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Nécropole de Byblos. Entretien avec Tania Zaven et Julien Chanteau sur les découvertes archéologiques au Liban

Par Ines Gil, Julien Chanteau, Tania Zaven
Publié le 16/05/2025 • modifié le 16/05/2025 • Durée de lecture : 7 minutes

Le site de Byblos.

©Ministère de la Culture/Direction Générale des Antiquités

Avant d’aborder les découvertes à Byblos, pourriez-vous nous rappeler comment est née et se déroule la collaboration entre la Direction Générale des Antiquités du Liban et le département des Antiquités orientales du musée du Louvre sur ce terrain de recherche ?

Tania Zaven : Pour comprendre la collaboration entre la DGA du Liban et le musée du Louvre, il faut connaître le contexte des recherches archéologiques à Byblos. Les fouilles dans cette ville remontent au 19 ème siècle et se sont accélérées dans les années 1920, sous la direction de Maurice Dunand qui a poursuivi ses recherches pendant 50 ans. A la fin des années 1990, le programme Byblos et la mer, aujourd’hui dirigé par les archéologues Martine Francis-Allouche et Nicolas Grimal, a été mis en place, avec notamment pour objectif de retrouver l’emplacement du port antique de Byblos. C’est dans le cadre de Byblos et la mer que la nécropole a été découverte en 2018. A l’époque, Julien Chanteau faisait partie de l’équipe en tant que directeur des fouilles sous la supervision de la DGA. En parallèle, le Louvre était déjà engagé sur un projet de musée avec la DGA sur le site de Byblos. La découverte de la nécropole a réellement lancé la coopération entre la Direction Générale des Antiquités du Liban et le musée du Louvre sur cette fouille, à partir de 2019.

Julien Chanteau : L’un des axes du programme Byblos et la mer était de comprendre les relations entre le port et l’acropole de Byblos. Les fouilles réalisées au siècle passé sous la direction de Maurice Dunand avaient permis d’identifier un passage dans le rempart, que l’archéologue avait interprété comme une poterne (une petite porte qui avait une fonction militaire). Dans le cadre de mes recherches sur la topographie urbaine de Byblos, plusieurs indices m’avaient convaincu que cette poterne était en réalité une porte urbaine fortifiée, l’une des plus importantes de l’acropole à l’âge du Bronze, qui permettait de communiquer avec la ville basse. C’est au cours de l’étude réalisée au sein du programme Byblos et la mer pour vérifier cette hypothèse sur le terrain que nous avons non seulement pu confirmer que la poterne était bien une porte urbaine fortifiée, mais que nous avons aussi retrouvé une nécropole renfermant des tombes intactes qui datent du Bronze moyen, entre 2000 et 1750 avant notre ère.

Qu’est-ce que ces découvertes sur la nécropole ont apporté à votre connaissance de l’histoire de Byblos ?

T Z : Les résultats de ces fouilles sont exceptionnels. Ils sont d’autant plus importants qu’inattendus, car nous pensions que Maurice Dunand avait déjà réalisé les plus importantes découvertes en fouillant jusqu’à la roche-mère. Nous avons trouvé huit hypogées (tombeaux souterrains), qui sont par ailleurs intacts, juxtaposés sur plusieurs niveaux. Un même mur peut diviser deux hypogées et un même plafond peut servir de sol à un autre hypogée. Ces tombeaux avaient été réalisés par des ingénieurs expérimentés de l’époque. De tels hypogées, aussi profondément creusés et soigneusement taillés dans la roche, sont rares non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans le reste du monde.

L’hypogée V, le plus vaste, d’une superficie de 65 mètres carrés, est d’une dimension remarquable pour cette époque. Pour rappel, ces tombes remontent à plus de 4 000 ans. Pour étudier la manière dont ils ont été réalisés, nous mobilisons des recherches multidisciplinaires, en travaillant notamment avec des géologues. De telles découvertes n’avaient pas été faites depuis près d’un siècle. C’est un événement exceptionnel, non seulement pour Byblos, mais aussi pour le Liban et pour tout le Moyen-Orient.

J C : C’est d’autant plus exceptionnel que même en Égypte, nous n’avons pas connaissance d’une nécropole structurée en étages souterrains sous cette forme.

