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Mouvement de résistance ou organisation terroriste : de quoi le Hezbollah libanais est-il le nom ? (2/2)

Par Ines Gil
Publié le 12/06/2020 • modifié le 23/06/2022 • Durée de lecture : 8 minutes

Women wave a Lebanese national flag and Lebanese Shiite movement Hezbollah flags in front of portraits of Iran’s supreme leader Ayatollah Ali Khamenei ® and Hezbollah leader Hassan Nasrallah, in the southern Lebanese town of Bint Jbeil on August 13, 2016, during a commemoration marking the tenth anniversary of the end of the war between Hezbollah and Israel.

MAHMOUD ZAYYAT / AFP

Lire la partie 1

Le Hezbollah, parti de la résistance ou groupe terroriste ?

Groupe terroriste ou porte drapeau de la résistance ? Cette question revient constamment lorsqu’on aborde le sujet du Hezbollah. Pour certains, il est avant tout un groupe de résistance face à l’occupation israéliennes et dans une moindre mesure, contre les organisations takfiristes. Pour d’autres, il est surtout une organisation qui fomente des attentats, profite des réseaux de contrebande illégaux et alimente la violence au Moyen-Orient, notamment contre Israël et contre les groupes rebelles ou la population civile en Syrie. Selon Didier Leroy, « ces deux discours sont construits ». Ils sont le fruits de liens entretenus avec le mouvement chiite, avec le Liban et avec les autres pays de la région, et dépendent d’intérêts internes et de calculs géopolitiques.

La branche politique du Hezbollah classée comme terroriste en Allemagne

Quand Berlin décide d’inscrire la branche politique du Hezbollah comme organisation terroriste fin avril 2020, l’annonce semble venir de nulle part. Elle survient alors que l’Europe est plongée dans une crise sanitaire majeure. Et surtout, qu’aucune opération liée à des questions sécuritaires ne semble avoir été menée récemment contre le groupe libanais sur le territoire allemand. D’autant plus qu’avec cette mesure, l’Allemagne va à l’encontre de la position européenne vis-à-vis du mouvement [1].

Qu’est-ce qui a donc pu pousser Berlin à prendre une telle mesure ? Pour le journaliste spécialiste de la région Georges Malbrunot, les « services de renseignements allemands » ont longtemps joué « les médiateurs entre Israël et le Hezbollah dans des échanges de corps de prisonniers » [2]. En effet, en 2004, une médiation allemande avait permis la libération de 400 détenus par Israël, en échange « des restes de trois soldats israéliens et d’un Israélien qualifié d’”espion” par le Hezbollah » [3]. Berlin aurait de nouveau endossé le rôle de médiateur en 2008 pour favoriser le transfert de dépouilles de soldats israéliens tués pendant la guerre de 2006 en échange de la libération d’un détenu libanais. Mais ce rôle de médiateur ne serait plus d’actualité aujourd’hui, puisqu’il n’y aurait plus de prisonniers à échanger.

La presse internationale a souligné l’existence de pressions américaines et israéliennes pour pousser l’Allemagne à classer la branche politique du Hezbollah comme terroriste et ainsi, s’aligner sur leur position. Une idée renforcée par les déclarations de Hassan Nasrallah. Le chef du Hezbollah a dénoncé une décision « politique », qui illustre selon lui « une soumission à la volonté américaine » qui vise à « satisfaire Israël » [4]. Même son de cloche du côté du Président du Conseil supérieur chiite. Abdel Amir Kabalan a appelé au « retrait immédiat de cette décision injuste, à laquelle ont contribué les pressions et les diktats sionistes et américains » [5].

Pour le chercheur Karmon Ely, interrogé par Les clés du Moyen-Orient, la décision allemande a certes pu être influencée par les « relations stratégiques entre l’Allemagne et Israël » fruits de « l’histoire de l’Allemagne vis-à-vis du peuple juif ». En effet, « la chancelière Angela Merkel est connue pour sa sympathie envers Israël ». Néanmoins, les pressions d’Israël ou des Etats-Unis n’ont pas joué un grand rôle selon le chercheur israélien spécialiste du Moyen-Orient : « ces pressions ne sont pas nouvelles. Depuis des années, Israël et les Etats-Unis poussent les Etats européens à reconnaître la branche politique du Hezbollah comme terroriste ». Pour Karmon Ely, « sur ce dossier, l’Allemagne a avant tout défendu ses intérêts ». C’est aussi ce qu’affirme Berlin. Dans le quotidien allemand Bild, le ministre de l’Intérieur Horst Seehofer assure que la décision a été motivée par « ses activités illégales et la préparation d’attentats sur le sol allemand » [6].

