels d’offres pour 40 projets après la levée des sanctions. Les investisseurs internationaux, y compris occidentaux, sont très intéressés par les potentialités iraniennes mais, prudents, il n’est pas sûr qu’ils se précipitent rapidement dans le pays (15). C’est pourtant ce que l’administration Rohani espère afin de consolider sa position face à ses critiques conservateurs en montrant notamment à la population qui l’a porté au pouvoir - et dont les attentes sont grandes - les dividendes économiques que va générer cet accord ainsi qu’à ceux qui au sein de l’élite politique iranienne restent sceptiques par rapport à ces retombées. De leur côté, les conservateurs n’ont pas manqué de dénoncer l’accord. Ils craignent surtout ses répercussions à long terme pour l’évolution du régime. Aussi ont-ils essayer de jeter le doute sur ses visées réelles, le présentant comme une tentative destinée à accroître le poids des forces pro-occidentales afin d’obtenir in fine un changement, ou du moins une transformation profonde, du régime. Dans ce climat, certains observateurs craignent que ce courant ne cherche à répondre de manière radicale à l’ouverture potentielle que l’accord offre à l’Iran en accroissant la pression sur les opposants, les critiques du régime, les démocrates et les intellectuels … ou n’essaye simplement à le bloquer au Parlement où ils détiennent la majorité des sièges. La Commission spéciale du Parlement chargée d’examiner l’accord nucléaire doit en effet présenter son rapport à la chambre le 4 octobre. Les débats y ont été semble-t-il houleux. Quoi qu’il soit, l’accord offre la possibilité d’un véritable retour de l’Iran dans le jeu diplomatique international, tout en soulageant Téhéran des pressions externes. Il redonne à sa diplomatie un espace de respiration et une marge de manœuvre importante sur la scène régionale et internationale. Ce nouveau contexte peut être mis à profit afin de relancer la coopération régionale et de contribuer au règlement progressif de certains conflits en cours au Moyen-Orient, mais il peut aussi donner aux conservateurs des possibilités renouvelées d’exploiter les nombreuses lignes de fractures qui divisent la région. Seul l’avenir dira laquelle de ces deux possibilités prévaudra.

Dans les Etats de la région

Sur le plan régional, l’accueil réservé à l’accord a varié de pays très critiques comme Israël et l’Arabie saoudite à des pays exprimant des réserves comme l’Égypte ou certaines pétromonarchies riveraines du golfe Persique. Il a fallu des assurances et des garanties de sécurité nouvelles de la part de Washington pour convaincre le Conseil de Coopération du Golfe de soutenir publiquement l’accord (16). La Turquie quant à elle, tout en saluant l’accord, a souhaité que Téhéran modifie désormais sa politique régionale (17). Il y a enfin, à l’autre bout de la chaine, ceux qui ont bien accueilli l’accord comme Oman, l’Irak et la Syrie qui entretiennent de bons rapports avec Téhéran ou encore, plus discrètement, le Koweït ou les Émirats arabes unis, surtout Dubaï, car il va contribuer à relancer les relations économiques, l’Émirat étant, avant 2012, la véritable plaque tournante pour le commerce extérieur de l’Iran.

Du côté d’Israël, le gouvernement Nétanyahou est très remonté contre l’accord, qualifié de « capitulation » et d’« erreur de proportion historique » par le Premier ministre israélien (18). Ce dernier est d’ailleurs venu répéter tout le mal qu’il en pensait devant l’Assemblée générale des Nations unies début octobre 2015 (19). Il a rappelé qu’Israël agira seule si nécessaire pour empêcher l’Iran de se doter d’une arme nucléaire. L’opinion publique est pour sa part plus nuancée face à l’accord du 14 juillet. Selon les sondages, elle en aurait plutôt une vision négative et considèrerait généralement qu’il n’est pas bon pour la sécurité du pays. Mais en même temps, elle désapprouve la façon dont B. Nétanyahou a géré les relations d’Israël avec son allié américain sur ce dossier. Elle craint les conséquences à long terme que cette divergence de vue, aggravée par la prestation de Nétanyahou devant le Congrès américain en mars 2015, pourrait avoir sur les relations américano-israéliennes (20). Certains hauts responsables, notamment d’anciens dirigeants des services de sécurité israéliens, ont cependant émis une opinion plus positive de l’accord. Ainsi, pour Ami Ayalon, l’ex-patron du Shin Bet dans les années 90, l’accord « est la meilleure option » pour freiner la capacité de Téhéran à obtenir une arme nucléaire (21). D’autres se prennent déjà à imaginer qu’un jour, dans le futur, Téhéran et Tel Aviv pourraient même à nouveau coopérer. Dans cette perspective aujourd’hui très lointaine, un bon point de départ pourrait être la question de la gestion de l’eau, véritable catastrophe nationale en Iran (22), mais dont Israël est un spécialiste mondialement reconnu (23). En attendant, au regard du conflit syrien, Tel Aviv et Téhéran semblent déjà partager un intérêt commun dans l’affaiblissement de Daech et une stabilisation de la situation.

