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Méhémet Ali [1] (1769-1849) est généralement considéré comme le fondateur de l’Egypte moderne. L’ayant gouvernée de 1805 à 1849, il a notamment effectué de nombreuses réformes, dont le succès a par ailleurs été variable, et a cherché tout au long de son règne à bâtir un Empire égyptien et à acquérir une indépendance plus grande vis-à-vis de la sublime Porte.
Méhémet Ali est né en 1769 dans le port de Kavalla qui appartenait à la partie albanaise de la Macédoine, faisant donc de lui un sujet à la fois albanais et de l’Empire ottoman. Après la mort de son père, Ibrahim Aga, il est élevé par son oncle et se marie avec Amine, veuve d’Ali Bey et cousine du gouverneur de la région. Le 2 juillet 1798, Napoléon débarque en Egypte et le sultan fait appel au gouverneur. Celui-ci envoie un détachement de 300 hommes dont fait partie Méhémet Ali, qui arrive à Aboukir le 8 mars 1800. A la suite de la décision du fils du gouverneur, placé à la tête du contingent, de rentrer au pays, Méhémet Ali est alors nommé à sa place. Il gravit rapidement la hiérarchie militaire, étant tout d’abord nommé colonel après un fait d’armes contre les Français, puis général. Cependant, lorsque les Français se retirent d’Egypte et qu’il s’agit de régler le problème de la vacance du pouvoir et du désordre instauré en Egypte, Méhémet Ali n’est pas en position d’être nommé gouverneur de l’Egypte.
Quelle est alors la situation de l’Egypte ? Celle-ci est déchirée entre deux pouvoirs concurrents : celui des Mamelouks qui, bien qu’affaibli, est toujours présent et celui de l’Empire ottoman qui renforce son contrôle sur la province égyptienne. A ces deux forces s’ajoutent les Britanniques dont la visée principale est d’empêcher un éventuel retour des Français en Egypte, et qui soutiennent le retour au pouvoir des Mamelouks, considérés comme plus aisément manœuvrables qu’un Pacha nommé et délégué par la sublime Porte. Entre 1802 et 1805, quatre gouverneurs d’Egypte se succèdent : Khusrew Pacha, Tahir Pacha, Ali-el-Djezain et Kurchid Pacha. Après les assassinats de Tahir Pacha et d’Ali-el-Djezain, Kurchid Pacha devient gouverneur. Mais Méhémet Ali, en tant que commandant des Albanais, c’est-à-dire de la principale entité militaire du pays, est au premier rang des prétendants à la succession. Il décide alors de s’allier avec les ulémas (docteurs de la loi islamique) qui ont pris la tête du mouvement de protestation et de résistance face aux Mamelouks et acquiert au moyen de cette alliance une forte popularité au Caire. Le 12 mai 1805, Méhémet Ali manœuvre ses troupes albanaises, qui n’ont pas été payées, de sorte que celles-ci reportent leur colère contre le gouverneur Kurchid Pacha. Celui-ci, se sentant menacé, prend la fuite. Les ulémas proclament alors Méhémet Ali Pacha d’Egypte. Cependant, soucieux d’agir dans le cadre de la légalité, il faut encore pour Méhémet Ali attendre la confirmation de son investiture par Selim III. Les ulémas demandent au sultan de ratifier leur décision : le sultan, n’étant pas réellement en mesure d’empêcher cette désignation et considérant qu’il peut céder aux Egyptiens sur ce point, confirme l’investiture du nouveau Pacha dans un firman datant du 18 juin 1805. Méhémet Ali devient alors officiellement et légalement Pacha d’Egypte.
Il faut cependant attendre 1807 pour que la position de Méhémet Ali soit consolidée dans tout le pays et pas seulement au Caire, avec la mort de ses deux principaux opposants, les Beys Bardissi et Elfi qui meurent respectivement en novembre 1806 et janvier 1807. A partir de là, les Mamelouks ne disposent plus de Beys aptes à gouverner l’Egypte, et les quelques Beys qui résistent encore en Haute-Egypte sont facilement éliminés ou repoussés par le Pacha. La situation intérieure finalement pacifiée, Méhémet Ali peut s’atteler à la tâche de gouverner véritablement l’Egypte en modernisant celle-ci sur les plans politique, militaire, économique et social. Cette volonté de réforme comprend deux aspects : constituer un vaste Empire terrestre à même de concurrencer l’Empire ottoman et de se constituer en véritable puissance régionale ; moderniser l’Egypte en entamant de vastes travaux et en la développant par la création de monopoles.
La modernisation de l’armée apparaît essentielle, non seulement pour répondre aux ambitions de Méhémet Ali concernant l’expansion territoriale de l’Egypte et la constitution d’un Empire mais aussi dans le cadre des expéditions pour la sublime Porte. Le gouverneur réprime ainsi pour elle la révolte des wahhabites en Arabie de 1811 à 1818, et participe à l’effort militaire durant la guerre d’indépendance grecque entre 1824 et 1828. La modernisation de l’armée s’effectue par la mise en place d’une armée de conscription dont les paysans égyptiens sont la base principale.