Vestibule de l'Hypogée V. ©Ministère de la Culture/Direction Générale des Antiquités – Musée du Louvre/Département des Antiquités orientales
Vestibule de l’Hypogée V.
©Ministère de la Culture/Direction Générale des Antiquités – Musée du Louvre/Département des Antiquités orientales
Archéologues fouillant l'Hypogée V. ©Ministère de la Culture/Direction Générale des Antiquités – Musée du Louvre/Département des Antiquités orientales
Archéologues fouillant l’Hypogée V.
©Ministère de la Culture/Direction Générale des Antiquités – Musée du Louvre/Département des Antiquités orientales

Est-ce que cela nous en apprend plus sur les pratiques funéraires à l’âge de bronze ?

J C : Avant toute chose, la nécropole est située sur un emplacement particulier, car elle se trouve sous une des portes urbaines principales de l’acropole. A l’époque, les portes urbaines n’étaient pas un simple passage entre l’intérieur et l’extérieur de la ville, mais bien un espace public majeur de la cité. Autour de cette porte urbaine, des temples étaient érigés et des cérémonies étaient organisées. Le mur d’enceinte lui-même avait une fonction symbolique de premier plan puisqu’il agissait comme un temenos, un mur séparant l’espace profane de la ville basse de l’espace sacré de l’acropole. Cette nécropole se trouvait donc à un emplacement stratégique, très valorisé dans l’organisation de la ville, au plus proche de la limite de son espace sacré. C’est là un indice parmi d’autres qui confirme que les tombes y étaient réservées aux élites urbaines supérieures de Byblos. D’ailleurs, nous n’avons retrouvé aucune tombe en simple fosse : toutes les tombes sont profondément creusées dans la roche-mère ; cela nécessite un investissement important, avec des ingénieurs expérimentés, en particulier pour les tombes de grandes dimensions.

Dans ces hypogées, nous avons découvert les ossements des défunts avec deux types d’inhumation : soit des inhumations primaires, dans lesquelles les défunts étaient placés dans des coffres en bois ; soit des inhumations secondaires. Cette caractéristique montre que les pratiques funéraires ne s’arrêtaient pas à l’enterrement des défunts : au bout d’un certain temps, les Anciens rassemblaient les ossements des défunts dans des ossuaires. Nous avons aussi trouvé beaucoup d’ossements d’animaux et de poteries, qui provenaient soit des offrandes déposées pour accompagner les défunts dans la mort, soit des restes de banquets funéraires organisés au moment des funérailles en hommage aux défunts.

A la lumière de ces découvertes, mais aussi des recherches passées, quelle est selon vous la place de Byblos à l’âge de Bronze dans la région, et notamment sa relation avec l’Egypte ?

T Z : Byblos, durant l’âge de bronze, avait une relation très étroite avec l’Egypte. Elle était fortement basée sur le commerce de plusieurs essences de bois et notamment le bois de cèdre, utilisé pour la construction des barques sacrées, des navires, des toits des palais et des temples. L’huile de cèdre était également utilisée pour l’embaumement et la momification des pharaons. Les liens avec l’Égypte se sont encore resserrés lorsque la déesse locale de Byblos, Baalat Gubal, fut assimilée à la déesse égyptienne Hathor, puis, à l’époque romaine, à Isis. La relation avec l’Egypte est exceptionnelle, l’influence égyptienne est partout à Byblos, notamment dans les temples.
Dans l’un des hypogées, nous avons trouvé un pectoral (type de bijou ou d’ornement porté sur la poitrine) égyptisant ou égyptien.

La céramique y tient quantitativement la plus grande place dans vos récentes découvertes. Qu’est-ce que cela nous apprend des pratiques artistiques de l’époque, et ces poteries vont-elles faire l’objet d’une exposition ?

Cruche peinte à anse torsadée. ©Ministère de la Culture/Direction Générale des Antiquités – Musée du Louvre/Département des Antiquités orientales
Cruche peinte à anse torsadée.
©Ministère de la Culture/Direction Générale des Antiquités – Musée du Louvre/Département des Antiquités orientales

J C : La majorité des poteries trouvées dans les tombes sont des productions locales. Dans l’Hypogée V, nous avons trouvé seulement deux céramiques importées, l’une d’Anatolie, l’autre d’Egypte. Cette dernière était soigneusement déposée en offrande en association avec l’ossuaire principal de l’hypogée. Mais les centaines d’autres poteries de cette tombe sont des productions locales. Cela étant dit, une grande quantité de poteries trouvées sont des reproductions locales de formes égyptiennes, ce qui montre là encore l’influence de la civilisation pharaonique sur la culture matérielle de Byblos. Parmi elles, des plats tronconiques et des petits bols hémisphériques, dont la forme vient du répertoire de la céramique égyptienne.