En Arabie saoudite, l’accord a d’abord été critiqué, avant que le Royaume ne modifie sa position et ne le soutienne officiellement après avoir reçu des assurances sur sa sécurité de la part de Barack Obama à l’occasion de la visite du roi Salman à Washington au début du mois de septembre 2015 (24). Rien dans ce soutien saoudien à l’accord du 14 juillet ne peut cependant être interprété comme une détente dans les relations entre Riyad et Téhéran. Au contraire, les rapports se sont tendus davantage durant l’été et l’automne 2015 en raison de leur rivalité continue au Moyen-Orient (notamment à Bahreïn, au Liban, en Irak, et surtout au Yémen et en Syrie) mais aussi de la tragédie de La Mecque qui le 24 septembre a coûté la vie à plusieurs centaines de pèlerins iraniens (25). Téhéran en a attribué la responsabilité à l’incompétence de Riyad alors que le Royaume dénonçait de son côté l’utilisation « politique » que faisait l’Iran de cette tragédie (26). Le ton entre les deux pays restait donc à l’automne 2015 davantage à l’imprécation qu’à la désescalade…

Sur le plan international

Enfin sur le plan international, l’accord a généralement été salué par l’opinion comme une victoire de la diplomatie (27). Il a été bien accueilli en Chine, en Russie, en Inde, au Pakistan, ou Afrique du Sud ou au Vatican, mais aussi par les pays de l’Union européenne. Aux États-Unis, l’opinion reste divisée. Si la signature de l’accord du 14 juillet marque une étape essentielle dans la reprise du dialogue entre Washington et Téhéran et ouvre des possibilités inédites de discussions diplomatiques sur d’autres dossiers chauds, voire de coopération discrète entre les deux pays (28), le processus de rétablissement de rapports normalisés risque néanmoins d’être long et sans doute encore semé d’embuches, tant la méfiance a dominé les rapports entre eux depuis 1979. Un sondage d’opinion réalisée aux États-Unis par Pew au début du mois de septembre 2015 montre que la normalisation complète des rapports bilatéraux reste un horizon lointain. Ainsi, seuls 21 % des sondés approuvaient l’accord - soit une chute de 12 % par rapport à un autre sondage réalisé par Pew juste après la signature de l’accord en juillet - alors que près de la moitié (49 %) le désapprouve, tandis que trois sur dix (30 %) n’offrent aucune opinion. Les Républicains demeurent plus hostiles que les Démocrates, mais même chez ces derniers, 29 % le désapprouve néanmoins (29). De nombreux Américains restent donc méfiants. Ils doutent de l’engagement de la direction iranienne à respecter les termes de cet accord. Seulement 2 % d’entre eux ont une « grande confiance » dans l’engagement des dirigeants iraniens à le respecter, tandis que 18 % disent avoir « une bonne dose de confiance ». Sept sur dix (70 %) affirment qu’ils ne sont pas « trop confiants » (28 %) ou « pas confiants » (42 %) (30). En ce qui concerne l’évolution des rapports des deux pays suite à la conclusion de l’accord du 14 juillet, l’opinion américaine est aussi divisée. Selon le sondage de Pew de juillet 2015, 42 % de ceux qui ont entendu parler de l’accord disent qu’il y aura peu de changements dans les rapports bilatéraux, contre 28 % qui pensent que les relations entre les deux nations vont se dégrader et 25 % qui pensent au contraire qu’elles s’amélioreront (31).

