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ATTA KENARE / AFP
Le début du printemps dans nos latitudes correspond à une fête héritée des temps iraniens anciens, dont l’histoire est à la fois mythique et historique, comme on le dit au commencement des contes « rūzī būd, rūzī nabūd… » (1). Cette fête qui est célébrée, aujourd’hui encore, dans les pays qui composaient une grande partie de l’Empire sassanide, à savoir l’Azerbaïdjan, l’Inde, l’Iran, le Kirghizistan, le Pakistan, la Turquie et l’Ouzbékistan est déterminée non par le calendrier luni-solaire en vigueur mais par une observation astronomique, signe auspicieux et divin du renouveau et des changements.
A l’approche de la fête de Nōrūz, entre le 20 et le 21 mars 2019, voici ce billet d’écriture (2) neuf et quelques bulbes de connaissances (3).
Nō-rūz, le nouveau jour en persan, correspond au premier jour du calendrier iranien et zoroastrien. Sa divinité tutélaire est le dieu le plus important du panthéon mazdéen : Ahura Mazdā en souvenir du jour où celui-ci créa l’univers et le premier homme. Il représente également tant dans le monde physique, le gētīg, que dans le monde spirituel, le mēnōg, la victoire des forces du Bien, les soldats d’Ahura Mazdā, et de la Lumière sur les forces du Mal, les soldats d’Ahriman, qui opèrent dans l’obscurité car c’est à ce moment où le jour égale la nuit et la surpasse pour éclairer à nouveau le monde pendant la majeure partie de la journée.
Le personnage mythique qui y est associé est le maître du temps, le roi qui était un modèle de dominance du monde mais que son hubris a perdu : Jamšid. Créateur des arts et du jour de Nōrūz, détenteur de la clef du monde des démons, Jamšīd est similaire à la figure de Salomon dans les traditions abrahamiques. L’idée qui sous-tend la création puis la révolution du soleil est celle d’un cycle au terme duquel la nature se renouvelle, à partir du premier jour de l’an ; car la mission de Jamšīd, donnée par Ahura Mazdā, est celle de régner sur la terre de la nourrir et de combattre les démons. Le nouveau cycle céleste annonce également un évènement essentiel pour la trame de la légende iranienne telle que narrée dans le Šāhnāmeh et la littérature zoroastrienne qui ne cessera d’y faire référence : la victoire définitive de l’armée iranienne sur son ennemi Afrāsiyāb annoncée, au lever du jour, par l’oiseau Karšiptar ou Čaxrwāk. A l’issue de ce combat, Jamšīd est sacré roi pour avoir apporté la prospérité et la paix à son peuple. Ce jour de Nōrūz est également celui qui voit arriver les délégations de toutes les satrapies de Perse pour célébrer avec le roi, le nouvel an dans le palais ou Apādānā de Persépolis. Sur l’escalier qui mène au palais de l’Apādānā, le combat du lion et du taureau, symbolisant la victoire de la constellation de l’été sur l’hiver est représenté au centre des personnages rassemblés autour du roi achéménide pour fêter le renouveau avec faste.
Jour du printemps marquant celui du renouveau de la nature, éveillée de son songe hivernal, Nōrūz est naturellement le jour idéal pour commencer l’année sous de bons auspices. Pour s’assurer de l’aborder légèrement, le mardi avant le jour de Nōrūz, a lieu la première festivité qui annonce le premier jour de l’an : le čahār šanbeh sūri (4).
Bien que son nom signifie « le mercredi enflammé », cette fête est désormais organisée le mardi soir. Car, depuis la conquête musulmane, ce jour est celui du diable diront certains, car le mercredi commence dans la soirée du mardi diront d’autres. Laissons là les querelles attrayant tant à l’histoire de cette fête qu’à celle de l’établissement du jour de Nōrūz et avec elle l’origine du calendrier iranien car elles n’ont toujours pas trouvé de dénouement parmi les philologues et les historiens.
Lors du čahār šanbeh sūri, sept feux sont allumés au-dessus desquels on saute avec allégresse pour s’adjoindre la force du feu en lui murmurant ou en criant : sorxi-e to az man, zardi-ye man az to (5). Ressourcés par l’ordalie mentale du feu et son énergie, on peut aborder sereinement le jour de l’an neuf qui sera annoncé par un signe céleste et astrologique : celui de l’apparition de la première étoile de la constellation du Bélier à l’Est.
La détermination du début du calendrier iranien suit un modèle antique selon lequel les sages astronomes doivent s’assurer, en observant le ciel, que le jour qui commémore le commencement du temps mythique où le Soleil, la Lune et les planètes ont commencé à tourner est exactement conforme à l’original.
