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Myriam Benraad, L’Irak

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 27/01/2011 • modifié le 25/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Pour l’auteur, « l’imaginaire qui entoure l’Irak et imprègne fortement les esprits, en Orient comme en Occident, n’en recèle pas moins une série de confusion souvent très anciennes et aujourd’hui largement répandues ».
 C’est ainsi que l’historique de la Mésopotamie est rappelé, en particulier l’ancienneté de la civilisation, l’unification territoriale sous Hammourabi ; la gloire, éphémère, de la ville de Babylone.
 La question religieuse est également abordée, par le rappel de l’origine du sunnisme et du chiisme et de leur développement respectif en Irak. L’auteur explique qu’« incontestablement, l’opposition théologique entre dogme sunnite et chiite a tissé la toile de fond d’une histoire pétrie de déchirements et dont l’Irak fut l’épicentre. Cette dimension explique aussi pourquoi, après 2003, la progression des violences confessionnelles a poussé de nombreux observateurs occidentaux à appréhender le conflit irakien comme étant d’essence religieuse ». La vision de ces observateurs est cependant réductrice : des chiites ont été réprimés sous la présidence de Saddam Hussein, de même que l’opposition au sein des sunnites. Ce n’est qu’en 2006 que « la vague d’attentats anti-chiites de l’organisation radicale d’Al-Qaida (…) plonge l’Irak dans la guerre confessionnelle ».
 Sur le plan territorial, l’Irak est fondé en 1921, mais nombre d’historiens s’accordent à dire que ses frontières sont « artificielles ». En réalité, selon les sources historiques, « dès l’Antiquité et au Moyen Age, le terme ‘’Irak’’, entendu comme notion administrative, était omniprésent dans les sources écrites et se référait à une seule et même entité géographique. L’Irak comme réalité territoriale fut donc bien antérieure à la dynamique de construction étatique des années 1920 ».
 Des réalités contemporaines sont également analysées, comme la dimension religieuse de la guerre Iran-Irak, et comme les conséquences de l’embargo sur le régime de Saddam Hussein. Concernant la guerre Iran-Irak, la raison de ce conflit est essentiellement territoriale (autour des régions du Khouzistan iranien et du Chatt al-‘arab) et pétrolière (l’Irak voulant s’emparer des territoires pétroliers iraniens). Quant à l’embargo, il est mis en place en août 1990, à la suite de la résolution 661 de l’ONU. Comme l’analyse l’auteur, « on serait ainsi en droit de penser que l’embargo a affaibli le régime de Saddam Hussein, déjà très fragilisé ». Cependant, elle poursuit sa démonstration en expliquant que « les sanctions se muent ainsi paradoxalement en ressource politique pour le régime ».

La société est traitée, au travers de plusieurs thèmes : la nation, la société civile, le statut des femmes, la laïcité, la notion de tribu.
 L’idée qu’il n’existe pas de nation irakienne est réfutée par l’auteur. Cette idée de nation s’est ainsi développée et construite à partir des années 1920, au moment de la Grande Révolution, qui a vu l’union de la population contre la présence britannique. De nos jours, « la survivance d’un sentiment nationaliste en Irak s’affirme (…) à travers l’insurrection armée qui transcende les identités. Comme à l’époque de la révolte anti-britannique, le soulèvement s’articule autour d’un registre national et de la notion de ‘’résistance’’ (mouqawama) au projet étranger. En 2004, la solidarité des mouvances armées sunnite et chiite lors des sièges de Fallouja et de Najaf témoigne de ce phénomène ».
 De même, la notion de société civile, dont certains estiment qu’elle ne s’applique que faiblement au Moyen-Orient, se rencontre au contraire dans la région dès le XIV ème siècle. En Irak, « si l’Etat-nation (…) ne s’est pas formé autour d’une société structurée et démocratique, les décennies qui ont suivi sa création ont vu éclore un fort engagement citoyen et une multiplicité d’associations sociales et culturelles ».
 Le statut des femmes est également évoqué. Si certains acquis sont réalisés pendant les années baasistes, ils sont dus au combat mené par celles-ci, et ne sont pas la « résultante du caractère prétendument ‘’progressiste’’ du régime baasiste ». La fin du régime de Saddam Hussein n’a pas amélioré leur situation qui s’est dégradée tant au niveau de leurs droits que de leurs conditions de vie.
 La notion de la laïcité est également abordée, le régime baasiste étant laïque. Mais, « en dépit des apparences, l’idéologie baasiste ne fut jamais totalement dissociée de l’islam ».
 L’idée que les tribus sont toujours importantes en Irak a été au centre de nombreuses discussions. Il y a environ 150 tribus en Irak, composées de quelques 2000 clans. Les tribus évoluent au cours de l’histoire et tendent à perdre de leur autorité avec la construction de l’Irak moderne au XX ème siècle, puis avec l’arrivée du Baas au pouvoir. Cependant, « le tribalisme reste en réalité très présent » sous Saddam Hussein, qui s’appuie sur le « tribalisme d’Etat ». A la suite de l’intervention anglo-saxonne de 2003, les tribus ne sont au départ par utilisées par la coalition dans la refonte politique interne de l’Irak. Cette position évolue à partir de 2007, certaines tribus collaborant avec la coalition. Cependant, « le ‘’retour’’ des tribus dans l’après 2003 doit être nuancé. Sans le soutien matériel et financier des forces étrangères, leur combat contre Al-Qaida n’aurait pas remporté le succès qu’on lui connaît. Le ‘’réveil’’ tribal ne peut se définir comme une force autosuffisante et s’est vu ébranlé par le retrait américain des principales villes d’Irak ».