Notes :
(1) Voir le rôle d’Oman dans Jay Solomon, « Secret Dealings With Iran Led to Nuclear Talks », The Wall Street Journal, June 28, 2015 et Shohini Gupta, « Oman : The Unsung Hero of the Iranian Nuclear Deal », Foreign Policy Journal, July 23, 2015.
(2) D’après « Nucléaire : plusieurs mois de négociations secrètes entre les États-Unis et l’Iran », Le Monde, 24 novembre 2013.
(3) Voir détails dans Robin Wright, « The revolution’s midlife crisis and the nuclear deal », The New-Yorker, July 27, 2015.
(4) Pékin a ainsi permis de sortir de l’impasse des négociations sur la question du réacteur d’Arak en présentant un plan de réaménagement visant à le modifier afin de désactiver son potentiel de fabrication de matières nucléaires utilisables pour une arme nucléaire. Voir Frank Ching, « China’s role in the Iran nuclear deal », Ejinsight, July 21, 2015 (http://www.ejinsight.com/20150721-china-role-iran-nuclear-deal/) et Harold Pachios, « Let’s look at China’s role in the Iran nuclear deal », The Hill, August 21, 2015. La Russie, notamment son négociateur, Sergey Ryabkov, a par exemple contribué à trouver des solutions « créatives » pour combler le fossé entre les ambitions de l’Iran en matière nucléaire (disposer d’une capacité d’enrichissement intérieur robuste) et le désir du groupe P5+1 de limiter les capacités iraniennes d’enrichissement dans un accord final. Voir détails dans Laura Rozen, « Russian envoy helps advance Iranian nuclear deal », al-Monitor, décembre 4, 2014.
(5) « Nucléaire iranien : ‘un accord peut être conclu’ prochainement », Le Monde, 7 novembre 2013.
(6) Voir Maïa de La Baume, « The women behind the Iran nuclear deal », Politico, July 17, 2015.
(7) Voir le reportage exclusif de France 24, Dans les coulisses de l’accord historique sur le nucléaire iranien, 21 juillet 2015 (https://www.youtube.com/watch?t=28&v=_xB_gBuTyj4)
(8) Voir détails dans Robin Wright, « The revolution’s midlife crisis and the nuclear deal », op. cit.
(9) Cités dans Idem.
(10) Voir Karoun Demirjian, Carol Morello, « How AIPAC lost the Iran deal fight », The Washington Post, September 3, 2015 et Julie Hirschfeld Davis, « Influential Pro-Israel Group Suffers Stinging Political Defeat », The New York Times, September 10, 2015. Concernant l’opinion des Juifs-Américains sur ce sujet, il convient d’être nuancé. Contrairement à l’idée d’un lobby “juif” uni contre le traité, selon certains sondages, nombreux sont les membres de la communauté juive-américaine à s’être prononcé en faveur de l’accord soit selon le Los Angeles Jewish Journal 48% contre 31%. Voir Steven M. Cohen, « New poll : U.S. Jews support Iran deal, despite misgivings », Los Angeles Jewish Journal, July 23, 2015 (http://www.jewishjournal.com/nation/article/new_poll_u.s._jews_support_iran_deal_despite_misgivings)
(11) Nader Habibi, « How Europe helped save Obama’s historic nuclear deal with Iran », The Conversation, September 22, 2015.
(12) « Le texte de l’accord sur le nucléaire iranien », le Monde, 14 juillet 2015 http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/07/14/le-texte-de-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien_4683031_3218.html
(13) Les opposants à l’accord, selon les sources gouvernementales, seraient de l’ordre de 4% de la population totale : voir http://www.entekhab.ir/fa/news/219000 (en Persan)
(14) Voir Saeed Kamali Dehghan, Ian Black, « Thousands take to Iran streets to celebrate the historic nuclear deal », The Guardian, July 14 2015 et Abbas Milani, Michael Mcfaul, « What the Iran-Deal Debate Is Like in Iran », The Atlantic, August 11, 2015.
(15) Elizabeth Rosenberg, Sara Vakhshouri, « Iran’s economic reintegration », Center for a New American Security, Washington DC, June 2015, 13p.
(16) Jay Solomon, Carol E. Lee, « Gulf Arab States Voice Support for Iran Nuclear Deal », The Wall Street Journal, August 3, 2015.
(17) Le ministre des Affaires étrangères a déclaré que l’Iran « devrait être constructif, attacher de l’importance au dialogue politique. … En particulier, il [Iran] devrait reconsidérer son rôle en Irak, en Syrie et au Liban », démontrant par là un certain malaise, voire la crainte d’Ankara de voir Téhéran profiter de l’accord pour renforcer son rôle régional à son détriment. Voir l’analyse de la position turque dans Cengiz Çandar, « How Turkey Really Feels About the Iran Deal », al-Monitor, July 21, 2015.
(18) Peter Beaumont, « Netanyahu denounces Iran nuclear deal but faces criticism from within Israel », The Guardian, July 14, 2015.
(19) Margaret Besheer, Mark Snowiss, « Netanyahu Slams Iran Nuclear Deal at UN », VOA, October 1, 2015.
(20) Judy Maltz, « Polls Show Israelis Strongly Oppose Iran Nuclear Deal », Haaretz, August 12, 2015 et Teresa Welsh, « Israeli Public Opinion Nuanced When It Comes to Iran Deal », US News, September 14, 2015.
(21) « Ex-Shin Bet chief : Iran deal is ‘best option’ », The Times of Israel, July 21, 2015.
(22) Mohammad-Reza Djalili, « La grande catastrophe iranienne, c’est maintenant », Le Temps, 31 août 2015.
(23) Voir Jacques Benillouche, « Pour l’Iran, l’essentiel n’est pas le nucléaire mais l’eau », Le Monde, 30 septembre 2015.
(24) Yeganeh Torbati, Julia Edwards, « Saudi Arabia satisfied with Obama’s assurances on Iran deal », Reuters, September 4, 2015.
(25) « L’Iran, de loin le pays le plus touché par la bousculade meurtrière à la Mecque », Le Monde, 1er octobre 2015.
(26) Jane Onyanga-Omara and Oren Dorell, « Iran’s President Hassan Rouhani blames Saudi Arabia for hajj stampede », USA Today, September 28, 2015.
(27) Nick Robins-Early, « How World Leaders Reacted To The Iran Nuclear Deal », The Huffington Post, July 14, 2015.
(28) Avis Bohlen, « Iran : An Opening for Diplomacy ? », Survival, vol. 57, n° 5, October–November 2015, pp. 59-66.
(29) Pew Research Center, « Support for Iran Nuclear Agreement Falls. Public Awareness of Issue Has Declined Since July », September 8, 2015 (http://www.people-press.org/2015/09/08/support-for-iran-nuclear-agreement-falls/)
(30) Idem.
(31) Pew Research Center, « Iran Nuclear Agreement Meets With Public Skepticism. Little Confidence in Iran’s Leaders to Live Up to Deal », July 21, 2015 (http://www.people-press.org/2015/07/21/iran-nucl