Le calendrier zoroastrien iranien est un calendrier lunisolaire ou métonique constitué de 365 jours (12 mois de 30 jours basés sur les mois lunaires plus 5 jours épagomènes), nommés chacun du nom d’une divinité selon le sī-rōzag. Sa constitution hybride témoigne des influences et des modèles qu’il a suivis. Le système des jours épagomènes est un emprunt au calendrier égyptien tandis que la date du nouvel an est sans doute un héritage babylonien. La prééminence de Jupiter dans le ciel iranien serait également issue des connaissances mésopotamiennes, Jupiter étant associé par les sumériens à Marduk, le dieu tutélaire de Babylone. L’année est divisée en quatre parties égales - entre les fêtes de Nōrūz et Mehregān aux équinoxes de printemps et d’automne ; Rapithwin et Yaldā pour les solstices d’été et d’hiver - et six fêtes de saisons, appelées gāhāmbārs. Ces périodes divisent le temps du monde entre celui des dieux et les démons durant les quatre périodes du jour et les quatre saisons de l’année. La plus importante d’entre elles est celle qui inaugure le premier jour de l’an, Nōrūz, et qui est précédée des dix derniers jours de l’année, les Fravardegān ou Fravardiān, les jours liés aux Fravašis qui symbolisent les âmes des défunts, soit les jours dédiés aux morts ou jours de Gāthās (6).
Un ouvrage attribué au sage astronome, savant mathématicien et poète Omar Khayyam (1048-1131), le Nōrūz nāmeh, conte la visite au Roi des Rois (Šahanšah), au matin de Nōrūz, du plus haut dignitaire religieux, le mōbed-e mōbedān, lui apportant une coupe de vin, un anneau, des pièces de monnaie, des graines germées, une épée, un arc, une plume et de l’encre, un cheval, un faucon, un beau serviteur plaisant au regard ; les éléments essentiels à la démonstration de son pouvoir et à l’assurance du bien-être de ses sens tout en lui disant ces mots :
Pendant la fête de Farvardin, le mois de Farvardin, choisis la liberté. Que Srōš t’apporte la paix, la vision et la compétence. Puisses-tu vivre longtemps dans la dignité. Que les souhaits de tes ancêtres soient dans la rectitude et généreux, empreints de vérité et justes. Chéris l’art et la connaissance.
Treize jours après Nōrūz, durant le sīzdeh bedar, les Iraniens se rendent dans des endroits où la végétation abonde pour y célébrer le renouveau installé et remercier implicitement les étoiles, leurs divinités tutélaires et celles présidant à la Nature, de leurs bienfaits et des changements positifs qu’ils donneront la force et la volonté d’opérer pour l’année à venir.
Notes :
(1) Il était un fois, litt. : Il fût un jour qui ne fût pas.
(2) Il est de coutume d’offrir des billets neufs et de porter des habits neufs le jour de Nōrūz.
(3) A l’instar des bulbes de jacinthe (sonbol), destinés à engendrer la fleur au printemps, que les Iraniens disposent sur leur table de Nōrūz avec les sept éléments (haft sīn) symboliquement nécessaires au bon déroulement de l’année : sabze (les graines germées), samanu (un pudding de graines de blé germées), senjed (un fruit iranien), serke (le vinaigre), sīb (la pomme), sīr (l’ail), sumaq (une épice orientale).
(4) Egalement appelé çarşema sor par les turcs Yezidis qui pratiquent également cette coutume.
(5) Prends ma pâleur et donne- moi ta rougeur.
(6) Une partie des zoroastriens d’Inde, les Parsis, fêtent le nouvel an au solstice d’été et cette différence de calendrier est une source de discorde importante entre les communautés. Par plus d’informations et de références à ce sujet, voir mes articles publiés dans les Acta Orientalia Belgica XXIX et XXX.
Quelques références bibliographiques :
– ‘Ali VOSURI, Nōrūz nāmeh, Cheshmeh, 1391 (2012), Téhéran.
– Antonio PANAINO, The Astronomical Conference of the year 556 and the Politics of Xusraw Anōšag-ruwān, dans Commutatio et contentio, Studies in the Late Roman, Sasanian, and Early Islamic Near East, (1996).
– David PINGREE, Māshā’allāh : Greek, Pahlavī, Arabic and Latin Astrology. Na, 1997.
– David PINGREE, The Byzantine Translations of Māshā’allāh on Interrogational Astrology, The Occult Sciences in Byzantium, 29, (2006).
– David PINGREE, Historical horoscopes, Journal of the American Oriental Society, (1962).
– Enrico RAFFAELLI, The Sih-Rozag in Zoroastrianism : A Textual and Historico-Religious Analysis, Routledge, Oxford, 2014.
– Sayyed Hasan TAQIZADEH, Various Eras and Calendars Used in the Countries of Islam, Bulletin of the School of Oriental Studies, University of London, (1939), p.112.
– http://www.iranicaonline.org/articles/nowruz-index
– http://www.persepolis3d.com/
Florence Somer
Florence Somer est docteure en anthropologie et histoire religieuse et chercheuse associée à l’IFEA (Istanbul). Ses domaines de recherche ont pour cadre les études iraniennes, ottomanes et arabes et portent principalement sur l’Histoire transversale des sciences, de la transmission scientifique, de l’astronomie et de l’astrologie.
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(Article initialement publié le 5 octobre 2020)
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