A cela s’ajoute la modernisation des moyens de communication par une politique de grands travaux avec la création de routes et de canaux. Dans le cadre de l’agriculture, il met en place un régime de nationalisation des terres, qui appartiennent désormais au gouverneur, c’est-à-dire à Méhémet Ali lui-même, et un système de monopole : il est le propriétaire des récoltes et les paysans sont rémunérés pour leur travail par une prime de rendement. La rationalisation ainsi faite de l’agriculture, si elle est défavorable aux paysans et au peuple de façon plus générale, permet à Méhémet Ali d’augmenter la superficie des cultures de 37% et de faire du pays l’un des principaux producteurs mondiaux de coton. A partir de 1816, Méhémet Ali décide de développer de la même façon l’industrie, poussé notamment par les nombreux conseillers français ou européens dont il est entouré. Pour cela, il s’arroge à nouveau le monopole des moyens de production industriels et entame la construction d’usines. Cependant, contrairement au relatif succès de la politique agricole qui a permis l’implantation de deux nouvelles cultures que sont le coton et la canne à sucre, la politique industrielle est un échec en raison de la faiblesse des relais de l’administration, de la faiblesse de l’équipement et des machines européennes souvent inadaptées.
Au final, les tentatives de modernisation de l’Egypte par l’importation, en partie, du modèle occidental, ne connaissent qu’une réussite partielle et Méhémet Ali lui-même constate la difficulté « d’adapter un modèle occidental à une économie en voie de développement [2] » Kahled Fahmy indique dans son ouvrage que de nombreuses infrastructures sont tombées en ruines ou ont tout simplement été laissées à l’abandon à la fin du règne de Méhémet Ali. Cependant, les dynamiques lancées par les réformes et les grands travaux ont bien engagé un processus de modernisation de l’Egypte, bien que plus lent que celui escompté par le Pacha.
Les relations de Méhémet Ali avec le pouvoir ottoman apparaissent conflictuelles. Celui-ci est désireux de procurer plus d’indépendance à l’Egypte, et par conséquent à lui-même en tant que Pacha d’Egypte, mais il semble que Méhémet Ali est conscient de devoir opérer dans les cadres définis par le pouvoir ottoman. Il entre cependant en guerre contre le sultan Mahmoud II en 1831, pour deux raisons : la première est sa rancœur vis-à-vis du sultan de ne pas lui avoir donné la Syrie en échange de son aide lors de la guerre d’indépendance grecque, la seconde est d’ordre religieuse. La guerre qu’il mène contre les Ottomans est une atteinte directe contre le sultan, ainsi qu’un signe de rébellion ouverte. L’expédition est une réussite sur le plan militaire : le 21 décembre 1832, lors de la bataille de Konya, l’armée égyptienne constituée de 15 000 hommes bat l’armée ottomane. Pour mettre fin à cette guerre, Français et Britanniques interviennent de façon diplomatique et la solution négociée en 1833, lors de la convention de Kutayah, donne à l’Egypte le contrôle sur la Syrie et la Palestine. C’est alors l’apogée de l’Empire de Méhémet Ali et de son règne.
En 1839, le sultan Mahmoud II reprend la guerre mais connaît une défaite décisive face au fils de Méhémet Ali, Ibrahim Pacha, gouverneur de Syrie. Les armées égyptiennes menacent à nouveau Constantinople et les grandes puissances européennes interviennent dans le but de conserver l’Empire ottoman et, plus largement, l’équilibre des puissances en Europe. La convention de Londres, signée le 15 juillet 1840, donne alors à Méhémet Ali le pachalik d’Egypte, c’est-à-dire une certaine forme d’indépendance, pour lui et ses descendants, instituant de fait une dynastie héréditaire, ainsi que Saint-Jean d’Âcre et la Syrie méridionale durant sa vie seulement. Tous les autres territoires doivent être évacués. Cependant, la convention est en partie un échec, le Pacha refusant de se plier à de telles conditions et envisageant même à un moment une entrée en guerre contre les grandes puissances. Suite à d’importantes négociations et à la prise de conscience de Méhémet Ali du danger qu’il court d’être destitué de son poste de gouverneur, un compromis est trouvé : Méhémet Ali obtient la pachalik héréditaire d’Egypte à l’exclusion de toutes autres possessions. Farouk, le dernier roi d’Egypte, est ainsi un descendant authentique de Méhémet Ali.
Ces événements marquent la fin des ambitions de conquête de Méhémet Ali. La fin de son règne, entre 1841 et 1849, est marquée par des difficultés financières et par les luttes de pouvoir entre ses différents fils pour lui succéder. A sa mort, le 2 août 1849, à l’âge de 80 ans, son petit-fils Abbas lui succède.
Méhémet Ali occupe une place à part dans l’histoire de l’Egypte, il est en effet considéré comme le fondateur de l’Egypte moderne du fait de ses projets de modernisation et de ses innovations économiques et politiques. Mais, plus que cela, il apparaît comme le garant d’une figure du nationalisme égyptien, ayant cherché à émanciper l’Egypte du pouvoir ottoman et à faire de celle-ci le cœur d’un vaste empire panarabe. Bien que le personnage et ses actions aient été amplement critiqués et controversés, il n’en demeure par moins, ne serait-ce que dans l’imaginaire national, le fondateur de l’Egypte moderne.
Bibliographie :
– Khaled Fahmy, All the Pasha’s Men, Le Caire, The American University in Cairo Press, 2003.
– Guy Fargette, Méhémet Ali, Paris, L’Harmattan, 1996.
– Henry Laurens, L’Expédition d’Egypte, Paris, Armand Colin, 1989.
Clémentine Kruse
Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.
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