Publié le 07/10/2015


Mohammad-Reza Djalili est professeur émérite de l’Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, historien et politologue spécialiste de l’Iran contemporain.
Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages, dont Histoire de l’Iran contemporain, (avec Thierry Kellner), Collection Repères, 2012 ; L’Iran et la Turquie face au « printemps arabe », vers une nouvelle rivalité stratégique au Moyen-Orient ? (avec Thierry Kellner), Les livres du GRIP, 2012 ; 100 questions sur l’Iran (avec Thierry Kellner), Editions La Boétie, 2013.


Docteur en relations internationales de l’Institut universitaire de hautes études internationales (IUHEI) de Genève, Thierry Kellner enseigne au Département de science politique de l’Université libre de Bruxelles. Il est également chercheur associé au Brussels Institute of Contemporary China Studies (BICCS/VUB).
Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages, dont La Chine et la « Grande Asie centrale » dans la période post-11 septembre, dans La Chine sur la scène internationale. Vers une puissance responsable ? Peter Lang, 2012 ; Histoire de l’Iran contemporain, (avec Mohammad-Reza Djalili), Collection Repères, 2012 ; L’Iran et la Turquie face au « printemps arabe », vers une nouvelle rivalité stratégique au Moyen-Orient ? (avec Mohammad-Reza Djalili), Les livres du GRIP, 2012 ; 100 questions sur l’Iran (avec Mohammad-Reza Djalili), Editions La Boétie, 2013.
Voir : http://repi.ulb.ac.be/fr/membres_kellner-thierry.html


 


Politique

Iran

Diplomatie