L’auteur analyse la dimension internationale et revient en particulier sur l’impréparation américaine de l’après guerre, sur la « débaasification de la société irakienne », sur l’écroulement de l’appareil d’Etat qui en résulte. En dépit de cette impréparation, la volonté américaine de renverser le régime de Saddam Hussein était visible dès les années 1996.
 La question pétrolière comme moteur de l’intervention en Irak est aussi abordée par l’auteur : si le pétrole est une motivation de l’intervention américaine, elle est progressivement abandonnée par certains acteurs américains, en désaccord avec la stratégie orchestrée par les néoconservateurs. Ils avaient en effet misé sur une augmentation de la production de pétrole irakien qui aurait pour conséquence l’effondrement du cours du pétrole, favorable à la reprise économique américaine, et à la mise en échec des « Etats voyous ».
 La question de la nationalité des membres d’Al-Qaida est également soulevée : « Composée initialement de combattants étrangers, l’organisation jihadiste va connaître au fil des mois d’importantes recompositions internes et ‘’s’irakifier’’ ».
 Il apparaît en outre, pour conclure sur les « occupations militaires », que le surge américain, c’est-à-dire l’« escalade » militaire décidée par l’administration américaine en 2007, s’il a permis de faire décroître la violence en Irak, a également « participé d’une complexification du conflit autour de nouvelles tensions », auprès des sunnites, auprès des tribus et dans les relations inter-irakiennes.

Les « dynamiques politiques » de l’Irak sont également traitées, à travers l’étude des chiites, des Kurdes et des sunnites. L’histoire des chiites d’Irak est rappelée (répression notamment pendant le régime de Saddam Hussein), ainsi que le rapprochement effectué par l’Iran : « indiscutablement, l’Iran a tiré profit des dynamiques de la violence pour étendre son influence en Irak par divers moyens ». Cependant, pour l’auteur, « déduire de cette influence un lien systématique entre les chiites d’Irak et d’Iran voisin relève d’une lecture simpliste. L’idée même d’une ‘’communauté’’ chiite (…) ne renvoie de fait à aucune réalité sociologique unifiée et réduit la grande diversité du chiisme irakien ». En outre, les chiites d’Irak s’estiment Arabes mais non Perses. La question kurde est aussi analysée, avec un rappel de l’histoire de ce peuple et des étapes de leur recherche de l’autonomie. Quant aux sunnites, si certains considèrent qu’ils regrettent les années baasistes, en réalité « l’opposition des Arabes sunnites au processus de transition n’est pas tant le résultat de leur attachement prétendu au Baas qu’une réaction à la mise en marge politique et sociale massives dont ils font l’objet ». Au final, l’idée se répand en 2003 de la séparation de l’Irak en trois entités territoriales : kurde, sunnite et chiite. En Irak, ce projet est mal accueilli, en particulier chez les sunnites et les chiites, « qui dénoncent le caractère artificiel et l’illégitimité de ce projet ».

Au final, « la déconstruction critique d’un certain nombre d’idées reçues permet (…) de saisir toute la complexité des reconfigurations de l’Irak contemporain. Elle invite surtout à mettre en exergue les limites de nombreuses grilles de lecture développées ces dernières années pour appréhender les ressorts du conflit ».

Myriam Benraad, L’Irak, Paris, Le cavalier bleu Editions, Collection idées reçues, 126 pages, août 2010.

Publié le 27/01/2011


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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