Les activités du Hezbollah en Allemagne

Selon Karmon Ely, le Hezbollah se servirait de la légalité de sa branche politique pour organiser des actions violentes en Europe, notamment contre des cibles israéliennes ou juives : « L’Europe a commencé à se rendre compte des dangers que représentait le Hezbollah à partir de 2013 : il a alors été prouvé que le groupe libanais était engagé dans de multiples attaques à Chypre comme des touristes israéliens. Puis dans une attaque en Bulgarie ».

Concernant ces affaires, dans son ouvrage Le Hezbollah, mobilisation et pouvoir, la chercheuse Aurélie Daher relève que dans le cas chypriote, « un Libanais détenu à Chypre et accusé d’avoir surveillé les arrivées d’avions en provenance d’Israël a reconnu être membre du Hezbollah ». Cependant, elle affirme que l’affaire bulgare est plus floue : « le 18 juillet 2012, un bus transportant des touristes à Burgas, en Bulgarie, est la cible de ce qui semble être une attaque suicide : 7 personnes sont tuées, et 30 blessées. Tel-Aviv et Washington ont immédiatement accusé Téhéran et le Hezbollah, mais ceux-ci ont nié toute responsabilité ». Finalement, le Hezbollah est accusé par les autorités bulgares d’avoir fomenté l’attaque. Mais l’enquête fait l’objet de diverses critiques, d’une part de certains reporters internationaux sur place, et d’autre part de la police bulgare elle-même. Une enquête menée par le Correspondant du Monde à Sofia révèle la « frustration de la police locale et des juges face aux parades régulières des agents israéliens et américains dans leurs bureaux ». La chercheuse note que « depuis la guerre de 2006, les gouvernement israéliens successifs ont lancé des campagnes internationales contre [le Hezbollah], tirant la sonnette d’alarme sur la “préparation d’attaques imminentes” contre des citoyens israéliens dans divers pays amis d’Israël (…). En Géorgie, en Azerbaidjan, au Kenya en Thaïlande, à Chypre et en Bulgarie ».

Dans un article écrit pour la Fondation pour la recherche stratégique en novembre 2017, le chercheur Jean-Luc Marret, qui travaille sur les réseaux du groupe chiite dans le monde, affirme qu’en « Allemagne, un rapport d’évaluation de la menace du ministère de l’Intérieur datant de 2008 évaluait (…) le nombre de militants du Hezbollah (…) à près de 900 ». Selon lui, leur action « consiste à organiser des campagnes de grande envergure, tout en évitant de tomber sous le coup de la loi ». Ainsi, « chaque année, le 23 mai, le Hezbollah organise une journée de la libération à Berlin et des célébrations de la victoire sur une plus petite échelle en province. La présence de parlementaires du Hezbollah est régulièrement notée » [7]. Une réalité confirmée par le Joseph Daher durant notre entretien. Le chercheur syro-suisse assure que « le mouvement avait pignon sur rue en Allemagne avant son interdiction en avril dernier ».

Pour le groupe libanais, l’inscription sur une liste comme organisation terroriste peut avoir des conséquences matérielles (à cause des sanctions prises contre le parti, des restrictions pour organiser ses activités et se déplacer) mais aussi en terme d’image (en se présentant comme parti de la résistance, ou comme un parti libanais comme les autres, le Hezbollah est en recherche de légitimité).

Selon Joseph Daher, malgré la décision allemande, « les relations entre Berlin et Beyrouth ne devraient pas changer ». Cependant, le chercheur tient à rappeler qu’une certaine cohérence s’impose face au Hezbollah : « si on considère que le Hezbollah est une organisation terroriste, il faut dès lors penser que le gouvernement libanais a des ministres affiliés ou sympathisants du Hezbollah ». Selon lui, « cela peut mener à des situations ubuesques. Par exemple, lorsque Donald Trump expliquait à l’ancien Premier ministre libanais Saad Hariri, sur le parvis de la Maison blanche, qu’il fallait lutter contre les actions terroristes du Hezbollah. Saad Hariri avait dû lui expliquer que le mouvement faisait partie du gouvernement libanais ». Pour éviter ce types de scénarios, « certains gouvernements », comme la France, « évitent de désigner le Hezbollah comme totalement terroriste ».