T Z : Nous avons aussi trouvé des scarabées qui étaient souvent offerts en hommage aux défunts. Certains d’entre eux, notamment ceux en améthyste, ont été importés d’Égypte.
Concernant les expositions, nous en avons déjà organisé une au Louvre en 2022 dédiée à ces découvertes, avec une rétrospective sur les 100 dernières années de fouilles à Byblos. Une autre exposition a été organisée aux Pays-Bas, à Leyde, au Musée National des Antiquités (RMO) en 2022-2023. Prochainement, une exposition aura lieu à l’Institut du monde arabe, en mars 2026, en partenariat avec le Louvre. Celle-ci aurait dû se tenir en novembre 2024, mais la dure réalité de la guerre nous a frappés de plein fouet. Nos priorités se sont alors redirigées vers la protection de notre patrimoine, si précieux, sur l’ensemble du territoire libanais, un patrimoine qui appartient également à l’humanité toute entière.

Nous souhaitons aussi organiser une exposition à Byblos-même, dans la maison traditionnelle qui se trouve sur le site et qui est actuellement en partie restaurée grâce à un financement du RMO. Cette exposition se fera en partenariat avec le musée du Louvre et grâce à une donation de la CMA CGM au printemps prochain. Par ailleurs, un Hors-Série sera publié d’ici quelques mois partageant les travaux de divers chercheurs, libanais et internationaux, sur les résultats des recherches archéologiques concernant les hypogées.

Les fouilles ont été stoppées avec la guerre de l’automne dernier. Prévoyez-vous de reprendre vos recherches en 2025 ?

T Z : En principe, nous devrions réaliser de nouvelles fouilles prochainement.

Quels sont les obstacles auxquels vous faites face pour réaliser des fouilles ?

T Z : Sur un plan logistique, les fouilles des hypogées sont complexes car les tombes sont juxtaposées. Nous devons réaliser des travaux d’étaiement avant d’accéder aux tombes afin de garantir la sécurité de nos archéologues et de préserver les découvertes. Nous souhaitons conserver au mieux les hypogées, réaliser les aménagements nécessaires et à terme, les mettre en valeur en offrant un accès touristique.

Quels sont les obstacles pour réaliser de nouvelles recherches, est-il possible de réaliser des fouilles sous le souk actuel de Byblos par exemple, sous la ville actuelle ?

T Z : Avant tout, Byblos est une ville classée au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1984. Tout permis de construction, d’infrastructure et de restauration devrait obtenir l’accord de la Direction Générale des Antiquités au préalable afin d’éviter d’endommager les sous-sols archéologiques. L’archéologie du 21e siècle est très avancée, et pluridisciplinaire. Nous utilisons des technologies nouvelles, comme le géoradar, ce qui nous permet d’effectuer des travaux scientifiques avant même de procéder à des fouilles. Aussi, avec l’expérience sur le terrain, nous sommes également capables d’identifier à l’avance les lieux où les probabilités de découvrir des structures archéologiques sont faibles ou au contraire très hautes.

Actuellement, avec le musée du Louvre, nous réalisons des fouilles à l’intérieur du site archéologique de Byblos. Nous n’avons pas la contrainte de la fouille urbaine que nous menons continuellement aussi bien dans la vieille ville que dans la ville moderne. La fouille des hypogées présente une grande complexité, car c’est le lieu même qui pose des défis. Nous creusons dans la roche friable et nous voulons assurer une sécurité maximale aussi bien pour l’équipe que pour les artefacts.

J C : Il faut faire la distinction entre les fouilles programmées qui ont lieu dans des sites qui sont des réserves archéologiques, et les fouilles urbaines, préventives, qui ont leurs propres contraintes. Actuellement, à Byblos, les fouilles que nous conduisons sont réalisées à l’intérieur du site archéologique.

Publié le 16/05/2025


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


Tania Zaven est directrice du site de Byblos et du projet Byblos Hypogeum (Direction Générale des Antiquités du Liban, DGA).


Julien Chanteau est archéologue au département des Antiquités orientales du musée du Louvre et directeur des fouilles de Byblos.


 


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