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Moussa Sadr, « l’imam disparu »

Par Olivia Blachez
Publié le 06/04/2011 • modifié le 15/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Moussa Sadr en 1970

AFP

Sa famille

Né à Qom (Iran) en 1928, Moussa Sadr descend d’une grande famille de clercs chiites, les Sharaf al-Din, originaires du sud du Liban. Celle-ci a émigré en Iran au moment des persécutions des minorités chiites par l’Empire ottoman, au XVIIIe siècle. Les clercs de la famille acquièrent un rôle social et religieux important à Najaf (actuel Irak). A partir de 1925, son grand-père s’oppose à la dynastie réformatrice des Pahlavi qui menace le rôle du clergé en Iran.

Education, entrée en politique

Moussa Sadr a un parcours universitaire original, dans la mesure où il suit à la fois une formation religieuse à la hawza (séminaire pour les chiites), en même temps qu’il étudie le droit et l’économie à l’université de Téhéran. Il finit ensuite sa formation religieuse à Najaf, ville sainte d’Irak, à la fin des années 1950 et obtient le diplôme le plus important de l’enseignement religieux chiite, qui permet d’exercer l’interprétation d’un texte sacré (ijtihad). A Najaf et à Qom, le jeune clerc se lie d’amitié avec des étudiants très impliqués en politique. Il fréquente les cercles réformistes (notamment les futurs fondateurs du parti al-Da ‘wa), ou encore des clercs qui deviendront des personnages centraux de la révolution islamique et du nouveau régime en Iran. « Moussa Sadr est donc un représentant typique de ces milieux cléricaux activistes d’Irak et d’Iran au sein desquels sont nés les premiers mouvements islamistes chiites, mais ce sont ses réseaux familiaux plus que ses réseaux politiques qui expliquent sa carrière exceptionnelle au Liban » [1].

L’arrivée au Liban

En 1959, l’imam Moussa Sadr retourne au Liban et succède à l’un de ses oncles à la tête de la communauté chiite de la ville de Tyr (Liban-Sud). Son ascension à la tête de la communauté libanaise chiite est remarquable. En effet, grâce à son « talent » et à son « charisme », mais aussi à ses « liens familiaux anciens » et à son « insertion dans les réseaux professionnels du clergé », il parvient à « surmonter son statut d’étranger » (il parle arabe avec l’accent persan) et à passer outre sa « méconnaissance de la société locale ». En 1963, il obtient la nationalité libanaise.

La politisation des chiites au Liban

Au Liban, Moussa Sadr joue un rôle essentiel à la tête de la communauté chiite. Grâce à lui, le statut des chiites évolue dans la vie politique libanaise, fondée sur un système de quotas pour chaque communauté, instauré à l’époque du mandat français. Au début des années 1960, les chiites sont en passe de devenir majoritaires mais demeurent exclus de la vie politique. En outre, la communauté est peu organisée et marginalisée d’un point de vue socio-économique. Moussa Sadr propulse les chiites libanais sur le devant de la scène politique en exigeant la création du Conseil islamique chiite supérieur, qui voit le jour en 1967 [2]. Cet organe national est le premier moyen de représentation des chiites au Liban. L’imam en prend la direction en 1969. Moussa Sadr va « bouleverser les équilibres politiques à l’intérieur de la communauté chiite libanaise en dénonçant le pouvoir des notables, pour la plupart des grands propriétaires terriens qui monopolisaient la représentation des chiites au Parlement ». Par sa voix, le clergé redevient un « acteur incontournable du jeu politique » [3], un temps éclipsé par la montée en puissance des mouvements laïcs.

Un acteur du dialogue interreligieux au Liban

Au-delà de son rôle de leader de la communauté chiite, Moussa Sadr s’est imposé comme une personnalité respectée par l’ensemble de la classe politique libanaise car il promet le dialogue interreligieux dans un pays déchiré par les tensions confessionnelles [4]. Il était le seul représentant des chiites à l’intronisation de Jean-Paul II en 1963. En février 1975, juste avant le début de la guerre civile, il inaugure un sermon dans la cathédrale Saint-Louis de Beyrouth, devant une assemblée composée de chrétiens et de musulmans.

Le Mouvement des déshérités

En 1973, Moussa Sadr crée le Mouvement des déshérités. Marginalisée et peu organisée, la jeunesse chiite se tourne essentiellement vers le parti Baas pro-irakien ou vers le parti communiste. En ce sens, Moussa Sadr propose une alternative proprement chiite [5]. La situation au Liban favorise la politisation de cette jeunesse chiite « déshéritée » qui se radicalise. En effet, après Septembre noir en Jordanie, l’OLP a trouvé refuge au Sud-Liban, d’où elle lance des attaques contre Israël. Les représailles de l’Etat hébreu entraînent des destructions massives qui touchent en premier lieu les populations chiites du Sud, dont beaucoup migrent vers Beyrouth. Les tensions entre Palestiniens et chiites libanais s’accroissent.

Lorsque Moussa Sadr créé le Mouvement des déshérités, il n’entend pas abolir le système politique libanais (comme le revendiquera le Hezbollah plus tard). Son but est avant tout de mobiliser les chiites afin d’améliorer leur condition et leur représentation au sein du système politique existant, pour « leur donner les moyens de peser plus lourd dans la négociation politique » [6].
Le Mouvement contribue à renouveler le personnel politique chiite libanais. Il favorise notamment « l’entrée en politique de figures jusque-là marginalisées, en particulier de nouveaux éduqués non-issus des grandes familles de notables » [7]. C’est le cas de Nabih Berri par exemple, actuel leader d’Amal et Président du Parlement libanais depuis 1992.

Lorsqu’éclate la guerre civile en 1975, Moussa Sadr s’efforce de faire de la milice Amal du Mouvement des déshérités un acteur neutre, voire même de lui faire jouer un rôle de médiateur [8]. La création de la milice Amal vise d’abord à assurer la défense de la communauté chiite dans un contexte de violences accrues. Après la « disparition » de Moussa Sadr en 1978, c’est Nabih Berri qui conduira la milice pendant la guerre.

La disparition mystérieuse de l’imam en Libye

En 1978, Moussa Sadr disparaît mystérieusement lors d’une visite officielle en Libye. Alors au sommet de sa popularité, sa disparition entretient le mythe du millénarisme chiite. En effet, pour les chiites duodécimains, le douzième Imam, le Mahdi (descendant direct d’Ali et doté de l’infaillibilité religieuse), a disparu en 874 mais n’est pas mort : il reviendra à la Fin des temps pour établir la justice et la vérité [9]. Aujourd’hui, le retour de l’imam Moussa Sadr est espéré par une partie de la communauté chiite libanaise, dans le contexte des événements récents en Libye. Les hypothèses sur son sort alimentent cette croyance. Au-delà du mythe qui entoure ce personnage, son héritage politique demeure très fort pour l’ensemble des chiites au Liban.

Pour aller plus loin avec les articles publiés dans Les clés du Moyen-Orient :
 Article sur le chiisme
 Compte rendu de lecture de l’ouvrage de Laurence Louër, Chiisme et politique au Moyen-Orient
 Article sur l’Empire ottoman
 Article sur le Hezbollah
 Article sur l’actualité de la Libye
 Fiche pays Irak
 Fiche pays Liban

Publié le 06/04/2011


Olivia Blachez est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où elle a suivi les cours du politologue libanais Joseph Bahout. Elle vit actuellement à Beyrouth et travaille au sein du journal L’Orient-Le Jour.


 


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