La France se démarque

En février 2000, le Premier ministre français de l’époque, Lionel Jospin, crée la polémique en qualifiant le Hezbollah de « terroriste » [8] durant une conférence de presse à Jérusalem. Quelques jours plus tard, il est pris à parti et caillassé par des étudiants palestiniens à la sortie de l’Université de Birzeit (Territoires palestiniens). Suite à l’incident, le Président Jacques Chirac publie un communiqué, rappelant la nécessaire « impartialité » de la France en ce qui concerne les relations avec le Liban et avec Israël, et une partie de la classe politique condamne les propos du Premier ministre.

En raison des liens historiques qui lient Paris et Beyrouth, la France a toujours abordé la question du Hezbollah avec précaution. Dans une interview réalisée par Le Point, l’ancien ministre des Affaires étrangères Hervé de Charette (1995-1997) affirmait que « Le Hezbollah est devenu aujourd’hui l’une des principales forces politiques au Liban, en même temps que l’une des organisations armées les plus fortes au Moyen-Orient ». Selon lui, la France n’a aucun intérêt à suivre la politique de Washington et de Tel-Aviv : « les gesticulations diplomatiques des États-Unis et d’Israël ne nous empêcheront pas d’avoir une diplomatie indépendante dans la région » [9].

Ainsi, Paris opère toujours une distinction entre la branche politique et la branche armée du Hezbollah. La France a par ailleurs influencé la position de l’Union européenne. Dans son ouvrage sur le Hezbollah, Aurélie Daher rappelle que « le 18 janvier [2013], les ministres européens des Affaires étrangères ont proposé d’inscrire le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes ». Cependant, certains pays, « en particulier la France » s’opposent alors à la démarche. Finalement, en mai 2013, le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Laurent Fabius, annonce que la France soutiendra finalement « l’inclusion de la branche militaire du Hezbollah [et non plus la branche politique] dans la liste des organisations terroristes » [10]. Depuis, la branche armée du Hezbollah est classée comme terroriste par la France [11], mais pas la branche politique. Une solution qui permet à Paris de préserver ses bonnes relations avec le Liban, tout en condamnant les actions armées du « Parti de Dieu ».

Sur le sol français, « le Hezbollah en tant que tel est légalement toléré, mais dans les faits, dans d’étroites limites comportementales » affirme le chercheur Jean-Luc Marret, (« par exemple, pas de propagande visible ou pas de collecte agressive ou illégale de fonds, etc. »). En octobre 2018, une perquisition de police au centre Zahra a rouvert le débat sur l’existence d’activités terroristes de groupes alliés du Hezbollah sur le sol français. Cette association religieuse chiite, « anti-sioniste » constituait un « relais de l’influence iranienne dans l’Hexagone » [12] avant sa fermeture quelques mois plus tard, en juin 2019 [13], pour relais de « propagande ayant pour objet de glorifier la lutte armée et de provoquer la haine et la violence ». Si le centre est ouvertement « aligné sur les prises de position de la République islamique d’Iran et du Hezbollah », il n’existe cependant pas, à ce jour, de preuves de liens entre la branche politique du parti chiite et le Centre Zahra.

Conclusion

Fin stratèges politiques, les membres de la direction du Hezbollah s’adaptent au contexte local pour exister, évoluer et influencer, faisant preuve d’un fort pragmatisme. Au Liban, au lendemain de la guerre civile, le Hezbollah comprend qu’il ne pourra jamais imposer un Etat islamique dans ce pays pluri-confessionnel. Il s’intègre donc progressivement à la vie politique libanaise. En Europe, même si sa branche politique n’est pas inscrite comme terroriste dans certains Etats (la France et l’Espagne), il se fait très discret. En revanche, en Amérique latine ou en Afrique de l’ouest, le Hezbollah profite de la faiblesse de certains Etats pour s’organiser et implanter des réseaux qui visent notamment à financer l’organisation. Hormis Israël, même les Etats qui l’ont inscrit comme terroriste sans distinction entre sa branche politique et sa branche armée ont gardé des relations cordiales avec le parti lorsque les contacts sont nécessaires au Liban. Mouvement de résistance, parti politique libanais, groupe terroriste, quelqu’il soit, il est devenu une force politique et armée majeure dans la région.

Publié le 12/06/2020


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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